Salut,
Le blog, resté en veilleuse au cours de mon absence, reprend à partir d'aujourd'hui, piano, piano.
J'espère que vous allez tous bien.
Je suis restée loin des nouvelles du monde avec bonheur, occupée que j'étais à vivre au jour le jour les réalités d'une petite communauté de paysans dans les mornes.
Là-bas, paradoxalement -comme aiment à dire les intellos haïtiens- les nouvelles d'Haïti sont rares. Pas de radio, télé, journaux, de sorte que moi qui vis à Paris me retrouvais avec plus d'informations qu'eux.
Comme de raison, les fameux paradoxes chers aux intellos, ne sont que des effets de l'absence de relations entre le monde qui a accès à la communication et celui qui en est totalement privé.
Je vous dirai, comme d'habitude, que le pays -du moins le lieu où j'ai résidé- est beau en dépit de la déforestation. C'est un espace privilégié avec un micro climat, des paysages entre montagnes, ciel et mer à vous couper le souffle. Il me faudrait être poète pour exprimer les nuances des couleurs, les cilels violets, les cocotiers dorés, les manguiers noirs sous la pluie, le son du vent, la splendeur de l'aube.
L'habitat est resté traditionnel : maison en adobe (argile, paille et pierre) toits de chaume (vétiver); mais on peut prévoir que ça ne va pas durer, vu que le curé du coin (un potentat) s'active pour remplacer les chaumières par des cases en béton. On peut s'attendre à une sorte de "bidonvillisation" du coin s'il poursuit son projet.
Evidemment, s'il existait une politique de protection de l'environnement et de développement du tourisme, un programme de sauvegarde et de modernisation de cet habitat aurait pu être envisagé. Parce que, bien certainement, il n'est pas possible de demander aux gens de ne pas succomber aux sirènes du ciment et du toit en tôles quand le vétiver prend la pluie et que les murs en adobe ont fait leur temps et demanderaient à être réparés, mais avec quel argent ?
Mon projet était d'établir un plan d'aménagement général de l'espace avec toutes les commodités modernes : eau courante, énergie, solaire, création de parcs, modernisation et amélioration du système agricole, etc.
Il se trouve que c'est mission impossible dans la mesure où les acteurs sont nombreux: le curé, les associations locales et les notables et que grosso modo leurs vision reste très conservatrice. Et surtout sans plan général. Bref, en microcosme la reproduction d'un fonctionnement similaire à celui de l'Etat haïtien, lequel, par exemple, programme l'éducation pour tous, mais sans formation d'instits. et de profs, sans revoir les programmes et les rythmes scolaires, sans réflexion sur l'architecture externe et intérieure des établissements scolaires.
L'éducation pour tous, se réduisant à des classes de 40, 50 élèves, à des instits sans formation et sans matériel pédagogique, à quelques bus roses qui assurent le transport gratuit des élèves; Bien évidemment pas de ceux qui habitent dans les mornes ( une majorité) et qui continuent dès le préscolaire, à partir de 4 ans à faire des kilomètres à pied pour se rendre à l'école.
Ils sont habillés comme des arbres de Noël, surtout les filles, avec leurs uniformes empesés et leurs rubans dans les cheveux et l'on sait - moi je le sais pour leur faire classe- que comme les sapins de Noël ici, ils finiront avec les épines desséchées, la fête finie, sur les trottoirs de la ville. Parce que, entre autres, l'éducation qui leur est fournie est obsolète pour ne pas dire nulle et qu'un grand nombre de ces enfants, devenus adultes, iront à la ville chercher la vie, comme on dit ici, avec l'espoir de se trouver un passage pour l'étranger.
Ce sont les enfants qui sont l'objet de ma préoccupation. Beaux et intelligents ils ont tout pour réussir. Cependant, avec des parents pour la majorité analphabètes qui ne peuvent pas les aider, avec des professeurs en grande majorité incompétents qui croient encore à la vertu du fouet, avec des notables qui laissent faire, les chances de s'éveiller à la complexité du monde et d'y apporter sa parti de créativité sont minimes.
Un exemple parmi d'autres : j'ai fait une leçon sur la relation au fouet et à l'esclavage. Nous avions une phrase écrite au tableau qui commençait ainsi : Haïti est un pays indépendant depuis 1804, les Haïtiens sont des descendants d'esclaves. Eh bien, la majorité des enfants (allant de 10 à 16 ans) ne savait pas écrire Haïti correctement, ni en Français, sans tréma sur le i, ni en Créole sans y. De plus le mot "descendant" était inconnu de leur vocabulaire.
Qu'est ce que veut dire descendant ? J'ai posé la question en créole et en français.
Réponse: silence. Puis : on ne sait pas madame. Je me suis rendue compte que ma leçon passait au-dessus de leurs têtes puisque les concepts les plus primaires leur étaient inconnus. Donc la leçon s'est transformée en un apprentissage des mots descendant, ascendant, présent, futur, passé, toutes notions inconnues au bataillon.
Ainsi, conjuguer un verbe au futur ou à l'imparfait ( en créole et en français) se résume à un exercice de mémoire mais en aucun cas à une compréhension de la relation au temps.
Tout ce que j'ai pu faire pour essayer de remédier à ces manques, c'est d'organiser un espace et de trouver quelqu'un qui assure les devoirs à la maison (de 4h à 5h tous les jours) d'un groupe d'une vingtaine d'enfants choisis parmi ceux, les plus intéressés, (et pas forcément les plus intéressants, ces derniers, malheureusement, ayant pris tellement de retard, que c'est peine perdue, c'est se laver les mains et se les essuyer par terre comme le dit si bien un dicton haïtien) avec lesquels je suis en relation depuis trois ans.
L'idéal serait d'avoir des volontaires vacanciers qui à tour de rôle, apportent leur soutien aux enfants. J'en profite pour faire un appel à tous ceux et celles qui à la retraite ou bien animés de bonne volonté, seraient intéressés à nous apporter un coup de main; ils peuvent me contacter sur ce blog ou bien directement à mon adresse de messagerie.
Enfin, nous avons comme tous les ans, grâce aux dons des membres de Force et Courage, l'assocation avec laquelle je travaille, en dehors du travail scolaire, pu organiser des balades avec les enfants, à la mer, au jardin botanique des Cayes, une visite d'entreprise de traitement et mise en sachet de l'eau. Ce n'est pas grand chose vu d'ici, mais je peux vous assurer que pour ces enfants c'est plaisir et découvertes. Depuis les premières excursions à la plage, les enfants qui avaient une peur bleue de l'eau bleue, sont devenus des fanatiques de la mer; il faut entendre leurs cris de joie, il faut voir leurs galipettes ! Bien sûr, il manque de leur apprendre à nager, la prochaine fois il faudra y aller avec un stock de bouées.
Enfin, un mot sur les parents, pour dire qu'ils sont plein de bonne volonté et collaborent en général sans réticence aux projets. Je suis même arrivée à persuader quelques-uns de mettre de côté le fouet et d'utiliser de préférence le dialogue. Ce qui est un exploit vu le rôle primordial de la répression, des représailles, de l'humiliation et des punitions dans le système éducatif à la maison comme à l'école.
Aussi, j'ai pris la décision de ne plus m'occuper que des petits, entre 4 et 10 ans, dont la psyché n'est pas encore marquée au fer de la menace du fouet. Ce petit groupe qui est avec moi depuis 3 ans a d'ailleurs obtenu de bons résultats scolaires. Ils sont "désordre" comme on dit, mais bien éveillés n'hésitant pas pour certains à poser des questions et à s'aventurer au tableau sans crainte d'être battus en cas de mauvais résultats.
Sinon, l'économie est toujours la même, et ne permet pas aux gens de se soigner et d'avoir une alimentation riche en protéines. Le chômage envoie les jeunes à la ville. Il reste principalement des hommes et femmes plus très jeunes pour s'occuper des champs et du bétail. D'où une pénurie de bras, le travail se faisant uniquement à la machette et au pikoi, sorte de pioche. D'où un abandon de l'agriculture. Seul le vétiver, destiné à l'exportation après transformation en essence, vit de beaux jours, et bien sûr appauvrit la terre.
Malgré que tout soit loin, très loin, d'être rose et que les déceptions soient quotidiennes, la vie est d'une grande richesse et je vous encourage vivement à venir à la rencontre de cette Haïti abandonnée certes, mais qui refuse de baisser les bras et tente de s'organiser avec le peu de ressources matérielles et humaines dont elle dispose (pas un agronome, ni un médecin, ni un véhicule de transport public à l'horizon).
Devant tant de détermination on ne peut qu'avoir envie de donner un petit coup de main.
Merci pour vos aides et encouragements.
Portez-vous bien.
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