Manuel Noriega, l’ancien dictateur qui a dirigé le Panama entre 1983 à 1989, est mort dans la nuit du lundi 29 au mardi 30 mai. Il avait 83 ans. La vie de celui qui était surnommé « Cara de piña » (« Tête d’ananas »), en raison des cicatrices d’acné dont son visage était grêlé, est digne d’un roman d’espionnage.
Enfant illégitime né en janvier 1934 – ou 1936, à moins que ce ne soit 1938, selon différentes versions qu’il n’a jamais infirmées –, son ascension et sa chute ont pour toile de fond la guerre froide sur le continent américain, la lutte de la CIA contre l’influence de Cuba, sans oublier le trafic de drogue entre la Colombie et les Etats-Unis.
Dès la fin des années 1950, alors qu’il finissait ses études à l’Instituto Nacional de Panama, Manuel Noriega a commencé à travailler comme informateur pour la CIA, écrivait Time Magazine en 2009 dans un Who’s Who des agents de la CIA. A l’issue de ses études, il obtient une bourse pour aller étudier à l’école militaire de Chorrillos, au Pérou.
Lors de sa première affectation militaire, en 1966, dans la Garde nationale panaméenne dans la ville de Colón, sur la côte Atlantique, il fait connaissance du capitaine Omar Torrijos, qui deviendra son mentor.
A la solde des Américains
A partir de 1967, la relation de Noriega avec la CIA s’affermit : les guérillas d’inspiration marxistes s’activent sur tout le continent. Il reçoit une formation sur le renseignement et le contre-espionnage sur la base militaire américaine de Fort Gulick, au Panama (à l’Ecole militaire des Amériques). Cette formation est complétée par un cours sur la guerre psychologique à Fort Bragg, en Caroline du Nord.
Le 11 octobre 1968, « Tête d’ananas » prête main-forte au coup d’Etat militaire d’Omar Torrijos contre le président Arnulfo Arias, 11 jours après son accession à la présidence (après avoir occupé le poste à deux reprises, en 1940-1941 et 1949-1951). Sous le règne de Torrijos, la carrière de Noriega s’accélère. Le nouvel homme fort du pays le remercie en lui confiant la direction des services de renseignement de l’armée.
Parallèlement, Noriega permet à la NSA (Agence nationale de la sécurité des Etats-Unis) d’ouvrir un poste d’écoute sur le canal de Panama, pour surveiller les communications au Panama et dans la zone du canal : le pays est l’un des avant-postes de Washington dans la lutte contre les mouvements d’inspiration communiste d’Amérique centrale. La confiance est telle qu’en 1971, à la demande de l’administration Nixon, Noriega se rend à Cuba pour négocier la libération des équipages américains du Johnny Express et du Lyla Express, deux cargos arraisonnés par la marine cubaine.
Lors d’une audience tenue en 1994 en vue de réduire la peine de Noriega, Donald Winter, le chef de la station de la CIA à Panama, a confirmé que ce dernier était régulièrement payé par les services américains, rapporte le Washington Post.
De mèche avec les narcos
Pourtant, rapidement, Noriega multiplie les casquettes et commence à jouer sur deux tableaux. Dès les années 1970, Noriega s’associe avec les narcotrafiquants colombiens, parmi lesquels Pablo Escobar, pour acheminer de la cocaïne vers les Etats-Unis. Entre 1970 et 1987, son nom va apparaître dans pas moins de 80 affaires différentes suivies par les agents de la DEA, l’agence fédérale américaine de lutte contre le trafic de drogue.
En 1976, la CIA commence à avoir des doutes sur Noriega : George H. W. Bush, qui était alors son directeur, apprend que ce dernier a pénétré les interceptions américaines au Panama, grâce à des militaires américains à sa solde. Malgré ces premiers soupçons, malgré les dommages causés par le trafic de drogue aux Etats-Unis, les défauts de Noriega sont compensés par son impact dans la lutte contre le communisme. En 1983, lors de l’invasion de l’île de Grenade, Washington fait appel à lui comme intermédiaire pour éviter un affrontement entre les troupes américaines et les militaires cubains qui construisent une piste d’atterrissage sur l’île.
En 1986, un article de Seymour Hersh dans le New York Times – citant des sources à la Maison Blanche, au département d’Etat et au sein des services de renseignement américains – le met en cause. Il lui est reproché, pêle-mêle, de fournir des technologies américaines sous embargo ainsi que de vendre des passeports panaméens aux services secrets cubains et aux pays frères. Il est aussi accusé de soutenir des mouvements comme le M-19 (favorable à Cuba) en Colombie.
Surtout, Washington lui reproche d’avoir ordonné l’assassinat de Hugo Spadafora, en septembre 1985. Ce dernier, un opposant panaméen notoire, avait publiquement accusé M. Noriega de trafic de drogue. Son cadavre, décapité et atrocement torturé, avait été retrouvé à la frontière du Costa Rica.
En 1988, un rapport du sous-comité mené par John Kerry au Sénat sur les « activités liées au trafic de drogue, l’application de la loi et la politique étrangère » (Kerry Subcommittee Report : Drugs, Law Enforcement And Foreign Policy") constatait :
« La saga du général panaméen Manuel Antonio Noriega représente l’un des échecs les plus flagrants en matière de politique étrangère pour les Etats-Unis. Tout au long des années 1970 et 1980, Noriega a pu manipuler la politique des Etats-Unis vis-à-vis de son pays, tout en accumulant habilement le pouvoir presque absolu au Panama. Il est clair que chacune des agences gouvernementales des Etats-Unis qui a eu des relations avec Noriega a fermé les yeux sur sa corruption et son trafic de drogue. Noriega a été autorisé à établir la première « narco-kleptocratie » de l’hémisphère [américain]. »
La guerre froide terminée, Noriega devient infréquentable
En février 1988, la justice des Etats-Unis l’inculpe pour trafic de cocaïne et blanchiment d’argent. Il risque alors quarante-cinq ans de prison et plusieurs millions de dollars d’amende. Washington décide d’instaurer des sanctions économiques et la rupture semble consommée. La perestroïka et la fin de la guerre froide vont finir par rendre Noriega accessoire : la CIA cesse alors de le rétribuer, écrit le Guardian.
Lors de la campagne présidentielle américaine de 1988, le candidat démocrate Michael Dukakis tente d’utiliser les liens entre son concurrent républicain, le vice-président George H. W. Bush, et « le baron de la drogue panaméen Noriega ». En vain.
Au printemps 1989, les images des hommes de main du dictateur frappant à coups de batte de baseball des opposants finissent de détériorer son image. C’est en décembre 1989, après l’assassinat d’un militaire américain par les forces panaméennes, que le président américain George H. W. Bush ordonne l’invasion du Panama, estimant que Noriega représente une menace pour les 35 000 Américains présents dans la zone du canal.
Manuel Noriega, l'informateur de la CIA devenu encombrant
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