A propos de la genèse des langues créoles
Par Hugues St. Fort
Avec Hagège, le débat prit une autre tournure. Le linguiste français est parti d’une vérité bien connue en sciences humaines, à savoir « l’impossibilité [pour la linguistique] d’une expérimentation directe sur la genèse même de l’objet qu’elle se donne à étudier. » (Hagège, 1985 : 36). D’où la question fondamentale posée par Hagège : Que se passerait-il s’il était possible de « reconstituer expérimentalement la naissance d’une langue comme faculté de langage manifestée ? » Rêves de linguistes, bien sûr ! Cependant, Hagège se demande si les langues pidgin et créole ne fourniraient pas l’occasion, rare dans les sciences humaines, d’une expérience sans « protocole », en un laboratoire naturel restituant spontanément les conditions de la naissance. Cependant, Hagège a vite fait d’introduire quelques réserves à cet enthousiasme pour les langues créoles et les enseignements qu’elles pourraient apporter à la réflexion générale sur le langage. Ses questionnements méritent d’être pris en compte. Par exemple, s’interroge Hagège, cette hypothèse sur le laboratoire créole n’impliquerait-elle pas, « sous sa forme la plus stricte, une sorte de moindre humanité des esclaves dépossédés, croit-on, du pouvoir de parler leurs langues, et s’hominisant à travers la pidginisation. » (Hagège, 1985 : 38).
Donc, ce que les linguistes nomment « créolisation » se réfère aux processus qui ont donné naissance aux langues créoles et qui se distinguent nettement de « ceux qui régissent l’évolution des langues « naturelles » par la transmission intergénérationnelle et le contact linguistique occasionnel. » (Guillaume Fon Sing, 2007 : 32). Il existe plusieurs courants dans ces tentatives d’explication de la genèse des langues créoles. Le courant le plus célèbre dans la littérature créolistique est le courant « catastrophique. » L’idée dominante qui circule à travers ce courant est que les langues créoles ont pris naissance de manière spontanée, soudaine, tout à fait à l’opposé des autres langues naturelles (anglais, français, allemand, espagnol, chinois, italien…) qui ont mis des siècles pour se former, mûrir, se fixer et auxquelles on peut reconnaître des « parents génétiques » clairement identifiés.
L’approche substratiste est solidement représentée par la linguiste canadienne Claire Lefebvre. En sociolinguistique, on désigne sous le nom de substrat des formes linguistiques de la première langue d’une communauté qui influencent le parler d’une communauté bien que celle-ci ait abandonné cette première langue pour une autre langue qui lui a été imposée par une autre communauté beaucoup plus puissante qu’elle. Claire Lefebvre, dans ses recherches sur le créole haïtien, considère que le substrat de cette langue serait le fongbe, une langue parlée en Afrique de l’ouest (Togo, Bénin) parce qu’elle a réussi à identifier des structures syntaxiques similaires entre les deux langues. C’est l’hypothèse de la relexification. Dans cette hypothèse, le CH serait du fongbe relexifié dans un vocabulaire français.
Un autre courant assez important en créolistique française est connu sous le nom de courant « gradualiste » et a été développé par Robert Chaudenson et le linguiste américain d’origine congolaise, Salikoko Mufwene. Chaudenson définit la créolisation comme « l’autonomisation de variétés approximatives de français sous l’effet d’un changement de langue-cible et de modes d’interaction, la communauté des esclaves créoles étant devenue, pour les bossales, à la fois le modèle et l’agent de leur socialisation linguistique. » (Chaudenson, 1995 : 83). Dans ma prochaine chronique, je développerai la thématique suivante : Où sont parlées les langues créoles ?
Contactez Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com
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