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Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


les enjeux autour de la chute de Duvalier Jcl, Aristide l'espoir

Publié par siel sur 23 Octobre 2010, 09:17am

Catégories : #PEUPLE sans mémoire...

 

 

Chapitre II

ARISTIDE, L'ESPOIR
1990-1991

1990. Quatre ans après la chute de Jean-Claude Duvalier, Haïti n'a toujours pas rompu avec ses vieux démons. La classe politique ne semble pas mûre pour entrer dans une compétition démocratique et loyale. L'année apparaît plus prompte à la violence qu'au respect de la Constitution. « Nous sommes encore loin de la démocratie », estime depuis son exil parisien Leslie Manigat. Enseignant les relations internationales à la faculté de Paris-1, l'ancien président - il se dit toujours le président constitutionnel d'Haïti - parle avec le ton du professeur: « Je vois trois étapes distinctes menant à la démocratisation. La première, c'est le respect de la vie humaine, et notamment de ses adversaires ou opposants. La deuxième, c'est le respect des libertés publiques. Enfin, troisième condition, il faut que nous soyons capables d'organiser des élections et que les élus puissent terminer leur mandat. Malheureusement, nous n'en sommes pas encore à la première étape ... »


Les explications de Leslie Manigat n'atteignent pas Port-au-Prince. Où on l'oublie. On peut le regretter. Car si les événements des derniers mois ont montré comment les dictatures finissent, le peuple haïtien se demande toujours comment la démocratie commence.


Théoriquement, en cette année 1990, Ertha Pascal Trouillot, présidente provisoire et peu désireuse de rester aux commandes, passera le relais à un président démocratiquement élu.

Mais pourra-t-on organiser de véritables élections ? Les militaires, les macoutes et les neo-duvaliéristes laisseront-ils s'imposer la démocratie? Les grandes puissances, et notamment les États-Unis, laisseront-elles les Haïtiens choisir leur président ?
Passé l'euphorie de la chute du mur de Berlin et d'une certaine « fin de l'histoire » avec l'effondrement du communisme à l'Est, les grandes puissances abordent l'année dans la tourmente. La crise du Golfe mobilise tous les dirigeants de la planète. La guerre-éclair qui suivra, médiatisée à outrance, fait chuter tous les indices boursiers, trembler tous les décideurs. Au regard de ces fortes turbulences politico-économiques, l'instabilité haïtienne passe pour un épiphénomène. Même les États-Unis, toujours très informés sur les affaires de leurs voisins des Caraïbes et prompts à l'ingérence, reviennent à un interventionnisme mou, signe de leur peu d'empressement de voir ce pays se refaire une santé économique et politique. Tant que les « rouges » ne sont pas aux portes du pouvoir...

 

Qui peut justement, en cette année électorale, s'emparer de la présidence ? Les rapports de force sont à peu près lisibles.
D'un côté, le peuple, en proie au doute, au terme d'une révolution confisquée et en l'absence d'homme politique fiable pour représenter ses intérêts. C'est le vide, et la perspective d'une nouvelle période « néo-duvaliériste » s'annonce comme une fatalité. De l'autre côté, les anciens duvaliéristes, les macoutes et les militaires constituent un pôle conservateur puissant et organisé. Pourtant, sur ces trois composantes pèsent des rivalités intestines tenaces.

 

Après les échecs de Namphy et d'Avril, l'armée se cherche un leader respectable. Faute de quoi, elle devra se résoudre à trouver parmi les leaders des principaux partis politiques un nouvel allié de circonstance. Un homme qui pourrait fermer les yeux sur certains trafics très fructueux pour les militaires. Certains généraux penchent pour Marc Bazin. Mais les militaires ont déjà eté échaudés. La cohabitation avec Leslie Manigat n'a pas donné les résultats escomptés.


La stratégie des macoutes est des plus simples. Roger Lafontant de retour, ils sont prêts à toute éventualité pour conquérir le pouvoir. Les anciens ministres de Duvalier cherchent aussi à tirer leur épingle du jeu. Frantz Merceron revoit ses amis Chanoine et Cinéas. Comme au « bon vieux temps » du régime duvalieriste, ils se réunissent - cette fois à Saint-Domingue - pour élaborer leur stratégie. En fait, « le cardinal » et ses amis ne se sentent pas en mesure de l'emporter dans un climat serein. Leur heure n'est pas encore venue...


Tous aussi doués pour les palabres, les représentants de douze formations politiques « démocratiques », allant de la gauche au centre droit, se cherchent un candidat fédérateur, susceptible de rallier les suffrages populaires. C'est la quadrature du cercle. Les alliances se font et se défont à un rythme soutenu. Finalement, Marc Bazin se décide à rejoindre cette coalition. Son alliance avec le socialiste Serge Gilles, aidé par le PS français, lui donne un certain poids. Pour ce technocrate estimé à la Banque mondiale, il est l'heure d'abattre ses cartes... Fort de ses relations, l'homme croit en son étoile. La France suit attentivement la situation.


Depuis son exil français, Jean-Claude Duvalier songe à un possible retour. Régulièrement, des familles haïtiennes lui font part de leur soutien, de leur volonté de le voir reprendre le pays en main. Il est vrai que sa chute n'a fait que plonger le pays dans un marasme plus profond encore que dans les périodes sombres de sa présidence.


Ces derniers mois, Baby Doc a aussi revu Roger Lafontant à plusieurs reprises. Malgré leur brouille en 1985, les deux hommes restent étroitement liés. C'est même Lafontant qui, en 1988, a réglé tous les détails du divorce de Jean-Claude. Une affaire non négligeable puisque le chef des macoutes, en quête de devises, a bien pesé sa commission dans ce divorce arrangé à Saint-Domingue, avec un avocat qui ne devait voir ni Michèle Bennett ni Jean-Claude Duvalier.


Lafontant n'est ni un poète ni un philosophe. Redouté de tous les Haïtiens, c'est un criminel notoire, capable des pires atrocités s'il les juge utiles pour faire régner l'ordre, ou pour maintenir son pouvoir personnel. Duvalier n'affectionne pas les méthodes du chef des macoutes. Mais, peu importe. Il se rend bien compte que, dans le clan duvaliériste, seul Lafontant est susceptible de revenir aux affaires. Son ancien ministre de l'Intérieur, dont la soif de pouvoir n'a pas diminué, s'impatiente. Sùr de sa puissance, il ne tergiverse pas avant de passer à l'action. Le président le sait. Pour autant, il ne croit pas en cette stratégie. D'ailleurs, lui-même a-t-il vraiment envie de revenir au pouvoir ? Ses anciens ministres tentent de le convaincre, et se déplacent à Nice afin d'essayer de le persuader d'apporter son soutien à Roger Lafontant. Malgré les pressions, le président persiste dans son refus. Les « super ministres » repartent déçus. Eux ne baissent pas les bras pour autant.


Depuis qu'il s'est retiré au Canada, Roger Lafontant vit sans éclat. Les revenus de sa femme Gladys, une modeste secrétaire, ne sont pas suffisants pour faire vivre la famille. L'homme n'a jamais cherché à vivre dans l'opulence, mais cette fois, il lui faut trouver de l'argent pour subsister. Lui aussi a quelques avoirs gelés en Suisse. Il pense pouvoir en disposer à sa guise puisque la justice haïtienne lui accorde, au début de l'année 1987, une ordonnance de non-lieu.


À Berne, l'information n'est toujours pas arrivée. Frantz Merceron, qu'il rencontre à Genève, l'aide à débloquer la situation. Après de multiples démarches, l'ancien ministre des Finances aboutit. Sur les trois millions de francs que Roger a amassés, il peut disposer des intérêts. Soit, environ, 250 000 francs par an. Une manne que l'ancien chef des macoutes va engloutir dans l'action politique. Roger Lafontant prépare son retour.
Celui qui complote systématiquement contre tous les gouvernements depuis 1985 est candidat aux élections présidentielles. Toutes les cités de Port-au-Prince, où la nouvelle de son retour court sur toutes les lèvres, croient vivre un cauchemar. Les sorciers vaudou ne pouvaient pas leur jouer un si vilain tour...

Les Ti Legliz avec le peuple

Le peuple haïtien est sur ses gardes. Seuls refuges et havres de paix, les églises du pays. Un lieu où la parole se libère. Une dizaine de prêtres ont gagné la confiance des démunis. En les invitant à se tenir debout, à refuser la dictature, cette poignée de prêtres est déjà parvenue à mettre en marche un véritable mouvement contre le régime du général Avril. Le chef de file de cette « Petite Église » ou Ti Legliz est le père Adrien, un homme qui avait été contraint à l'exil en 1968 après avoir été soupçonné de sympathie communiste. Revenu à Port-au-Prince après la chute de la dictature, cette figure historique de l'Église haïtienne ne mâche pas ses mots pour condamner la hiérarchie de l'Église.


La fracture est des plus nettes entre curés de base et membres influents de la conférence épiscopale du pays. Malgré leurs divergences, tous avaient su, par le passé, éviter une véritable déchirure. Sous les Duvalier, les tensions étaient fortes, mais l'Église avait fait corps. À sa manière, la conférence épiscopale avait joué un rôle dans la chute de la dictature.


Pourtant, depuis 1988, l'atmosphère s'est alourdie. Cette année-là, un prêtre de la paroisse Saint-Jean-de-Bosco, Jean-Bertrand Aristide, est exclu des salésiens. Il ne s'agit pas vraiment d'une affaire interne à la congrégation: il s'agit de mettre « hors d'état de nuire » ce prêtre jugé trop virulent sur le terrain politique.
Pour le Vatican, qui est engagé dans un bras de fer avec le communisme en Europe de l'Est, il faut tout entreprendre pour étouffer la parole des prêtres qui entretiennent une convergence entre marxisme et christianisme. La théologie de la libération est inacceptable, incompréhensible sans doute, pour un pape qui, dans son Eglise, a souffert des excès du communisme.
À Port-au-Prince, malgré les sanctions et les menaces, le prêtre exclu des salésiens n'a pas cessé d'accompagner ses fidèles vers la « libération ». Le lumpen, les affamés, sont les fidèles du père Aristide. Ses messes prennent une dimension mystique rare. Leader inclassable, il est quasi incompréhensible pour un Occidental. Personnage discret, frêle, presque maniéré, l'homme renvoie davantage à l'image d'un enfant de choeur qu'à celle d'un leader révolutionnaire. Sa voix est douce, à peine audible, mais elle électrise les foules... Ses homélies mettent en transe un peuple privé de tout. « Titid », comme le surnomment ceux des bidonvilles, fait renaître l'espoir pour l'immense majorité du peuple. « Lui seul peut nous sortir de la misère », dit-on dans la cité Soleil. En quelques mois, l'idée fait son chemin. Titid, l'homme du peuple, est le sauveur...

Un « vieux » combat politique

Sauveur? Prophète ? Leader politique? L'homme est un phénomène hors normes dans la société haïtienne. Son combat pour la « libération » des pauvres, Titid l'a commencé au début des années quatre-vingt, sous la présidence de Jean-Claude Duvalier. À l'époque, personne ne le connaît vraiment. Dans la presse haïtienne, le premier article le concernant paraît en 1982, dans le Haïti-Observateur:
« Du haut de sa chaire, à l'église Saint Joseph, un prêtre dénonce le régime Duvalier-Bennett. Le 13 septembre, le révérend père Jean-Bertrand Aristide, prêtre franciscain, dans un sermon radiodiffusé sur les ondes de "Radio-Soleil", le poste des catholiques, a déclaré que l'idéologie officielle du gouvernement a converti la parole de Dieu en une philosophie de résignation. Le père Aristide a rappelé que " Christ est synonyme de libération ", en présence de 500 fidèles environ. " L'exploitation nègre - dit-il - a remplacé l'exploiteur blanc. " Ses accusations désignent clairement la dynastie des Duvalier [ ... ] ne mâchant pas ses propos pour dénoncer Jean-Claude Duvalier comme principal responsable des misères du peuple haïtien. »


Cet article, daté du 17 décembre 1982, fait pas mal de bruit. Un membre du service de renseignements d'un pays occidental s'en souvient. Il lui faudra mener une enquête approfondie pour en découvrir un peu plus sur ce prêtre non pas franciscain mais bien salésien - qui ose, en public, affronter et dénoncer le régime totalitaire. Titid est le premier à prêcher contre Baby Doc.


Quelques jours plus tard, le président français, François Mitterrand, évoque la situation haïtienne et plaide pour « l'épanouissement des libertés politiques ». À l'Élysée, les conseillers très au fait du continent sud-américain ne manquent pas. Le duvaliérisme n'a pas beaucoup de partisans. « L'image du régime haïtien est dégradée sur le plan international à cause du non-respect des libertés fondamentales'», poursuit le président'.


L'agnostique Mitterrand avait-il entendu le prêche d'Aristide avant de livrer sa première prise de position sur Haïti? Aristide deviendra, par la suite, un proche de la famille Mitterrand qu'il rencontrera à plusieurs reprises. Mme Danielle Mitterrand ira même lui rendre visite en Haïti, sur proposition de l'ambassadeur de France, M. Dufour. Une démarche exceptionnelle, car les « politiques » n'apprécient guère ce prêtre venu chasser sur leurs terres. La hiérarchie catholique, quant à elle, est excédée par chacun des sermons qui invitent le peuple à briser ses chaînes.


Attaqué de toutes parts, le père Aristide n'aura de cesse de se justifier pendant la majeure partie des années quatre-vingt. « L'état de mon pays m'oblige à conjuguer le verbe évangéliser et la réalité politique. Je n'ai pas le choix. Ma foi m'entraîne dans la politique et ça ne m'intéresse pas de faire de la politique sans l'articuler dans le contexte de la foi. Que tous aient du pain, de la santé, du respect », déclare-t-il quelques jours après qu'il eut échappé miraculeusement à une tentative d'attentat dans son église de Saint-Jean-de-Bosco .


À l'époque, les macoutes veulent le réduire au silence. Soumis à de trop fortes pressions, les supérieurs salésiens annoncent leur décision. Aristide doit partir en exil. Les jours suivants, les gens des bidonvilles manifestent. Ils brûlent des pneus sur la chaussée et établissent des barrages sur les routes menant à l'aéroport pour empêcher le départ de Titid. Le peuple remporte sa première victoire. Aristide reste.
Quelques semaines plus tard, les salésiens le suspendent. Titid n'en a cure. Malgré le conflit avec la hiérarchie catholique, il continue un combat devenu le sens de sa vie.

Des premiers sermons explosifs...

La vie de Jean-Bertrand Aristide a commencé le 15 juillet 1953, dans une famille misérable de paysans d'une bourgade côtière du sud-ouest de l'île, Port-Salut. Titid n'a que trois ans quand son père meurt. Dès l'âge scolaire, il est recueilli par les salésiens, où il connaît plus tard la vocation. C'est son cousin, Mgr Romulus, le seul évêque progressiste d'Haïti, qui l'ordonne prêtre, le 3 juillet 1982. Coïncidence, le même jour Jean-Claude Duvalier fête son trente-et-unième anniversaire. Aristide est alors âgé de vingt-neuf ans. Ses premiers sermons sont « explosifs », sa congrégation préfère l'envoyer poursuivre ses études. Il part faire une licence de psychologie au Canada, de 1982 à 1985, puis complète ses études de théologie à Rome, en Grèce et en Israël, où il a déjà séjourné de 1979 à 1982 pour y suivre des études bibliques et participer activement à des recherches en archéologie.


Après ses études, il exerce son sacerdoce dans une paroisse des bidonvilles de Port-au-Prince. C'est à Saint Jean-Bosco, là où les négriers faisaient autrefois le commerce des esclaves, que se révèlent ses talents d'orateur. Nous sommes à quelques semaines de la chute de la « maison Duvalier ».
« Quand Aristide commence à parler', aime à se rappeler Amy Wilentz, il ne semble plus longtemps petit. Il se penche en avant et vous fixe de derrière ses lunettes avec un regard qui vous met mal à l'aise. Différent en ceci de nombre de Haïtiens, hommes politiques ou simples quidams, il ne crie pas quand il parle de politique. Il semble réfléchir à vos questions. »


Dans un entretien pour 'Actuel', l'un des anciens professeurs d'Aristide parle du personnage: « Aristide était un élève brillant; mais ce qui était le plus marquant, c'était son sérieux. Mature, voilà le mot exact. Il était plus mature que ses petits camarades. Pourquoi est-il si populaire? Parce qu'il prend les gens en charge. Il se bat avec eux, s'occupe des gosses, des familles. Il cherche de l'argent, distribue des médicaments. Vous savez, les affamés sont durs d'oreille, même pour entendre la parole de Dieu. Ce n'est que ça, la théologie de la libération. Dieu n'est pas neutre et Aristide pense qu'il est du côté des pauvres contre les Américains qui veulent transformer Haïti en chaîne de montage, contre les macoutes, les trafiquants, les exploiteurs. »


Comme d'autres théologiens de la libération en Amérique latine, qui utilisent les enseignements de Jésus pour élever la conscience politique des pauvres, Aristide met en parallèle la lutte du peuple haïtien pour la liberté avec celle de Jésus pour la libération de Jérusalem.
Aristide ne se lasse pas d'évoquer ce sujet. Il est là sur son terrain de prédilection. Beaucoup plus à l'aise que lorsqu'on lui parle d'économie. « Qu'est-ce qui unit le mouvement dans l'Église au mouvement dans la société haïtienne, c'est un tout », dit-il. « C'est la théologie de la libération, qui s'est infiltrée dans la jeunesse de notre pays, qui les fortifie, qui purifie leur sang, qui instruit ces jeunes, qu'ils soient chrétiens ou non. Si vous êtes chrétien, vous ne pouvez permettre que ce que vous êtes en train de voir arrive sans rien dire, parce que si vous ne dites rien, vous serez blâmé pour votre silence. Vous serez blâmé pour votre complicité. Aussi dans le but d'interdire ce péché, qui est un péché mortel, nous refusons d'accepter ce qui se passe. Nous repoussons la corruption . »


A maintes reprises, Titid interpelle les communautés chrétiennes. Son message ne brille pas par sa modération. Même si le ton reste calme, Aristide s'exprime comme un révolutionnaire mystique, reliant sa totale dévotion populaire à son service divin.
« Si vous êtes chrétien, vous ne pouvez accepter de laisser continuer la corruption macoute dans ce pays. Eh bien, alors, vous êtes obligé de prendre des risques historiques. Vous êtes obligé de participer à ce mouvement historique de la théologie de libération. En d'autres mots, la résurrection d'un peuple entier est en train de se dérouler maintenant. C'est la théologie de libération qui monte vos enfants contre la génération corrompue, contre une mentalité de l'Église et de la société qui voit la corruption comme une confortable norme, et que personne ne peut digérer s'il est vraiment chrétien. Dès aujourd'hui, c'est l'histoire des Hébreux et de Jésus-Christ, que nous-mêmes, en tant que chrétiens, sommes en train de vivre. Nous sommes devenus les sujets de notre propre histoire. À partir d'aujourd'hui, nous refusons d'être les objets de cette histoire '. »


Les pauvres des quartiers défavorisés, les paysans qui l'écoutaient sur Radio Haïti-Inter et Radio Soleil, des chômeurs, des jeunes des classes moyennes sans perspective d'avenir dans le pays, et quelques libéraux parmi la bourgeoisie haïtienne et la communauté exilée s'intéressent aux propos d'Aristide. Pour le reste, il compte ses ennemis.


L'armée le hait, parce qu'il nomme dans ses sermons les colonels, les sergents et les lieutenants, coupables d'abus de pouvoir et d'agressions contre le peuple. Les généraux Namphy et Regala en prennent pour leur grade.
L'ambassade américaine a aussi toutes les bonnes raisons de ne pas l'apprécier. Aristide rend les États-Unis et leur système économique responsables de la misère économique d'Haïti.
La hiérarchie de l'Église ne peut également l'entendre sans exaspération. Exclu des salésiens parce qu'il ne rate pas une occasion d'inclure l'Église du haut dans sa liste d'ennemis du peuple, les évêques le jalousent aussi pour les fidèles qu'il attire, et pour l'attention que lui portent les journalistes étrangers. L'épiscopat ne peut accepter son entrée en politique, pour lui le statut sacerdotal et l'action politique sont incompatibles.
Les quelques « en-très-bonne-santé » d'Haïti le méprisent aussi parce qu'il les accuse de trahir leurs compatriotes. Aristide qualifie le système par lequel ils se sont enrichis de « corrompu » et « criminel ». Tous sont effrayés par la violence de ses sermons. Le plus insupportable pour ses adversaires, c'est peut-être aussi d'être condamnés au nom du Christ, auquel se réfère constamment l'un des hommes les plus fidèles au message biblique d'Haïti.


Tous ces adversaires pratiquent la même contre-attaque: on l'accuse d'être communiste. L'appréciation n'est pas juste. S'il arrive à Aristide de se référer à Che Guevara ou à Salvador Allende, dans de nombreux serinons, il prend ses distances avec l'extrême gauche. Il loue souvent la sainteté de la propriété privée. « La terre des paysans, dit-il, la terre qu'eux et leur famille ont travaillée pour des générations et des générations, ça c'est une propriété privée. Personne d'autre n'a le droit de se l'approprier. La petite boutique de l'épicier, qu'il achète honnêtement et règle avec ses petites économies, et d'où il tire un revenu décent, ça c'est une propriété privée. Mais la classe des propriétaires et de la bourgeoisie qui vit du système de la corruption que nous avons en Haïti, qui ne fait rien, qui ne donne rien en retour au pays, qui vole les quelques économies que nous avons et les met dans des banques étrangères, leur propriété privée est la propriété des paysans. Leur propriété privée est la propriété haïtienne, elle ne leur appartient pas. Elle devrait leur être reprise. »

 

A suivre.

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