Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


les enjeux autour de la chute de Duvalier Jcl : le candidat "surprise"

Publié par siel sur 22 Octobre 2010, 09:07am

Catégories : #PEUPLE sans mémoire...


Octobre 1990. La campagne présidentielle est lancée. Sylvio Claude, Victor Bendit, Marc Bazin et les autres... organisent meetings sur meetings. Un ballet médiatique qui ne convainc pourtant pas les Haïtiens de s'inscrire sur les listes électorales, las des mensonges de leurs politiciens.
18 octobre. Rue Camille-Léon. Au numéro 27 bis, une superbe maison en bois de l'ère coloniale abrite le siège de l'association « La famille, c'est la vie ». Au second étage, dans un petit bureau délabré, Aristide nous reçoit avec Bernard Diederich, l'envoyé de Time Magazine, et moi-même. Derrière Aristide, le drapeau haïtien et quelques photos d'enfants. Aristide est le fondateur de cette association qui vient en aide à tous les bus people, ces enfants abandonnés au nombre de huit à dix mille dans les rues de Port-auPrince. « Ils viennent de province et s'accrochent à l'arrière des bus qui les mènent à la capitale. » Il considère ces enfants comme les siens.
Sur le perron, en attendant le père, une de ses proches collaboratrices nous prévient: « Il a beaucoup de travail, il ne peut vous voir que quelques instants, mais vous allez être étonnés. » Notre visite de courtoisie à notre ami Aristide tourne au point-presse. Nous en sommes les premiers surpris.


Le visage d'Aristide est inoubliable. Ses joues creuses, ses yeux saillants et sa large bouche. Les journalistes étrangers, qui grossissent volontiers ses traits, l'ont surnommé « à lunettes ». Difficile de croire que ce petit personnage presque fragile peut mettre des milliers de gens en marche et mobiliser les pauvres de Port-au-Prince d'un signe de la main. Aristide n'est pas plus vigoureux que le mahatma Gandhi, mais le sourire éclatant et malicieux qui accompagne son célèbre strabisme lui permet d'instaurer comme une stratégie du regard. Aristide, qui révèle dans un de ses livres son expérience d'hypnotiseur, peut vous entrainer dans les sphères lointaines de sa réflexion. À chacune de nos rencontres, dans sa paroisse, au siège de « La famille, c'est la vie », dans sa maison de Tabarre et plus tard au palais présidentiel ou dans une suite de l'hôtel Crillon, à Paris, il « envoûte ». Cette fois, il n'esquive pas les vraies questions... Aristide nous annonce sa candidature à la présidence de la République. « Sous la pression du peuple, dit-il, et pour barrer la route aux macoutes... À cause des pauvres et de Dieu qui refusent de se taire devant les injustices, les inégalités et la corruption. Autrefois, les chrétiens étaient accusés de faire de Jésus un roi. Aujourd'hui, les pauvres reconnaissent, en Jésus, le roi politique. C'est à cause de Jésus qu'ils ont choisi un prêtre comme candidat car ils ont vu en celui-ci l'image de leur roi Jésus. Avec beaucoup d'humilité, nous devons le reconnaître . »
Cette candidature ne surprend pas vraiment. Elle semble logique tant le peuple haïtien apparaît en communion avec cet homme de foi. Pourtant, il nous est difficile d'imaginer notre interlocuteur dans la peau d'un chef d'Etat. Peut-on gouverner un pays dans un monde si complexe avec la seule Bible comme référence?
Le peuple, lui, ne se pose pas mille questions. Il est en liesse. Au lendemain de cette annonce, les files d'attente devant les bureaux d'inscription aux listes électorales en disent long sur l'espoir d'une population au ventre vide. La proportion d'électeurs inscrits passe subitement de 25 % à 90 %. Comme Papa Doc, Aristide a le contact facile avec la base. Il n'est le porte-voix d'aucun parti politique.

Un dangereux face-à-face

La veille, Roger Lafontant vient également de se porter candidat. Pourtant, le chef des macoutes est «inéligible». Mais la Constitution sera-t-elle respectée ? Qui osera barrer la route du pouvoir à l'homme le plus puissant du pays? Pour l'heure, personne ne réagit. Pas même l'ambassadeur américain. Nous sommes à la veille de la guerre du Golfe. Les États-Unis se contentent de soutenir financièrement la campagne de Marc Bazin.


De son côté, Lafontant est irrité par l'annonce de la candidature d'Aristide. « L'article 291 de la Constitution est un article féodal et antidémocratique. Je ne reconnaîtrai en aucun cas les décisions du CEP. S'ils ne veulent pas la paix, ils auront la guerre. Attila n'entrera pas dans Rome », s'insurge, tout en « finesse et subtilité », dans son style inimitable, l'ancien chef des tontons macoutes, en me recevant chez le docteur Conille , à deux pas du palais présidentiel. Le message est clair. Il va tout tenter pour empêcher Aristide de déposer dans les temps sa candidature. L'opération peut aboutir.


Ce 18 octobre à 17 heures, les listes seront closes. Aristide qui s'est décidé la veille à se porter candidat n'a que quelques heures pour réunir tous les documents nécessaires et les déposer au siège du Conseil électoral.
Roger Lafontant est allé enregistrer sa candidature le matin. Aristide choisit l'après-midi, afin d'éviter le chef des mafieux. Mais, à sa sortie de l'immeuble du CEP, Lafontant décide de n'en plus bouger. Avec ses hommes armés, il attend Aristide.


Les heures passent. Informé, Aristide redoute la confrontation. Elle peut faire de nouvelles et inutiles victimes parmi la population et qui sait, enrayer une fois de plus le processus électoral. À 16 heures, il téléphone une nouvelle fois au Conseil électoral. « Pourriez-vous demander à M. Lafontant de partir ?
- Je n'en ai pas les moyens.
- Prolonger le dépôt de candidature jusqu'à 18 heures?
- Non.
- Remettre le rendez-vous à demain pour éviter tout incident ?
- Il n'est pas en notre pouvoir de prolonger le délai...
- J'arrive, vous assumez donc la responsabilité ! ` »


Sur place, Lafontant et les siens barrent l'accès à l'immeuble. Lorsque Aristide arrive, il redoute le pire. À peine sorti de sa voiture, il est soulevé de terre. Les militaires, ennemis intimes de Lafontant, viennent protéger le père Aristide. On le transporte jusqu'aux locaux du Conseil électoral, tandis que l'on neutralise Lafontant et ses hommes.


Le chef macoute hurle sa rage et promet qu'il fera tout pour empêcher de livrer le pays aux « communistes ». Il n'a pas dit son dernier mot... Pour Aristide, le plus dur est fait.
Bénéficiant d'un gigantesque soutien populaire, le mouvement « Lavalas », terme qui fait référence au « torrent qui balaie tout sur son passage », le prêtre se sent pousser des ailes. Il s'est aussi trouvé un emblème, le coq, « l'animal qui chante et qui réveille ». C'est aussi l'animal fétiche des vaudouisants. Ce n'est pas innocent. Le message est clair, Aristide le catholique joue avec l'image du vaudou. François Duvalier n'avait pas procédé autrement...
« Homme du peuple », « choisi par le peuple », il déclare ne craindre personne. Interrogé par des journalistes, il pré-cise même qu'« il ne peut envisager l'hypothèse où il ne serait pas élu ».

 

Son programme est des plus simples. Rappelant sans cesse que « tout homme est un homme », il entend avant tout rendre sa dignité au peuple haïtien. Ses discours sont construits comme des sermons, des réponses de prière. Il pose une question, donne la réponse et la foule reprend comme à l'église... Les autres candidats ne peuvent l'égaler. Trop éloignés des préoccupations du peuple. Quant à Lafontant, déclaré inéligible, il doit suivre le scrutin en spectateur. Le jour J, la victoire est incontestable. Aristide devance largement tous ses rivaux. Il est élu président d'Haïti avec 67 % des voix. Un triomphe. Le « candidat des déshérités », comme l'appellent les bourgeois haïtiens devient à trente-sept ans président de la première République noire du monde. Comme si un miracle venait de s'accomplir dans l'un des pays les plus pauvres de la planète.


Tentative de putsch

7 janvier 199 1. Dans un mois, jour pour jour, le père Aristide doit prendre ses fonctions. L'ancien ministre de l'Intérieur de Jean-Claude Duvalier ne l'accepte pas. Dopé par certaines « garanties » de quelques militaires, Roger Lafontant et une poignée de partisans s'emparent du palais. L'exresponsable de la milice des tontons macoutes détient en otage Ertha Pascal Trouille La présidente par intérim est forcée de démissionner.


Au cours des premières heures de la nuit, le calme règne. Les militaires dorment. Informé par télédyol - le téléphone « arabe » local -, le peuple se soulève. Une masse impressionnante marche vers le centre-ville. Très vite, le peuple érige des barricades. La foule menace. Tout Port-au-Prince est dans la rue. « À deux heures trente du matin, la mine défaite, Ertha Trouillot apparaît à la télévision. Contrainte et forcée, elle lit un discours en trompe l'oeil. Puis, Lafontant intervient. Assis dans un fauteuil, le drapeau national à ses côtés, le visage dur, inquiet et crispé, il prononce un discours pompeux. "Avec Aristide, proclame avec emphase le nouveau dictateur, Attila était aux portes du pouvoir...» Serge Beaulieu, un proche de Lafontant, coiffé de son célèbre béret rouge, menace sur la radio macoute qui se nomme - cynisme ou provocation? - « Radio Liberté ». « Nous sommes le pouvoir », proclame-t-il.


Dès l'annonce de la tentative de coup d'État, les ÉtatsUnis appellent l'armée haïtienne « à respecter la Constitution, à restaurer le gouvernement de la présidente Ertha Trouillot et à garantir que le processus démocratique sera respecté ».


Le message américain, mais aussi et surtout la réaction populaire stimulent le général Hérard Abraham. Il doit agir vite. L'homme n'est pas sans courage. Il condamne immédiatement et fermement le coup de force des néoduvaliéristes. Il va «mater la mutinerie». Le putsch n'a pas bénéficié, comme l'espérait Lafontant, du soutien d'une partie de l'armée. « À neuf heures trente, les apprentis putschistes se rendent après une nuit de conquête du pouvoir. La rumeur court déjà que Lafontant et ses acolytes ont consulté un sorcier. Selon les prévisions de ce sorcier, le pouvoir devait être entre les mains des macoutes le 6 janvier à dix heures du soir pour la fête des Rois... Toute la nuit, le palais aurait été le théâtre d'une cérémonie vaudou. » Capturé, Roger Lafontant est conduit au quartier général des forces années. Il est décoré d'une guirlande de Noël par les militaires, trop contents de voir cet homme, arrogant et sûr de lui, tombé entre leurs mains.


Dehors, la ville danse. La marée humaine est en transe. Le peuple a gagné. Encouragé par cette victoire, il traque à présent les macoutes avec rage. Des bandes s'attaquent à des partisans présumés de Roger Lafontant. Certains sont lapidés. D'autres sont brûlés vifs. Incontrôlables, quelques manifestants mettent le feu au siège de la conférence épiscopale, et à l'ancienne cathédrale de Port-au-Prince. Construite en grande partie en bois, elle flambe rapidement. La nonciature est mise à sac. Le nonce de l'époque, Mgr Giuseppe Leanza, est maltraité. Humilié en public. Son secrétaire est blessé. Le peuple ne pardonne pas à la hiérarchie catholique de s'être livrée à des attaques contre le père Aristide. Dans son homélie prononcée six jours auparavant, en effet, Mgr Wolf Ligondé, l'archevêque de Port-au-Prince, n'avait pas ménagé ses critiques à l'égard d'Aristide.

De la prophétie à la réalité

Port-au-Prince, le 7 février 1991. Dans les rues en effervescence, la foule exulte. Le président arrive au palais pour son investiture. Une surprise l'y attend. Les enfants des rues ont confectionné à son intention un fauteuil en acajou. Pour ces gosses et leurs parents, il n'est pas souhaitable que le président le plus improbable de l'histoire du pays hérite du siège des Duvalier. Ce vieux fauteuil a vu s'asseoir trop de dictateurs pour ne pas être ensorcelé par le démon. Il aurait transformé à coup sûr Titid en tyran ou en fou, quelles que soient ses intentions initiales...


A ses partisans comme à ses adversaires, Aristide doit désormais démontrer que le prophète peut se muer en gestionnaire, et prendre en compte les réalités économiques et géopolitiques. « Après la bataille, les tambours sont lourds », lui lance l'ambassadeur des États-Unis, Alvin Adams. Il lui répond sèchement: « Quand on est nombreux, la charrue est légère. » Puis il ajoute sa célèbre devise: « Nous sommes analphabètes, mais nous ne sommes pas bêtes. » Le président emploie le « nous » et non pas le « je ». Il associe complètement le mouvement Lavalas à son arrivée au pouvoir. Une manière de se fondre encore un peu plus dans le peuple. « Je préfère qu'on m'appelle Titid plutôt que Monsieur le Président. C'est plus familier et plus proche des gens. Je ne m'accroche pas aux titres mais à l'être . »


Assurément, Jean-Bertrand Aristide n'est pas un président comme les autres. Avec ses lunettes cerclées de métal doré et son visage rasé de près, l'homme a échangé sa soutane contre un costume-cravate de chef d'État. Malgré cela, il reste, pour beaucoup, le petit curé de Saint-Jean-de-Bosco. Une fois élu, le prêtre-président ne refuse pourtant pas l'appellation de « prophète ». « Je suis un serviteur comme Jésus l'est par excellence. » Les Haïtiens le croient. Titid est celui que Dieu a envoyé pour secourir et racheter le pays après tant d'années terribles et gâchées. La vigueur de ses poèmes créoles, qu'il interprète lui-même à la guitare dans sa résidence privée de Tabarre, a semé cette espérance insensée. « Soulève la table », chante-t-il. En l'occurrence, la table symbolise le pays : la bourgeoisie, les Américains et les tontons macoutes festoyant dessus, alors que le peuple est massé dessous le ventre creux. « Il est temps de secouer la table, de la déplacer, de la tourner, de la frapper et de la réparer, de la décorer et la couvrir afin que la nourriture qui la recouvre aille à tous, en même temps que la liberté, le travail, la justice, le respect et l'éducation."


Au palais national, dressé comme une pièce montée au centre de Port-au-Prince, la table de travail du président Aristide attire le regard. Ce n'est certes plus l'imposant bureau de Papa Doc, mais celui d'Aristide est toujours décoré d'orchidées jaunes et d'un petit coq d'argent, symbole de sa campagne électorale. Moderne sans être toutefois « branché », Aristide porte un « bip » à la ceinture.

Neuf mois d'espoir

Dès le jour de son investiture, Aristide multiplie les gestes symboliques. Les enfants des rues sont invités au palais. On distribue de la soupe aux pauvres. Plus significatif encore, Aristide estime que son salaire de président, dix mille dollars mensuels, est « un crime dans un pays où le peuple n'a pas assez à manger ». Des chèques sont versés à des organismes humanitaires.


Pourtant, la vie des Haïtiens ne change pas autant et aussi vite qu'ils l'auraient souhaité. L'image exceptionnelle d'Aristide se ternit quelque peu. L'homme et son image se banalisent. Ses nouvelles fonctions mettent au jour ses lacunes. « Nous étions prêts pour un vrai changement, explique un jeune homme d'affaires, mais nous ne voyons qu'ambiguïtés et amateurisme. » De fait, Titid n'arrive pas à impliquer les acteurs économiques dans sa politique. Impulsif, il fait surtout preuve de naïveté dans le domaine économique. Peut-on le lui reprocher? Prêtre, il n'a jamais vraiment dû s'affronter à ce genre de problèmes.


Autre difficulté, René Préval, son Premier ministre, ne semble pas à la hauteur. Le Parlement songe rapidement à s'en débarrasser. Mais ce boulanger conserve le soutien du peuple qui attend les parlementaires avec des pneus enflammés prêts à les leur passer autour du cou. La menace du supplice du collier, dit du « père Lebrun », apparaît comme le meilleur allié d'Aristide.


Les Haïtiens considèrent même le « père Lebrun » comme le « vrai » ministre de la Justice. Le nom de ce nouveau Guillotin de la révolution haïtienne vient, comme le raconte avec talent Charles Najman,  d'une publicité tournée par un certain Claude Lebrun, un mulâtre, importateur de pneus... À la fin du spot, qui vante les mérites de sa gamme «Kuhmo», l'homme passe sa tête à l'intérieur du pneu. Depuis, Claude Lebrun est devenu, involontairement, très célèbre.


Fort de son soutien populaire, Aristide révoque sans ménagement les membres de la hiérarchie militaire trop proches de l'ancien régime. Mais il commet une erreur de taille en limogeant six officiers dont le général Abraham, un homme honnête, soucieux de mettre l'armée au service du peuple. Il est le seul susceptible d'épauler loyalement Aristide. Personne dans l'entourage du président n'arrive à lui faire comprendre qu'il agit avec légèreté. Dans ses propos publics, Aristide parle de tout autre chose. Il prône « le changement par l'amour »! Comme le précise Charles Najman : « Aristide au pays des macoutes, c'est David contre Goliath... » C'est aussi un naïf au pays des voyous...


Pourtant, le mouvement Lavalas qui l'a porté au palais, sachant user de sa force, fait comprendre aux détracteurs et mécontents que les supporters d'Aristide « veillent ». Est-ce suffisant pour freiner les ardeurs des militaires et des macoutes ? Titid pense que le peuple le protège. Pour lui, inspiré par Jean-Jacques Rousseau: « L'homme est naturellement bon, c'est la société qui le corrompt. » Il aime les hommes de son pays et ceux-ci le savent et lui en savent gré. L'entente, la solidarité sont totales. « Si je souffre, le peuple souffre avec moi. » Aristide pense qu'il n'a pas besoin de sondage pour connaître l'opinion du peuple. Il fait confiance à son instinct pour écouter la foule qui s'exprime « en gestes et en paroles mais également par des silences éloquents ».
Tout au long de l'été 1991, Aristide continue à faire pression sur le Parlement pour imposer la réforme agraire, une augmentation du salaire minimal, et un gel sur les prix de certains « produits de première nécessité », tels que le pain, le riz et la farine. Il met en avant son programme anticorruption, et formule l'intention de lutter contre le transit de la drogue par Haïti.


Les membres de son cabinet l'informent de rumeurs de coup d'État. Menacée dans son business, l'élite du pays s'appuierait sur l'année pour faire chuter le président. Des plans sont déjà en route, disent certains. La plupart estiment qu'Aristide fait une erreur en s'en prenant aux trafiquants de drogue si tôt dans son mandat. Mais, pour ceux qui ont été témoins du soutien à Aristide, début janvier, lors de la tentative de coup d'État de Roger Lafontant, ces menaces n'apparaissent pas si dangereuses.


Le 25 septembre 1991, après sept mois de pouvoir, Aristide s'adresse aux Nations unies. Un discours à l'image du personnage, polyglotte et cultivé, message de justice sociale et de progressisme teinté de multiples références bibliques. « La puissance de quelques-uns, suggère-t-il, porte la responsabilité du précaire état du monde. » Il prend pour exemple le commerce des narcotiques, qui met en péril la stabilité de la démocratie en Haïti comme ailleurs en Amérique latine: « Il est important de noter que le trafic de drogue est généré et entretenu par la demande émanant du Nord. Il est nécessaire d'éliminer cette demande de production qui vient de clients de pays industrialisés. »


Premier président d'Haïti à prendre la parole à la tribune des Nations unies, il fait perdre la tête aux traducteurs de l'ONU, en parsemant son texte français d'un « abrazo » fraternel à ses « companeros » latino-américains, d'un hommage en anglais à ses frères et soeur haïtiens des États-Unis, d'un salut en lingala à ses collègues africains, d'un « Que le nom de Dieu soit loué » en arabe, suivi d'un « Que la paix soit avec vous » en hébreu! « Ensemble, nous sommes plus forts », a-t-il poursuivi en allemand, avant d'encourager les diplomates italiens à « continuer à oeuvrer pour la paix des peuples ».


« Devinez quelle langue va maintenant faire son entrée aux Nations unies? demande Aristide. « Oui, oui, le créole », répond-il sous les yeux amusés de la délégation française. Après la cérémonie, il se laisse aller à quelques bavardages: « Je préfère échouer avec mon peuple que réussir sans lui, car avec lui on ne peut pas échouer. » « J'ai cueilli la démocratie dans le jardin du peuple », disait-il, quelques jours plus tôt, à Bernard Diederich, qui écrit dans un de ses articles : « Mais la démocratie est une fleur fragile. Même entre les mains d'un prophète. ` »


Alors qu'il se trouve encore à New York, Aristide est averti d'un complot destiné à le renverser dès son retour. Ce n'est pas la première fois. Mais cette fois, le « plan » semble exceptionnellement détaillé. La nervosité gagne les membres de la délégation haïtienne. Même Aristide apparaît tracassé.


De retour à Port-au-Prince, Aristide répond. Ce 27 septembre, il déclare compter sur les « riches » pour partager leurs subventions, pour réinvestir les profits localement plutôt qu'à l'extérieur du pays, pour payer des taxes, pour ouvrir des emplois aux chomeurs, et aux affamés. « Du côté de la justice sociale, dit-il sombrement, je compte sur l'instrument pour aider à assurer la rencontre de ces buts. » Bien qu'Aristide maintienne aujourd'hui encore qu'il se référait à la Constitution, beaucoup pensèrent, sur le coup au supplice du « père Lebrun », pour faire face aux menaces putschistes...


Le vendredi soir, le général Cédras nommé depuis le 7 février 1991 à la tête de l'état-major, puis commandant en chef des armées, souhaite un « bon week-end » au président, lui assurant que « tout est calme ». « Une fois de plus, il s'agit de rumeurs. Rien d'inquiétant... » Les deux hommes partent en week-end.

 

A suivre.

Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents