Cher(e) ami(e)s,
voici (en fichier joint et ci-dessous) le nouveau numéro (numéro 1 du
volume II) de "Sentinelle du peuple" dans sa
version en français.
Il est diffusé en créole en Haïti tous les mois depuis plus d'un an.
Si vous l'appréciez, nous comptons sur vous pour le faire connaître
autour de vous.
Vous trouverez tous les numéros en créole sur le site :
http://www.santinel.webuda.com
L'équipe du journal
santinelpep@yahoo.fr
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Volume II
numéro1
Mars 2011
LA SENTINELLE DU PEUPLE
La Sentinelle est devant, elle éclaire le chemin
de la libération du peuple.
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Editorial
Amis lecteurs, le journal aborde sa deuxième année avec ce premiernuméro. Nous avons reçu plusieurs propositions d'amélioration de la présentation et du contenu des articles. Nous avons fait des efforts
pour aller dans ce sens et nous avons augmenté le nombre de rubriques.
Nous fournissons davantage d'informations et d'analyses. Nous avons amélioré la mise en page. Pour ce qui est de la diffusion du journal, nous cherchons à établir des contacts partout afin que notre message arrive le plus loin possible à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Nous avons besoin d'une plus grande participation des lecteurs aux discussions ; les débats peuvent être davantage liés à la situation que vit le pays, qui se trouve plongé dans la boufonnerie.
Nous souhaitons que les partisans de Sentinelle continuent à distribuer le journal, nous fassent trouver des articles, nous fassent des propositions pour nous permettre d'améliorer notre travail.
Patriotes, nous voici à nouveau confrontés à un grave séisme. Après le séisme provoqué par le tremblement de terre, nous avons assisté à un séisme politique qui a enterré sous ses décombres le projet de la mafia de Préval de se maintenir au pouvoir. Aujourd'hui nous sommes passés à un séisme électoral qui a enseveli les partis politiques et la majorité (les trois-quarts) des électeurs. L'international voulait une élection-sélection lui servant à mettre en place ses projets de domination sur le pays. On a voulu ignorer la position de la majorité des électeurs qui ne voulaient pas aller aux élections avec Préval et ce CEP. On a méprisé les partis politiques qui disaient non, fatigués qu'ils étaient de recevoir des mauvais coups de la part de Préval.
Plusieurs plateformes politiques ont organisé une conférence au Distinction Night Club pour mobiliser contre les élections. Ce fut une belle initiative. Mais la suite des événements n'a pas tardé à montrer que c'était du bluff. Cette conférence n'a pas eu de suite. Il n'y a eu aucune stratégie sérieuse pour mettre en échec Préval et ses
patrons internationaux. C'était de belles paroles. Mais, aujourd'hui, bien des partis politiques qui n'ont pas participé aux élections se déhanchent pour obtenir des strapontins dans le nouveau gouvernement.
Le journal Sentinelle du peuple n'a pas changé de position et poursuit toujours les mêmes objectifs :
1. Il n'y a pas eu d'élection démocratique dans le pays. C'est un complot électoral entre menteurs et coquins qui a réussi à attirer un million d'Haïtiens dans ce piège.
2. Même si le coup a réussi, à cause de la lâcheté et du manque de stratégie des dirigeants d'organisations et de partis politiques, la lutte continue pour que le pays et le peuple échappent au contrôle des pays étrangers.
3. Nous n'avons pas à gémir sur notre défaite mais à faire notre autocritique. C'est la formation politique de la population qu'il fau poursuivre. Ce sont des organisations politiques sérieuses et crédibles que nous devons mettre sur pied partout dans le pays. On ne peut pas faire de politique sans moralité, sans principe, sans une
organisation conséquente liée au peuple.
Les jeunes hommes et les jeunes femmes qui veulent vraiment défendre les intérêts du pays doivent construire des organisations sociales et politiques solides pour affronter le plan de l'impérialisme et de ses
alliés dans le pays. Cette lutte doit déboucher sur la construction d'un Etat national qui protège les richesses et les intérêts du pays.
Travaillons à cela partout à l'intérieur comme à l'extérieur du pays.
Le chemin est long, mais un peuple organisé ne perd jamais la bataille.
L'équipe du journal.
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I. LA SELECTION EST TERMINEE. ILS ONT CHOISI LE ROI, LA CRISE DU PAYS VA ETRE CARREMENT GEREE COMME DANS UN CARNAVAL.
Depuis plus de 30 ans, Haïti est secoué par une grande crise qui l'empêche de pendre la route du développement. Cette crise s'étend à tous les secteurs d'activité : l'agriculture, l'environnement, l'industrie, le commerce, la finance, la politique, l'éducation etc.
Si cette crise générale n'a pas cessé de gagner du terrain, c'est parce que les élites n'ont jamais eu le souci de construire la nation.
Elles ont laissé l'Etat s'affaiblir complètement et l'ont livré aux impérialistes, qui ne sont pas ici pour réformer l'Etat pour le bénéfice des Haïtiens mais pour le piller. Pour que cela soit plus clair, nous allons analyser les dernières manœuvres concernant les élections-sélections.
1.1. Pour que le plan des impérialistes se concrétise, il faut que l'impunité et la discorde continuent à régner dans le pays.
Après le séisme, le pouvoir en place n'a posé aucun acte juridique ou administratif pour faire en sorte que la construction de maisons ne provoque plus la mort des gens lors de n'importe quelle petite
secousse. Il a au contraire préféré livrer totalement le pays à la communauté internationale. Le pouvoir et la MINUSTAH ont profité de la confusion ambiante pour laisser s'évader des anciens criminels et des kidnappeurs. Ils ont infligé au pays un état d'urgence et lui ont imposé des élections-sélections. Par-dessus le marché, les
gouvernements américain, français et haïtien se sont entendus pour faire revenir Jean-Claude Duvalier et Jean-Bertrand Aristide, en attendant le tour d'autres criminels comme Michel François, Raoul Cédras, Toto Constant etc. Par conséquent, tout en distrayant le peuple avec la sélection piégée qui divise le pays en deux camps adverses, les impérialistes ouvrent les vannes de l'impunité et de :l'insécurité. En plus, ils laissent Aristide et Duvalier rassembler leurs troupes, pour le cas où ils auraient besoin que l'instabilité se développe dans le pays.
Pendant que la communauté internationale met en scène le spectacle de la zizanie opposant quelques politiciens haïtiens n'ayant rien dans la tête et luttant pour une ombre de pouvoir, les produits dominicains et
américains finissent de s'emparer du marché national, les compagnies étrangères et les ONG internationales profitent de la situation pour faire de l'argent dans le domaine l'aide humanitaire et du ramassage des décombres. On fait des préparatifs pour transformer la tutelle en protectorat, la prospection de mines et d'autres ressources naturelles avance, et de même les études pour installer des zones franches sont en train d'être finalisées. Quant à la CIRH, elle se prépare à faire renouveler son mandat.
1.2. Baisser les taxes supportées par le peuple afin qu'il participe à la sélection, et après le rouer de coups.
Depuis le dernier trimestre 2010, le prix du pétrole et ceux des produits alimentaires montent en flèche sur le marché international. Le pouvoir et la tutelle des Nations unies qui le protège auraient pu constituer des réserves stratégiques en produits pétroliers et mettre sur pied un programme agricole conséquent afin d'augmenter la
production de nourriture ; au lieu de cela, ils ont préféré utiliser le problème contre le peuple.
Alors que le pays retire un avantage important du contrat Petrocaribe, sous la forme d'un crédit accordé à l'Etat, Préval a choisi de confier à l'UNIBANK le soin de faire de la spéculation avec cet argent, pour servir ses intérêts et ceux de ses amis. Il a réduit le montant des taxes sur le prix des produits pétroliers à partir du mois de septembre de l'année dernière, c'est-à-dire avant le démarrage de la mascarade de la campagne électorale. Depuis le mois d'août, toutes les agences des Nations unies et toutes les ONG étrangères remplaçant l'Etat se sont répandues partout à travers le pays pour inciter le peuple à accepter d'inutiles jobs "cash for work".
Les résultats du second tour de la sélection n'étaient même pas encore publiés que le gouvernement augmentait de 35 % le prix de vente de l'essence, du diesel et du kérosène ; et l'oligarchie a ajusté en conséquence le prix du riz, du sucre, de la farine, de l'huile etc. ; le PAM, le PNUD et les ONG ont commencé à fermer le robinet des jobs et de l'aide alimentaire qu'ils distribuaient en ville comme en milieu rural. La vie chère et la misère frappent plus durement la population.
Ainsi donc, pour encourager le peuple à entrer dans le piège des sélections, la communauté internationale et le pouvoir avaient fait mine de chercher à baisser le coût de la vie ; puis, quand cette affaire a été réglée, ils ont cogné sur le peuple encore plus fort.
1.3. Les impérialistes, l'oligarchie et le pouvoir ont conduit 15 % de la population à pousser le pays dans le carnaval de Tèt Kale.
Pour que son plan ait une assise plus solide dans le pays, la communauté internationale a imposé la sélection et a financé son organisation. Pour assurer son pouvoir économique, l'oligarchie a acheté des candidats à tous les niveaux. Préval et son clan ont renforcé leur pouvoir, ont monté Inite, ont placé la machine électorale sous leur contrôle et ont alors déclaré que les inscriptions pour "les élections" étaient commencées. C'était à prendre ou à laisser !
De nombreuses plateformes de partis politiques ont boudé la sélection et appelé au boycott ; après le premier tour, les mêmes ont demandé son annulation. Mais la suite des événements allait montrer que pour
la plupart de ces partis, c'était du bluff. Pour la majorité d'entre elles, les grandes organisations sociales sérieuses ne se sont pas laissées prendre au piège, mais beaucoup de leurs bases se sont alignées derrière leurs candidats. Les impérialistes et l'oligarchie ont fait croire à Mme Manigat que cette fois il n'y aurait pas de problème ; pendant ce temps-là, ils entrainaient Martelly, leur « Tèt Kale ». Préval pensait les prendre de vitesse ; ils ont demandé à leur bandit légal, Martelly, de mettre ses chimères dans la rue, et c'est ensuite qu'ils ont donné leurs résultats définitifs du premier tour, estimés à partir d'un simple échantillon. Mais la masse du peuple n'a pas pris part à la sélection du roi du carnaval, ni au premier ni au second tour. Sur un total de 4 millions 712 mille électeurs, c'est à peine si 717 mille ont participé à l'opération consistant à enfoncer le pays encore plus profondément dans le pétrin.
Tèt Kale est un populiste, et en ce sens ressemble à Aristide, mais il avait sa carte de macoute sous Jean-Claude Duvalier ; il se met à genoux devant les dirigeants étrangers tout comme Préval. Les impérialistes et l'oligarchie n'ont pas été capables de trouver un meilleur roi de Mardi Gras pour plonger le pays dans la bouffonnerie pendant qu'ils continuent à le piller avec obstination.
Jean Jacques AINE
II. COTE D'IVOIRE / HAÏTI : C'EST LE MEME COUP DE BATON DES ELECTIONS-SELECTIONS QUE DONNENT LES IMPERIALISTES.
2.1. La France fait toutes sortes d'acrobaties pour défendre ses intérêts en Côte d'Ivoire.
Avec la couverture des Nations unies, le président Sarkozy a donné l'ordre à l'armée française de débarquer en Côte d'Ivoire sous le prétexte de protéger la vie de sa population contre les bandits de Laurent Gbagbo et pour le forcer à respecter les résultats de l'élection-sélection du 28 novembre 2010. Mais il est clair pour tout
le monde que ce sont les intérêts du capitalisme français que Sarkozy est venu défendre. En 2002, sous la présidence de Jacques Chirac, la France avait déjà envoyé son armée en Côte d'Ivoire. A l'époque, c'était pour empêcher les armées rebelles, dirigées par Guillaume Soroh, le premier ministre du président Alassane Ouattara (celui qui asoi-disant gagné les élections du 28 novembre) de renverser le gouvernement de Laurent Gbagbo, qui défendait alors les intérêts de la France.
2.2. La France veut conserver sa domination sur la Côte d'Ivoire de la même manière que les impérialistes américains veulent maintenir Haïti sous leur tutelle.
L'armée française se livre à des exactions en Côte d'Ivoire, son ancienne colonie, pendant que Sarkozy vante le courage d'Aimé Césaire, un grand écrivain martiniquais qui a toujours dénoncé la colonisation que la France a imposée aux pays d'Afrique. La manière dont la Frances'est ingérée dans les problèmes internes de la Côte d'Ivoire montre sa volonté de renforcer sa domination sur ce pays. Pour ce faire, le gouvernement français s'est efforcé d'obtenir le feu vert des Nations-unies, une institution qui devrait garantir la paix dans le monde, mais qui se trouve totalement sous le contrôle des grands pays impérialistes.
C'est la même chose que font les Américains en Haïti. Ils se servent de la MINUSTAH comme instrument pour renforcer leur domination sur le pays. Que l'on songe aux désordres et au climat de peur que les Etats impérialistes ont installés dans le pays après la publication des résultats provisoires des élections-sélections, dans le but de prendre le contrôle du CEP et d'imposer les résultats qu'ils voulaient.
Lorsqu'ils agissent ainsi, les grands pays impérialistes prétendent mettre en avant l'intérêt du peuple, mais tout le monde sait bien que ce sont les intérêts des grandes compagnies multinationales qu'ils défendent. En Côte d'Ivoire, l'eau et l'électricité sont aux mains d'une multinationale française, Bouygues. Le secteur bancaire est
entre les mains d'une série de grands groupes financiers : BNP, Société Générale, Crédit Lyonnais. Les ports eux-mêmes sont aux mains d'une autre multinationale nommée Bolloré, tandis que le secteur descommunications est monopolisé par une compagnie française appelée Orange.
Les agissements des impérialistes français en Côte d'Ivoire sont semblables à ceux des impérialistes américains en Haïti. En Haïti, les multinationales américaines sont présentes avec American Airlines,
Comme Il Faut, Labadie, Voilà etc. Aujourd'hui ils travaillent au renforcement du plan néolibéral en Haïti pour prendre le contrôle de toute l'économie du pays. C'est la principale raison pour laquelle ils ont envoyé l'ancien président Bill Clinton prendre la tête de la CIRH en Haïti.
2.3 Les grands pays impérialistes s'entendent pour redistribuer les cartes de la domination sur les pays pauvres.
Les grands pays impérialistes se sont partagé le monde. Chacun d'entre eux dispose de zones qu'ils peuvent piller comme bon leur semble. Une bonne partie de l'Amérique est sous le contrôle des Etats-Unis ; dans
cette même zone, quelques petits espaces sont sous le contrôle de quelques anciennes puissances coloniales, comme la France et l'Angleterre. Ces deux puissances contrôlent un morceau du continent africain, dont elles ont maintenu la population sous le joug colonial pendant plus de soixante ans. Il y a souvent eu des petites querelles entre elles, l'enjeu étant de savoir à qui devait revenir la plus grosse part lors du partage des richesses des pays pauvres. C'est pourquoi la France s'est dépêchée d'envoyer son armée en Côte d'Ivoire. Alassane Ouattara, le candidat qui, selon les dires de la communauté internationale, aurait gagné l'élection présidentielle du 28 novembre, était déjà dans la poche des Etats-Unis. La France veut faire savoir que la Côte d'Ivoire fait partie de son territoire.
Rappelons que la Côte d'Ivoire est un des plus gros producteurs de cacao dans le monde, une denrée qui rapporte beaucoup d'argent.
L'instabilité politique, l'élection-sélection et l'impunité, voilà donc les moyens que les impérialistes utilisent aujourd'hui, dans cette période d'économie néolibérale, pour redistribuer les cartes de la domination sur les pays pauvres. Pour y arriver, ils recherchent la complicité d'hommes à leur service parmi les élites économiques et
politiques de ces pays. Les intérêts du peuple ivoirien n'ont rien à voir avec la lutte entre Gbagbo et Ouattara. C'est le moyen que les impérialistes utilisent pour renouveler l'équipe de domestiques défendant leurs intérêts, tout comme en Haïti la querelle opposant Préval, Manigat et Martelly. Dans les pays pauvres, la lutte du peuple
pour sa libération et la défense de ses richesses passe, pour commencer, par un combat contre les domestiques des impérialistes.
Mercidieu BENOIT
III. LORSQUE LES LUTTES POLITIQUES NE S'ARTICULENT PAS AVEC LES LUTTES ECONOMIQUES, IL N'Y A JAMAIS DE VRAI CHANGEMENT DANS LE PAYS.
Amis et lecteurs, pour inaugurer sa deuxième année d'existence, le journal Sentinelle du peuple présente une rubrique économique. Nous faisons beaucoup de politique dans le pays mais, dans nos réflexions et quand il s'agit d'action, nous négligeons la question des richesses et des ressources d'Haïti et ce qui concerne la production et la commercialisation. Pourtant, c'est la sphère de l'économie qui est déterminante ; c'est elle qui domine tous les types de relations qui s'établissent entre les catégories sociales, aussi bien dans le pays
que dans le monde entier. La politique vient soutenir l'économie ; les grands bourgeois font de la politique pour protéger leurs positions économiques. Dans leur travail, les militants des organisations politiques et des organisations sociales doivent donner plus de place à la transmission de connaissances sur les questions économiques. C'est pourquoi Sentinelle du peuple ouvre aujourd'hui ce débat.
3.1 Pendant longtemps, l'économie de prédation fut basée sur la concentration des terres et la mainmise sur les denrées des paysans.
En Haïti, comme dans les autres pays sous domination impérialiste, ce qui pour ces puissances est le plus important dans l'économie, c'est la question des ressources naturelles, des matières premières, de la
force de travail de la main d'œuvre et toutes les autres richesses permettant de faire rapidement de l'argent. Une petite poignée de familles de l'oligarchie haïtienne s'est associée à quelques compagnies étrangères pour accaparer tout ce qui avait de la valeur dans le pays. Elles se sont donc lancées dans toutes sortes
d'activités économiques afin d'amasser tout ce qu'elles pouvaient,sans se soucier des conséquences.
Après 1804, l'exploitation économique a reposé dans un premier temps sur la prise de contrôle de toutes les terres par les anciens affranchis et par les hauts gradés de l'armée indigène. Il fallait ensuite que ces terres soient exploitées ; ils ont donc chargé des paysans de cultiver des champs pour eux dans le cadre d'un système de "deux-moitiés" (métayage). La force de travail et la sueur des petits paysans en deux-moitiés ont enrichi beaucoup de grands propriétaires ainsi qu'une série de négociants de l'import-export. A partir des années 1850-1860, les paysans ont commencé à bouder le système de "deux-moitiés" et à chercher à disposer de leurs propres terres. Les prédateurs sont alors passés à une vitesse supérieure dans la destruction des forêts du pays et ils se sont investis davantage dans la spéculation de denrées telles que le café et le cacao. Ils pillèrent les récoltes des paysans pauvres en utilisant des balances truquées et en sous-évaluant les prix ; à cause de ce comportement, non seulement les conditions de vie de ces travailleurs ne pouvaient pas changer, mais en plus l'environnement du pays commença à se détériorer.
Après 1915 et la première occupation américaine, les pilleurs se sont tournés vers la banane, le sisal, la canne à sucre,l'hévéa. C'est la même forme d'exploitation que les travailleurs ont continué à subir, même si les grands propriétaires fonciers haïtiens ont cédé la place à des compagnies étrangères sur les grandes plantations. Dans
les années 1950-1960, les prédateurs ont fait main basse sur les mines d'aluminium et de cuivre du pays. C'est à cette époque également qu'a été installé un système d'irrigation dans la vallée de l'Artibonite ; les grands propriétaires ont accaparé les meilleures terres et ont commencé à mettre en place le même système de "deux-moitiés" sur leurs plantations de riz.
L'économie mondiale se transforme à chaque nouvelle période et, comme l'économie du pays est encore une économie dominée, elle s'adapte chaque fois aux demandes reçues de l'étranger. Certaines activités du pays disparaissent à cause du laisser-aller et de la négligence de l'Etat et en raison du caractère rapace de l'oligarchie haïtienne et des prédateurs étrangers. La demande mondiale de café et de cacao est toujours là, mais en Haïti la production de café s'est écroulée en raison des conditions dans lesquelles s'exerce le pillage. En Haïti, la production annuelle est passée de 300 mille sacs de café à moins de 60 mille sacs. Il en est de même pour la production de riz : dans les années 80, nous arrivions à produire plus de 100 mille tonnes de riz, alors qu'aujourd'hui nous n'arrivons même pas à en produire 60 mille ; pendant ce temps le nombre d'habitants est passé de 5 millions à 10 millions. Et la consommation de riz, qui était de 100 mille tonnes dans les années 80, dépasse aujourd'hui les 400 mille tonnes. Etpourtant, l'Etat continue à appliquer une politique qui revient à
laisser périr le secteur agricole.
3.2 Aujourd'hui l'économie de prédation repose sur la spéculation pratiquée par les banques avec l'argent du peuple et sur la vente à un prix élevé des produits importés.
Depuis la fin des années 80, les prédateurs ont changé de mode defonctionnement. C'est en revendant des produits achetés à l'étranger et en installant des ateliers d'assemblage où les ouvriers sont pressés comme des citrons qu'ils arrivent à gagner sur tous les tableaux. C'est la raison pour laquelle l'Etat haïtien a signé plein
d'accords avec le FMI, la Banque mondiale, l'Union européenne,l'USAID, etc. : il s'agissait d'ouvrir grand les portes du pays aux produits étrangers et d'abandonner la production nationale dans le cadre du plan néolibéral. Par conséquent, depuis les années 80, les paysans et les artisans se trouvent engagés sans le savoir dans une
lutte avec de grandes compagnies étrangères qui exportent en Haïti du riz, de la viande, de l'huile, de la farine, des spaghettis et bien d'autres produits encore. L'oligarchie haïtienne se contente d'appliquer un taux de marge de 30 à 40 % sur les produits importés, de drainer dans les banques privées toute l'épargne du pays, dont
elle se sert pour spéculer sur le dollar et prêter de l'argent à des taux d'usure, et puis elle prend 10 % sur les transferts que les pauvres envoient depuis l'étranger à leur famille. L'Etat, quant à lui, se contente de prendre son pourcentage par le biais des taxes et des impôts, mais avec cet argent il ne résout aucun problème social et
il ne l'utilise pas non plus pour encourager la production nationale.
C'est dans la corruption que passe cet argent, que se partagent les hommes puissants de la politique et les gens de l'oligarchie. Avec les exigences des organisations internationales, l'économie fonctionne aujourd'hui d'une manière qui n'est à l'avantage ni de la population ni du pays. Ce sont les compagnies étrangères, l'oligarchie et les politiciens au pouvoir qui s'en mettent plein les poches, tandis que le pays dépérit et que la population souffre de la faim et de la misère.
Nous ne devons pas simplement dénoncer les pays impérialistes et l'oligarchie, qui accaparent toutes nos richesses et nos ressources.
Nous devons chercher à mieux comprendre la structure économique et financière du pays, et chercher à définir et à mettre en application une stratégie pour renverser ce système d'exploitation. C'est la seule manière qui soit vraiment conséquente pour arriver à changer dans ce pays la vie des paysans, des ouvriers, des artisans, des chômeurs,femmes comme hommes, jeunes comme adultes.
Gasner JOSEPH
IV.- L'HISTOIRE DES FAMILLES ET DES GROUPES ECONOMIQUES QUI CONTROLENTLES RICHESSES ET LA POLITIQUE DU PAYS.
Durant les deux cents ans de notre vie comme peuple, plusieurs périodes se sont succédé. Ainsi, au long de son histoire, le groupe constitué par les familles qui contrôlent les richesses du pays a connu plusieurs changements, tout comme a évolué leur manière d'agir pour exploiter la masse du peuple.
1. Dans une première phase, qui a commencé peu de temps avant l'indépendance et tout de suite après, les généraux de l'armée et autres hauts gradés se sont partagé énormément de terres, surtout beaucoup de belles propriétés situées en plaine, qui étaient aux mains des colons français. D'ailleurs, les efforts de Dessalines pour
redistribuer les cartes, de manière à permettre aux anciens esclaves, qui allaient former le secteur paysan, d'obtenir un morceau de terre, allaient déboucher sur un complot pour l'assassiner. Durant cette phase, s'activait aussi un petit groupe de négociants, surtout étrangers, qui achetaient et vendaient les denrées. Petit à petit ces
deux groupes se sont liés l'un à l'autre et se sont entendus pour dépouiller les paysans. Remarquons également que ce sont ces mêmes généraux qui ont occupé le fauteuil présidentiel et toutes les fonctions importantes à la tête de l'Etat.
2 - Durant une deuxième phase, émergeant au milieu du 19e siècle, s'est développée une bourgeoisie haïtienne, comportant beaucoup de commerçants et quelques industriels. Etant entrée en lutte avec l'aile la plus rétrograde des classes dominantes, c'est-à-dire les grands propriétaires fonciers, cette bourgeoisie a disparu sous Salomon en 1883. Les affaires des négociants étrangers, qui achetaient et vendaient des denrées, ont alors prospéré. Comme ils prêtaient de l'argent aux gouvernements, ils ont eu de plus en plus de pouvoir. Ils étaient de ceux qui faisaient et défaisaient les gouvernements et choisissaient les politiciens favorisant le plus leurs affaires.
3 - Dans une troisième phase, on a assisté à un mouvement timide d'industrialisation, qui s'est renforcé dans les années 1950 et 1960.Il s'est surtout agi d'une production industrielle de biens de consommation destinés au marché haïtien. Mais la majorité des usines sont restées localisées à Port-au-Prince. Ce qui est plus grave, c'est qu'afin de pouvoir bénéficier d'importants privilèges, ce secteur s'est allié au pouvoir d'Etat anti-peuple qui dirigeait le pays. Cette situation l'a empêché de se développer et de devenir dynamique ; en effet, il demeurait dans l'attente des faveurs du pouvoir. Ce fut le cas des familles Mevs, Brandt, Madsen, Bigio etc. Une autre aile de la bourgeoisie s'est concentrée sur la sous-traitance. Elle était liée avant tout à des pays étrangers, en premier lieu l'impérialisme américain. Ce fut le cas de familles telles que les Apaid.
4 - Dans une quatrième phase, qui a débuté dans les années 80,certaines familles, ou bien plusieurs associés, se sont entendus pour créer un groupe financier, ouvrir une banque et ramasser l'argent des petits épargnants afin de financer leur business. Ils ont obtenu le soutien de l'Etat dans leur démarche consistant à faire de l'argent
sans rendre aucun service aux principaux secteurs économiques du pays.
C'est ce qui s'est passé avec la SOGEBANK, qui appartient à Nadal, Moscosso etc. ; avec la PROMOBANK, que Bigio a pu mettre sur pied ; avec la BUH qui appartient aux Brandt etc. En Haïti, les banques réalisent la plus grande partie de leurs bénéfices dans le transfert d'argent de la diaspora et dans les opérations de change portant sur la monnaie américaine.
5 - Dans une cinquième phase, il a fallu constater que la politique consistant à ouvrir en grand les portes du marché haïtien avait ruiné presque toute l'industrie locale. L'oligarchie est retournée, sans se plaindre, à son travail consistant à acheter et à revendre des marchandises provenant de l'étranger. Elle a fait également un retour en force dans les activités de courtage, dans la lutte pour racheter les gros contrats avec l'Etat (fabrication de routes, vente à l'Etat d'équipements et de services dans de mauvaises conditions, vente d'électricité à un tarif élevé). Dans cette phase également, la plus grande partie des bénéfices des banques ne provient pas du tout des activités de crédit mais des opérations de courtage concernant le change du dollar et l'argent envoyé par la diaspora.
Cela nous permet de comprendre à quel point ces secteurs ont besoin de contrôler le pouvoir d'Etat, car c'est seulement s'ils sont alliés au gouvernement, leur gouvernement, qu'ils peuvent faire beaucoup d'argent.
CAONABO
V. COUP DE PROJECTEUR SUR LES "MOTS-CLES" OU "CONCEPTS".
Le volume II du journal Sentinelle du peuple s'enrichit d'une nouvelle rubrique : Coup de projecteur sur les "mots-clés" ou "concepts". Dans ses articles, le journal emploie de temps à autre quelques mots dont la définition n'est pas bien claire pour beaucoup de lecteurs, ce qui les amène souvent à déformer le sens de ces concepts. C'est pour éviter ces erreurs que cette rubrique va être publiée régulièrement.
En outre, elle va permettre d'améliorer la communication et la compréhension entre Sentinelle et ses lecteurs, ses amis et partenaires.
Un mot clé, ou un concept, est un mot représentant tout ce qui vous permet de reconnaître une idée construite par l'esprit de quelqu'un d'autre. Dans une réflexion, vous vous servez souvent des concepts, qui sont comme les matériaux vous permettant de bâtir votre analyse.
Dans ce numéro 1 du volume II de Sentinelle du peuple, nous présentons la définition de deux mots clés :
1) l'Etat ; 2) le capitalisme.
5.1 L'Etat. C'est une forme d'organisation politique, juridique et administrative qu'une société met en place afin de pouvoir se gérer.
A chaque Etat correspond un territoire qui est toujours délimité ; c'est dans cet espace et sur la population qui y vit qu'il a autorité et que ses lois s'appliquent. L'Etat repose toujours sur un ensemble d'institutions et c'est à travers elles qu'il exerce son pouvoir et son autorité.
L'Etat a fait son apparition à l'époque pendant laquelle les hommes ont inventé l'agriculture, lorsqu'un groupe de personnes a commencé à faire main basse sur les terres de la communauté pour en faire une propriété privée. C'est ainsi que les guerres ont commencé et que la première forme d'Etat est apparue, aux environs de 9000 ans avant Jésus-Christ. L'Etat est passé par divers stades avant d'aboutir à ce qu'il est aujourd'hui. Mais c'est toujours une révolution que les populations ont faite pour changer la nature et la forme de l'Etat ; en effet, un groupe de personnes qui a entre les mains la majorité des richesses d'un pays cherche toujours à prendre le contrôle de l'Etat pour le mettre davantage au service de ses propres intérêts.
L'histoire montre que l'Etat peut être de plusieurs types :
1. Une dictature s'il opprime la population avec une main de fer ;
2. Une démocratie s'il respecte les libertés et les droits de la population et des institutions ;
3. Indépendant si l'Etat est souverain ;
4. Asservi s'il est sous la domination d'un autre Etat ;
5. L'Etat peut être centralisé ou décentralisé, selon la manière dont les décisions sont prises, les ressources partagées et le pays géré.
L'Etat peut également prendre diverses formes :
1. Unitaire, lorsqu'un seul Etat gère l'ensemble du pays.
2. Fédéral, lorsque plusieurs Etats se sont associés pour prendre des décisions concernant tout le pays ; par contre les décisions qui ne concernent qu'un des Etats associés sont prises par lui seul.
Il y a toujours trois facteurs qui déterminent un Etat : son territoire, sa population et son gouvernement.
Le territoire aide à fixer la population et c'est l'Etat qui a la responsabilité de l'aménager et de le protéger. Dans cet espace, l'Etat détient un monopole pour ce qui est de percevoir les taxes et d'exercer une violence légitime pour faire respecter la loi.
La population : c'est elle qui donne à l'Etat un mandat pour exercer sa souveraineté. Pour que l'Etat fonctionne bien, pour qu'il se maintienne et dure, il faut que la majorité de la population ait quelques caractéristiques qui l'unissent, telles que la langue, la religion, les mœurs et les coutumes. C'est cette unité qui fait que l'on parle d'une nation.
Le gouvernement, c'est-à-dire l'exécutif (le président, le premier ministre et les ministres) ; c'est le gouvernement qui a la responsabilité de représenter l'Etat, de définir et de mener sa politique, ainsi que de gérer l'administration publique.
Aujourd'hui, ce sont le plus souvent les élites qui dirigent l'Etat, et les fonctionnaires qui le gèrent. L'Etat a toujours plusieurs fonctions : politique, économique, sociale, judiciaire, administrative, ainsi que de prendre en charge ce qui a trait à la défense nationale, aux relations avec les autres pays et à la fabrication de l'argent. Pour assumer ces diverses fonctions, il crée plusieurs institutions. Il faut que ces institutions disposent d'une chaîne de commandement et qu'elles coordonnent leurs actions pour que l'Etat puisse bien faire fonctionner le pays en permanence.
5.2 Le capitalisme. C'est un système économique, politique et social régissant une société, dans lequel ceux qui travaillent ne disposent pas des moyens de production et de distribution.
Ce système a 6 caractéristiques :
1. Tous les moyens permettant à une entreprise de produire sont propriété privée.
2. Tous les pouvoirs de décision dans les entreprises reposent entre les mains des gros actionnaires, des personnes très importantes.
3. Les travailleurs reçoivent un salaire en échange de leur force de travail.
4. Les échanges économiques et la concurrence sur les marchés sont libres.
5. Chercher à faire du profit à tout prix.
6. Accumuler du capital sous forme d'argent afin de faire toujoursplus d'investissements.
Dans la logique de ce système, il n'existe rien sur terre qui ne puisse devenir une marchandise pouvant être achetée et vendue.
En général, les capitalistes s'organisent afin d'utiliser des méthodes efficaces pour produire, accumuler et investir leurs richesses de manière à ce qu'elles augmentent le plus possible. C'est là la plus grande différence qui existe entre le système capitaliste et les autres systèmes économiques qui l'ont précédé. L'accumulation de ce capital repose sur l'exploitation des travailleurs, leur force de travail n'étant pas rémunérée comme elle devrait l'être, tandis que la nature est détruite.
Le système capitaliste a pris naissance en Europe entre le 12e et le14e siècle, ce qui fut le produit d'un ensemble d'initiatives et d'adaptations successives dans le domaine des sciences et des techniques ; ce qui a débouché sur une série de transformations importantes dans les processus de production et de commercialisation des produits agricoles comme industriels.
Au cours de son développement, le système capitaliste a revêtu plusieurs formes :
1. le capitalisme foncier ; 2. le capitalismecommercial ; 3. le capitalisme industriel ; 4. le capitalisme
financier ; 5. le capitalisme de monopole. Ces différentes formes ont coexisté tout en continuant leur évolution. Mais aujourd'hui, ce sont les deux dernières (le capitalisme financier et le capitalisme de monopole) qui dominent l'économie mondiale.
Depuis son apparition, le système capitaliste a gagné en expansion, mais c'est dans les années 1600 à 1700 qu'il s'est déployé et s'est imposé véritablement. Ce qui a conduit à trois grandes révolutions capitalistes bourgeoises dans trois pays importants : l'Angleterre (1649), les Etats-Unis (1776), la France (1789). C'est à partir de cette époque que le système capitaliste a vraiment lié son développement à la mise en place d'un nouveau type d'Etat. Il a créé son propre Etat afin de pouvoir disposer d'un régime politique et juridique à même de protéger :
1. les propriétés privées ;
2. lesmarchés qu'il contrôlait déjà ;
3. les marchés dont il voulait s'emparer.
Ainsi les Etats capitalistes allaient prendre les moyens (justice, armée et police) nécessaires pour garantir que ces protections soient bien assurées. Cependant cela n'a pas empêché que des contradictions internes au système capitaliste le fassent entrer régulièrement en crise. Des soulèvements regroupant les organisations
de travailleurs et les autres exploités l'ont souvent secoué et ont même réussi à le renverser dans quelques pays.
ROSE ALMONACY
A bas l'occupation déguisée en tutelle ! A bas le pouvoir docile ! A
bas l'impérialisme !
Vive la mobilisation de long terme pour la libération du peuple haïtien !
SENTINELLE DU PEUPLE
Mars 2011
santinelpep@yahoo.fr
http://www.santinel.webuda.com
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