Aujourd’hui, nous soulignons le décès d’Anna Napoléon survenu à Paris le 30 mai 2019.
Femme de courage exemplaire, Anna fut arrêtée au cours de l’année 1969 par les sbires de Duvalier, alors qu’elle n’avait que 18 ans. Elle passa quatre ans à Fort Dimanche, lieu de tortures, de supplices et de mort. Elle était incarcérée uniquement parce qu’elle était la sœur d’un militant recherché par le régime. C’est là l’une des caractéristiques de la terreur duvaliériste : décimer les familles et proches de ceux et celles qui combattaient la dictature.
Anna, malgré ces quatre années d’enfer, est restée une femme profondément humaine. Pour elle, les convictions restent essentielles même si cela comporte de lourds sacrifices.
En cette année 2019 commémorant les 50 ans d’assassinats des jeunes militants particulièrement du Parti Unifié des Communistes Haïtiens (PUCH), nous publions trois textes qui témoignent du courage, de la solidarité et de l’humanité d’Anna Napoléon_ASV
Hommage à Anna
Anna et moi, nous nous sommes rencontrées le jour de notre libération à la suite du rapt de l’ambassadeur américain Knox. Elle a été arrêtée en 1969 de même que son frère Emmanol, lors de la vague de répression contre les communistes durant l’année 1969.
Anna fut emmenée de force par les macoutes à Fort-Dimanche à la place de son frère Jean, frère qu’elle adorait, qui n’était pas à la maison ce jour-là. Elle me racontait comment les macoutes les avaient violentés, en saccageant leur maison.
Anna, femme d’une stature robuste, gesticulait à chaque phrase comme pour ponctuer sa détermination à tenir ferme. Elle me disait : «les macoutes n’ont pas eu raison de moi mais la maladie c’est quelque chose qu’on ne peut vaincre».
Anna était ouverte à tout le monde. Camarades, amis, sympathisants étaient toujours bienvenus, à tel enseigne que sa maison d’Yvry, à Paris, était devenue le toit de tout le monde : un passage obligé. On n’oubliera jamais sa nourriture, de très loin on reniflait les effluves.
En cette année du cinquantième de la répression duvaliériste de 1969, je veux lui rendre cet hommage, car elle a résisté avec force et courage les quatre années de prison à Fort-Dimanche. Je me souviens, elle me disait toujours, lors de mes passages à Paris : «nous devons tenir et renforcer notre conviction». Elle n’était pas membre du Parti, mais elle a gardé ce respect de grande sympathisante de la lutte.
Elisabeth Philibert
DISCOURS POUR LES FUNÉRAILLES D’ANNA
À toi chère Anna, notre cousine de cœur
Notre lien affectif indéfectible a commencé au tout début des années 70, à notre arrivée en France.
Joly et toi vous nous avez accueillies, toutes les deux, dans votre appartement lorsque nous sommes arrivées d’Haïti en passant par la Belgique.
Notre sœur Élisabeth PHILIBERT nous avait souvent parlé de toi comme une camarade de lutte en Haïti qu’elle affectionnait tout particulièrement et c’est elle qui nous a suggéré de te contacter.
À Ivry, nous vivions tous ensemble telle une famille soudée avec vos deux enfants Farouk et Sandra, sans oublier Guitmy, notre voisine qui a toujours été d’un fidèle soutien pour la communauté haïtienne.
Quelle belle époque de camaraderie, de fraternité et de solidarité ma Nana!
Cet esprit ne nous a jamais quittés et nous avons su, malgré le temps qui passe, garder des liens forts et indéfectibles.
D’ailleurs il n’y a pas un membre de la famille qui ne demande pas pour toi : « Marlène, Marie-Claire, comment va la cousine d’Ivry » ? C’est ainsi que ton appartement à Hoche est devenu un passage obligé pour tout le monde car ta popularité était inégalable. Tu étais reconnue par tous tant pour ta sympathie que pour tes talents culinaires. Qui n’a jamais mangé la bonne soupe joumon d’Anna le 1er janvier ou encore ses gâteaux à étage à la crème au beurre ?
Voilà que maintenant tu nous as quittés. Comme un mur, la mort nous sépare, de toi, comme le souffle du vent qui balaie les obstacles, notre amitié, notre affection et notre espérance s’en iront te rejoindre là où désormais tu nous attends près de Dieu.
Au nom de la famille PHILIBERT, nous souhaitons te dire que nous t’aimons très fort chère cousine.
Reposes maintenant en paix.
La famille PHILIBERT.
LE SOURIRE D’ANNA
Chère Bella, tu sais combien le décès de notre soeur, Anna, m'a peinée. Quoique éloignées l’une de l’autre, Anna m’était proche et a marqué ma vision de la place des femmes dans le combat social et politique.
C’est une héroine de la lutte du peuple haïtien contre la dictature des Duvalier. J’ai fait connaissance avec elle pour la première fois à travers son témoignage à sa sortie de prison en 1973. Dans le cadre des regroupements de patriotes en exil, nous nous étions mobilisés, pour enregister, transcrire du créole en français, et publier ces premières paroles bouleversantes de prisonniers arrachés à l’enfer des Casernes et du sinistre Fort Dimanche.
Femmes patriotes haitiennes, lisez et relisez le témoignage d’Anna qui inspire courage indomptable, et confiance en l’avenir grâce à la lutte des combattantes et combattants.
Je n'ai pas eu l'occasion de la voir souvent durant nos années d'exil, elle en France et moi au Canada. Cependant nous étions en correspondance avec Ulrick Joly, notamment sur la question des femmes ouvrières et des luttes syndicales. Mes démarches ont abouti pour rencontrer la famille d’Ulrick, Anna et leurs enfants, à Ivry, en 1980, puis une autre fois, à Paris en 1984.
J'ai gardé précieusement cette petite photo, souvenir de notre rencontre à Paris. On y voit Anna chez elle avec son inoubliable sourire qui exprime une autre facette de son courage. Je l'ai revue quelques années plus tard en Haiti, lors de son court séjour auprès de sa famille, après 1986. Une rencontre émouvante en compagnie de mon mari, Max Chancy et de notre camarade, Michel Hector.
Anna Napoleon, tu nous laisses un modèle de courage et de dignité ! Je suis fière de t’avoir connue, Anna.
Adeline Magloire Chancy
Pétionville, Haiti, 28 juin 2019
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