Nous avons tous quelque part dans nos connaissances des gens capables, en plus d’avoir eu une vie pleine et riche, le don d’en parler et de partager ces instants précieux. Voici une histoire, une tranche de cette réalité écrite par notre ami Charli Etchegoyen, qui a souvent trouvé ici, dans les colonnes de SXMINFO la possibilité de transcrire ces émotions, ces expériences, son regard de ce qui l’entoure.. Nous vous la partageons avec plaisir…
Notes de l’auteur :
Ceci est une histoire inspirée de faits réels, j’y raconte ce que j’ai vu et entendu. Je n’ai changé que les noms des personnages non publics. Elle peut être lue comme une fiction. Elle peut également être perçue comme un témoignage sur les stratégies qu’utilisent les puissants états du monde pour installer leur domination :
-Maintenir dans la misère des pays qui possèdent suffisamment de richesses pour se relever et devenir leurs égaux.
-Organiser une occupation subtile par le biais d’ONG, d’universités étrangères et d’entités caritatives et religieuses.
-Développer des projets scientifiques et/ou humanitaires qui permettent en réalité de découvrir et d’estimer les richesses convoitées.
-Fomenter des révolutions sans lendemain, maintenir ou évincer des dictateurs selon les besoins d’alibis, pour enfin pratiquer sans vergogne des « pillages d’états ».
JUREZ DE DIRE LA VÉRITÉ, TOUTE LA VERITE…
Monsieur Charles Etchegoyen veuillez vous lever, mettez votre main gauche sur cette bible, levez la main droite et jurez au nom de dieu de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité…
Je le jure.
Après avoir passé de longues années dans les Caraïbes, vous êtes parti d’abord en république Dominicaine puis au Québec et ensuite vous vous êtes installé en Haïti. Où étiez-vous et que faisiez-vous le vendredi 7 février 1986 ?
J’étais en Haïti, j’habitais avec ma famille haïtienne au Morne Hercule, dans une petite maison au milieu de ce qui est devenu aujourd’hui un des gros bidonvilles des hauts quartiers de Port-au-Prince.
Dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 février, le peuple haïtien a « déchouké » le président à vie, Jean-Claude Duvalier, lui même fils du célèbre dictateur Papa Doc, auto proclamé président à vie. 29 années de Duvaliérisme s’envolent comme ça, à 2h du matin. La journée qui a suivi a été riche en évènements. A l’annonce du départ de Baby Doc par les radios, le peuple en liesse est sorti dans la rue. On a assisté à un carnaval spontané. Les haïtiens brandissaient des branches d’arbres et chantaient le déchoukage. On se serait cru en pleine période carnavalesque avec ses bandes Raras. Très vite ils s’en prennent aux biens de la famille présidentielle. Tout ce qui a touché de près ou de loin les Duvalier et leurs acolytes pendant cette longue période de dictature a été détruit, pillé, incendié, ruiné. Les Tontons Macoutes ont été les premières victimes.
Que faites vous concrètement ce matin là ?
En réalité, nous nous attendions tous à ce dénouement. Cela faisait des mois que la vindicte populaire s’étoffait et grondait. Les villes de province s’étaient déjà soulevées les unes après les autres, en commençant par Gonaïves, ville centrale et symbolique de la révolution. Le renversement du pouvoir duvaliériste était imminent.
A cette époque j’avais monté un négoce de t-shirts que j’achetais en Haïti et revendais dans les iles du nord des petites Antilles.
Denis, un français aux multiples activités commerciales, négociant en alcool et vin français, agent de change et autres, venait de monter un atelier de confection et de sérigraphie. Il produisait mes T-shirts et m’employait au secteur sérigraphie. Ce matin là, il m’a appelé assez tôt et m’a demandé de descendre avec lui Place Du Géffrard pour voir si ses locaux qui se trouvaient à l’étage d’une grande bâtisse coloniale, n’étaient pas visés par les manifestants.
Je suis sorti de Morne Hercule avec ma petite Renaud 5 que je venais d’acheter et nous nous sommes retrouvé à Pétion-ville. J’y ai garé ma voiture et suis monté dans son gros 4X4. Très vite en descendant par Delmas en direction de la ville, nous avons vu des groupes de gens très excités et résolus. Ils forçaient des barrières, pillaient des magasins, déchiquetaient des voitures et tout ça à mains nues. C’était impressionnant ! On est arrivé assez vite devant les établissements de Denis. Tout allait bien, il y avait peu de monde sur cette petite place. Puis nous sommes montés vers le palais national, histoire d’assister à cette liesse populaire. Il y avait foule ! Ça courait dans tout les sens. Tout en remontant la rue Pavée on a vu des gens en train de sauter à pieds joints, debout sur le capot d’une voiture qu’ils écrasaient à la force des pieds… il y avait probablement un macoute à l’intérieur… Plus loin devant le Palais National, nous avons assisté à un « Père Lebrun », c’est à dire une pile de pneus en feu, avec un macoute à l’intérieur. Plus la journée avançait, plus la foule était en délire. Nous avons décidé de remonter à Pétion-Ville. Arrivés sur la place, j’ai constaté que ma voiture n’y était plus. Comme beaucoup, ce jour là, j’ai été victime du vol de mon véhicule.
Denis n’a pas pu me raccompagner chez moi, l’accès à ma rue étant bloqué par un attroupement qui cernait le poste des VSN, (Volontaire de la Sécurité Nationale), entendez Macoutes. Il m’a déposé à l’entrée du Morne Hercule. Les miliciens s’étaient retranchés à l’intérieur de leur caserne, plus ou moins protégés par un cordon de militaires des troupes des « Léopards» qui ceinturaient le bâtiment. Des reporters internationaux se sont installés à l’écart sur un talus. Je me suis engagé dans la foule compacte et après m’y être frayé un chemin, je suis resté un moment coincé juste devant l’entrée de ma rue. Les militaires à quelques mètres devant moi avaient du mal à contenir les manifestants qui poussaient et réclamaient la peau des macoutes retranchés.
Bousculé d’avant en arrière, entre la foule et les militaires menaçants, j’ai entendu sonner midi. Au même instant, les premières rafales d’armes automatiques ont crépité; elles étaient tirées en l’air et ont eu pour effet une dispersion immédiate de la foule. Emporté par ce mouvement, j’ai couru dans la ruelle en direction de ma maison. Devant moi, un homme s’est entaillé la main sur une tôle, et sans le vouloir m’a frappé la poitrine. Je me suis retrouvé avec une grosse tache de sang, alors que je n’étais aucunement blessé. Je suis arrivé chez moi. On s’est enfermé car les militaires venaient d’instaurer le couvre feu. Toute l’après-midi et la nuit suivante on a entendu des coups de feu et le son des armes automatiques. Un engin blindé a sillonné le quartier jusque devant la clôture de la maison. Au cours des jours qui ont suivi, des centaines de macoutes et autres personnes ont été tués, brulés, écrasés dans tout le pays.
Suite dans le lien.
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