Cela fait alors tout juste un siècle que le territoire, grand comme la Bretagne d’aujourd’hui, est devenu français par le Traité de Ryswick signé en 1697 avec les Espagnols. Peu à peu, la flibuste régresse et les plantations de sucre puis de café, cacao, indigo, s’installent. Les colons arrivent par milliers, les esclaves par vagues énormes. Surtout à l’approche de la Révolution. En 1774, ils sont 240 000; en 1784, 320 000; en 1790, 480 000! Contre moins de 100000 en Guadeloupe et en Martinique. C’est à Saint-Domingue, la plus belle des colonies, que « les négriers nantais ont vendu la plus grande partie des 400 000 esclaves qu’ils ont déportés », rappelle l’historien Jean Breteau, de l’association « Les Anneaux de la Mémoire ».
Le premier port négrier français (plus de 1400 expéditions, 45 % du total) doit à l’Haïti d’aujourd’hui une bonne partie de sa prospérité passée. Saint-Malo (214 expéditions, cinquième port négrier) s’est davantage enrichie par la Course contre les Anglais mais 61 armateurs malouins ont trempé dans la traite négrière (aux deux-tiers vers Saint-Domingue) dont les Meslé de Grandclos, Luc Magon mais aussi le père de Chateaubriand et Surcouf. « Par le biais des mariages, des acquisitions, des investissements, la traite, comme la course et la pêche à la morue, a pratiquement touché toutes les familles malouines; même si elle n’a pas forcément assuré leur fortune, elle y a participé », note l’historien malouin Alain Roman dans son ouvrage très documenté Saint-Malo au temps des négriers (Editions Khartala).
Dans ces liaisons honteuses avec Haïti, il ne faut pas oublier Lorient (156 expéditions, sixième port négrier), Vannes (douze expéditions) et Brest (huit).
Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que des tas de belles demeures, les Folies nantaises ou les malouinières, parlent toujours d’Haïti, nourrissant chez beaucoup un « mélange de nostalgie et de culpabilité » comme dit Jean Breteau. Mais de nouveaux liens, l’entraide sociale ou culturelle, permettent de dépasser ces sentiments : les « Anneaux de la Mémoire » mènent depuis des années des actions à Haïti et rien ne fait plus plaisir à Jean Breteau que de guider de jeunes Haïtiens devant les Folies nantaises : « Ils comprennent mieux ce qui s’est passé à l’Indépendance ».
L’Indépendance, 1804, la « Première République Noire ». Saint-Domingue devient Haïti, fin d’une histoire tragique avec la Bretagne. Pendant soixante ans, il se passera rien de notable. Puis une grande histoire religieuse va apparaître. Dans les siècles précédents, des missionnaires, dominicains, jésuites, capucins, ont bien sûr accompagné les colonisateurs, cautionnant l’extermination des Amérindiens puis l’importation d’esclaves africains. Mais, sans être trop zélés côté évangélisation.
En 1804, les prêtres blancs s’enfuient, l’Église locale n’est guère vaillante et, en plus, elle se divise. Une partie du clergé penche pour les colons, l’autre pour les esclaves libérés. De leur côté, les dirigeants de la jeune république estiment que le progrès passe par la religion du colonisateur, contre le vaudou, mais avec une préférence pour l’église constitutionnelle de l’Abbé Grégoire avec lequel Toussaint Louverture, le héros de la révolte, est d’ailleurs en relation.
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