Révocations arbitraires, des mois de salaires impayés et plus de dix ans d’arriérés de charges sociales françaises, les scandales s’accumulent au Consulat haïtien en France.
35, avenue de Villiers, 75017, Paris, France. C’est là que loge le Consulat haïtien. La situation y est aujourd’hui explosive ! Il suffit de la moindre étincelle pour que des conflits latents couvant depuis des années explosent. La responsabilité du ministre des Affaires étrangères, M. Jean-Victor Généus, est directement engagée. Il n’est pas le dernier par qui tous les problèmes sont arrivés, il est cependant celui qui décide de ne pas verser les salaires depuis dix mois à la huitaine d’employés de cet office. Cette « mesure » concerne des salariés administratifs, régis par le Code du travail français et d’autres ayant le rang de diplomates mais recrutés en France, par les ministres des Affaires étrangères successifs. Sans préavis ni lettre de révocation, ceux-ci sont considérés comme révoqués depuis septembre 2022.
Le problème ne date pas d’hier. Nommé, le 25 novembre 2022, par le Premier ministre de facto Ariel Henry, M. Jean-Victor Généus constate, dès sa prise de fonction, que son prédécesseur, M. Claude Joseph, avait recruté de façon excessive des agents diplomatiques, le nombre d’employés étant passé de 12 à 38, sans un budget de fonctionnement approprié, a-t-on appris. Le nouveau chef a donc décidé de faire le ménage, d’autant qu’il doit lui aussi placer des individus émanant de son gouvernement et de son entourage personnel. Politicaillerie oblige !
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M. Jean-Victor Généus, ministre des Afgf. étrangères
Pour dégraisser et pour aussi faire place nette, il rappelle progressivement seize des personnes nommées par Claude Joseph, qui n’accomplissaient aucun travail effectif au consulat. Mais ils n’étaient pas les seuls, il y en a bien d’autres encore. Quelques-uns sont révoqués et remplacés par d’autres qu’il promeut au rang de diplomates. Il change tous les employés du secrétariat, ceux que l’on appelle « les recrutés sur place » dans le jargon du ministère haïtien des Affaires étrangères. Or, ce sont des personnes compétentes, diplômées des universités et écoles de formation françaises et connaissant par ailleurs tous les rouages de l’administration française. Pourquoi le ministre Généus veut-il se débarrasser de ceux qui réalisent le vrai travail administratif du Consulat ? Puisqu’en dehors de l’administrateur, qui a le statut de ministre conseiller et le chef de poste actuel M. Jules et qui travaillent effectivement, ce personnel recruté sur place est le plus compétent car les consuls ne font que signer. Combien sont-ils qui sont payés uniquement que pour signer des papiers ou à tourner en rond ?
En agissant de la sorte, on pourrait penser que le ministre règle ses comptes avec les expatriés haïtiens en France. Pas du tout ! Cette mesure est une sorte de « réforme » entreprise pour échapper aux lourdes charges patronales et salariales de la législation française en matière de droit du travail. Une réforme qualifiée maladroite par plus d’un.
Ainsi, en septembre 2022, le chancelier haïtien prend une décision radicale. Dans un courrier, adressé à M. James Jules, le chef de poste, il lui ordonne de renvoyer, purement et simplement tous les recrutés sur place. M. Jules s’exécute ! Très vite, celui-ci constate que le Consulat devenait dysfonctionnel, du fait que le nouveau personnel nommé par le ministère, n’ayant pas les formations requises, était incapable de réaliser les tâches administratives. Selon un employé, il aurait pris la décision de téléphoner à chacun des salariés pour leur demander de retourner à leur poste sans informer M. Généus. Ce dernier aurait été prévenu, d’après un fonctionnaire du ministère, il y a à peine deux mois.
Cependant, d’après un autre témoin, c’est le ministre lui-même qui a ordonné à M James Jules, de faire revenir les employés à leur bureau. Interrogé à ce sujet, M. Jules n’a pas répondu aux questions que je lui ai envoyées par mail, dix jours avant, soit le 7 juillet 2023. Il a finalement accepté de me recevoir, ce mercredi 19 juillet pour nuancer ou apporter des précisions sur des faits qui lui sont reprochés. Mais, cet article avait déjà paru dans les colonnes du journal Le National du mardi 18 juillet 2023. Interrogé à ce sujet, celui ne confirme ni n’infirme les contradictions ; mais seulement qu’il avait sélectionné les plus qualifiés pour ce travail.
Pour la chancellerie, ces anciens recrutés sur place ne font plus partie de l’administration haïtienne. Cependant, ils continuent de travailler sous l’autorité du chef de poste tout en formant les nouveaux arrivants qui savent qu’ils sont là pour remplacer ceux qui les forment.
Imaginez les tensions psychologiques et les conflits d’intérêts que doivent subir ces deux groupes par la faute d’un chef de poste, d’un ministère et d’un État irresponsables. Le pire, c’est que depuis cette date, le ministère ne verse plus les salaires aux personnes mises à pied. La rencontre avec le consul m’a permis d’apprendre que d’autres affiliés diplomates qui ne sont pas sur la liste des employés n’ont pas non plus reçu de salaire depuis dix mois. C’est le cas de la responsable de communication qui l’accompagnait durant notre entretien. Les autres accusent le chef de poste de les avoir fait revenir au bureau sans défendre leur cause auprès du ministère. Jusqu’à date, il n’y a aucune réaction de la part du ministre concernant les salaires et les charges sociales non versés. Néanmoins, M. Jules me confirme que c’est un dossier qu’il prend en charge et commence à travailler là-dessus.
Les employés ne l’entendent pas de cette oreille. Comme on devait s’y attendre, ils sont hors d’eux. Les diplomates peuvent encore compter sur la bonne foi d’un ministre ou d’un contact bien placé aux Affaires étrangères pour se faire régulariser, mais ce seront toujours quelques élus et le chef de poste le reconnait. Quant aux employés locaux, ils veulent aller jusqu’au bout de leur droit.
Si M. Généus peut agir en dictateur vis-à-vis des diplomates, les recrutés sur place, relevant du droit français sont comme une écharde dans les pieds du ministre des Affaires étrangères. Et beaucoup plus difficile à s’en débarrasser que pourraient le penser le ministre actuel Jean-Victor Généus et son staff au ministère. D’autant plus, qu’un des anciens chefs de poste, M. Vilbert Bélizaire, avait cessé de payer les charges sociales pendant les dix dernières années de sa gestion au consulat, qui a pris fin en mai 2018. Vilbert Bélizaire, en serait l’auteur intellectuel de cette réforme mal maîtrisée (2). La dette des autorités haïtiennes vis-à-vis de l’administration française et des salariés est salée … !
Les victimes, malgré l’intimidation et l’humiliation qu’on les fait subir pour les porter à abandonner leur poste, sont déterminés à entamer un bras de fer avec l’Etat haïtien. À part M. Maguet Delva, qui était un des responsable du service de communication qui reste chez lui, les autres employés continuent d’aller travailler tant que l’État haïtien ne procède pas à leur licenciement dans les règles.
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Consulat d'Haïti à Paris
Charges sociales en France
Les charges sociales en France, inscrites sur la fiche de paie sont payées par l’employeur et l’employé aux organismes sociaux. Un salarié qui gagne 2.000 euros brut par mois - qui est le salaire moyen des employés du Consulat, - la loi fixe le taux de la cotisation patronale à 45% de ce montant, soit 900 euros. Le salarié, lui-même, verse 22% de son propre salaire équivalant à 440 euros. Ce qui fait un montant total de 1.340 euros de charges sociales. C’est-à-dire que 2.900 euros sortent du compte bancaire de l’employeur pour un salaire net de 1 560 euros payé au salarié. Le ministère voudrait éviter ses 900 euros et rafle au passage les 440 euros de charges que paie l’employé.
C’est une décision très lourde de s’abstenir de payer les charges sociales, car elle va causer ultérieurement énormément de difficultés aux employés lésés. Ils ne pourront pas prétendre à aucune prestation sociale de l’administration française et verront leurs droits restreints considérablement.
Un de nos informateurs qui tient à garder l’anonymat, accuse l’ancien consul Bélizaire va jusqu’à traiter l’ancien Consul de « radin » et de « corrompu ». « Son avarice qu’il pratique dans sa vie privée, il le répercute dans sa vie professionnelle. Il trouvait anormal que l’État haïtien paie des charges sociales pour les employés du Consulat. », affirme-t-il. Interrogé dans le cadre de cette enquête, M. Bélizaire, présentement ambassadeur d’Haïti en Argentine, s’il ne nie pas en bloc ses responsabilités, a donné sa propre version sur l’ensemble des accusations portées contre lui. Nous y reviendrons plus en détail dans le deuxième article de cette investigation.
Quelles issues ?
Si les employés mettent leur menace à exécution, le consulat n’aura pas d’autres choix que de reconnaître ses torts. Effectivement, ce sera un peu compliqué pour que l’URSSAF (Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d'allocations familiales) et les Prud’hommes (organisme qui règle les litiges individuels entre employeur et salarié survenus à l'occasion de tout contrat de travail) de faire respecter leurs droits, vu que l’employeur est une entité diplomatique. C’est certainement parce qu’ils sont bien imbus de ces complications diplomatiques que le ministère et le Consulat prennent le risque de passer outre les exigences de l’administration française. Car même condamné à payer ses redevances aux salariés et à l’URSSAF, ce sera toujours un parcours de combattant pour les organismes sociaux français et les victimes haïtiennes d’obtenir gain de cause.
Ces organismes disposent certes d’un fond pour dédommager les victimes quand une société est déclarée en faillite ou qu’un patron déviant détourne les fonds de l’entreprise qu’il gérait. Ce qui n’est pas le cas du Consulat haïtien. Par exemple, Madame Jackline Eugène, qui avait travaillé de longues années au consulat comme secrétaire, faisait partie des salariés pour qui les charges sociales n’ont pas été versées alors qu’elle devait partir à la retraite en 2022.
Le Consulat a fini par lui fournir tous les documents nécessaires qui justifient ses droits, notamment sa dernière fiche de paie mentionnant son « solde de tout compte ». Cela suppose que M. James Jules a au moins trouvé un accord avec l’URSSAF pour verser les retards de paiements des charges de Mme Eugène.
Les organismes sociaux et financiers de l’État en France sont toujours ouverts au dialogue et prêts à accepter des paiements échelonnés des arriérés en cas de bonne foi. Néanmoins, si l’État haïtien doit licencier des employés relevant de la législation française, il doit leur payer leurs indemnités de licenciement et verser les cotisations impayées. Il n’est plus question de paiements échelonnés. Le consulat doit payer. Point barre !
Le gouvernement français ne va jamais admettre que l’État haïtien reporte sur son territoire l’anarchie administrative haïtienne. Si cette affaire devait prendre des proportions énormes, le ministère français des Affaires étrangères, communément appelé le Quai d’Orsay, pourrait s’y intéresser et faire pression et s’il le faut recourir à des sanctions de tout ordre contre Haïti. Les conseillers de M. Généus, s’ils sont qualifiés, devraient lui informer de tous les paramètres de cette crise parmi tant d’autres qui touchent le Consulat haïtien à Paris.
Sergo Alexis
Cet article a déjà été publié dans Le National dans l’édition du mardi 18 juillet. Cette version publiée sur Le Monde du Sud, Elsie News, est revue, corrigée et augmentée. Elle porte sur trois problèmes actuels précis du Consulat. Dans le deuxième article de l’enquête, il sera question de la gestion calamiteuse du consulat ayant conduit à la situation actuelle.
(2) Nous reviendrons plus en détails dans le deuxième article qui portera sur la gestion calamiteuse du Consulat, de la « réforme » du ministère des Affaires étrangères haïtien et de celle du chef de poste en place actuellement portée sur des réformes administratives et financière.
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