Ce soir comme d’habitude, j’étais bien au calme dans mon bureau ovale, lorsque soudain, sans raison apparente, je fus pris d’une mystérieuse inspiration qui me poussa à noter fébrilement les lignes qui suivent :
Nous, Président de l’Américanistan, déclarons, pour la première fois dans l’Histoire de l’humanité, la paix universelle.
Personne ne l’a fait avant moi.
Mais, ce soir, je déclare haut et clair la paix sur la terre.
La paix sur les mers, la paix au nord, au sud, la paix partout.
La paix en Libye et en Irak, en Haïti et à Cuba, la paix avec la Chine et la Russie, la paix dans les bas-fonds de nos villes.
Cette déclaration aurait été banale si je n’avais pas été le président de la plus grande puissance du monde, l’Américanistan, dont la volonté de domination n’a pas de borne.
Mais cette ère a pris fin, je le déclare solennellement.
Un grand bouleversement s’est opéré en moi et soudain je ressens une paix profonde venue de nulle part, comme si une lumière chaude et surnaturelle me pénétrait le corps et l’esprit. Mes problèmes innombrables se sont évaporés comme par miracle. Disparue la négativité qui me polluait le corps et l’esprit, et ne me laissait jamais de repos au point que même la nuit j’y pensais et que je me réveillais, en sueur, avec les mêmes mots qui me venaient à l’esprit, tels des mantras maléfiques : Afghanistan, Irak, Saddam Hussein, Libye, Syrie, sans compter tous les autres… Je revois continuellement la maudite scène de la fiole à l’ONU et la guerre qui suivit faisant plus d’un million de morts innocents le premier soir.
Ces mots me dévorent intérieurement et m’ont beaucoup vieilli en quelques mois.
Mais ma vision a changé d’un seul coup, comme si Dieu lui-même m’avait parlé.
Je déclare donc haut et fort la paix universelle car moi seul ai pouvoir de le faire. J’ai compris que j’errais, que mon esprit errait, que nous errions tous, que nos politiciens faisaient fausse route et que la non-violence était l’unique solution aux problèmes de ce monde. Banal, me direz-vous, sauf que le fait que ce soit moi qui le dise, moi l’homme le plus puissant du monde, moi qui jusqu'à présent ne pensais qu’à fomenter de mauvais coups un peu partout, principalement en Amérique latine, cela seul suffit à tout changer.
Jusqu'à hier soir, la terre entière était contre nous, notre pays n’ayant pas d’amis. Pourquoi en aurait-on, alors que nous ne cessons d’emmerder tous les peuples, de sanctionner et de menacer tout le monde ? Sommes-nous le préfet de discipline d’une école appelée monde ? Jamais un geste venant du cœur ! Nous ne connaissons que nos intérêts, selon la froide leçon de Machiavel que nous appliquons à la lettre.
Nos présidents, démocrates ou républicains, passent leur temps à fomenter des coups d’État et des complots, à assassiner des opposants politiques, tel Allende par exemple; à essayer de tuer Fidel Castro plus de 500 fois, par les moyens les plus abracadabrantesques, comme aurait dit un président français, afin d’éliminer tout gouvernement désireux de soulager les souffrances des plus déshérités. Ceux-là, nous les diabolisons en les traînant dans la boue et nous soutenons des tyrans comme Duvalier, Somoza ou Trujillo. Nous maintenons un embargo cruel contre Cuba pour nous venger de Fidel qui nous a humiliés. Et non contents de tuer ce peuple à petit feu, nous maintenons l’horrible bagne de Guantanamo, lieu de non-droit à Cuba même, pour ajouter à l’humiliation.
Par notre volonté de détruire tous ceux qui aident les plus déshérités, nous avons vidé de tout contenu des mots nobles qui maintenant ne signifient plus rien : liberté, égalité, démocratie, etc.
Jamais un de nos chefs d’État n’utilisera le mot fraternité. Il n’a aucun sens à nos yeux. Et ce terme, adulé en France, est totalement ignoré chez nous qui nous gavons du mot free speech, ou liberté de parole, alors que personne ne peut tenir certains propos dans notre pays, sous peine d’être démoli socialement ou physiquement. Allez donc parler de révolution, de Fidel Castro ou du Che à Miami.
Le mot galvaudé de liberté, en réalité, ne signifie chez nous que le droit d’exploiter les plus faibles, de permettre que certains possèdent des milliards, alors que d’autres dorment à même les rues dans les bas-fonds de New York, de Chicago ou d’ailleurs, à la merci des assassins armés par le deuxième amendement et qui pullulent.
Dans ma rêverie, il y a Gandhi, Martin Luther King, Rosa Parks et Nelson Mandela. Ils me suggèrent de prendre conscience du mal que nous faisons, de la haine que nous suscitons par le décalage qu’il y a entre nos belles paroles et nos actes, par notre comportement barbare sous de très beaux sourires. Barbare, en effet, car comment définir autrement la destruction de l’Irak, le gaz orange au Vietnam, le soutien apporté aux pires tyrans de la terre ou l’assassinat d’Allende pour installer le monstre Pinochet.
Je constate ce soir que nous avions tout faux.
Dans ma rêverie, j’ai l’impression que quelqu’un me prend par la main (est-ce Dieu ?) et me pousse à écrire ce texte et ce poème, moi qui n’ai jamais été poète :
« Donnez-moi ô mon Dieu la grande paix de la mer
Celle de l’objet gisant sur le rivage
De la pierre bleue au pied des monts assise de toute éternité
Comme cet air qui coule au soleil du matin
Ou l’oiseau-mouche immobile près de la fleur des champs
Attendant la proie béate passant là par hasard
Donnez-moi la force de croire
Qu’il y a cela qui nous échappe
À l’œuvre
Dans la musique de Perse ou de Shakespeare
L’harmonie de Mozart
Et la magie de Raphaël »
D’où me vient cette inspiration, moi que la poésie a toujours laissé indifférent ? Allez savoir !
Tout ce que je demande à Dieu, c’est le courage de mettre en oeuvre ma vision et de ne plus suivre lâchement de petits calculs sordides. Ma politique fut jusqu’ici celle d’un pleutre, je le comprends clairement ce soir. Je voulais plaire à tout le monde, toujours trouver un consensus. Mou et tiède à la fois, comme une queue au repos. Sans consistance. Or, seul est grand l’homme qui ne craint pas de rompre avec les autres pour donner corps à son rêve. Dans mon cas, il me faut tuer le Machiavel cynique et retors que je porte en moi, comme nos politiciens. Sinon, je resterai à tout jamais un de ces petits hommes qui se sont donné pour mission d’éteindre tous les flambeaux et de faire de l’ombre sur la terre. Je ne veux plus jouer ce rôle de merde à partir d’aujourd’hui et je déclare solennellement :
Peuples du monde entier, la paix est désormais possible, elle ne dépend que de moi. Faisons savoir à l’ensemble des nations, ainsi qu’aux habitants de l’Américanistan, qu’il y a autre chose sur terre que les armes et la guerre, les tueurs en série, le deuxième amendement, la CIA, la NRA, le ressentiment, la haine et la violence dans lesquels nous baignons.
Il y a la bonté et la beauté !
Le contraire même de notre politique.
C’est par amour pour mon peuple et mon pays que je veux les voir changer. Je voudrais qu’ils deviennent un modèle pour le monde entier. Car lorsqu’une terre a produit des êtres aussi sublimes que les Martin Luther King, Rosa Parks, Mohammed Ali, Marlon Brando, Henry Miller, etc., elle mérite mille fois mieux que la violence qui y règne et l’image honteuse projetée par un grand nombre de nos politiciens.
Il faut que les choses changent !
Gary Klang
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