PORT-AU-PRINCE, juin 2025 (RHINEWS) – Dans un rapport alarmant remis au
Conseil de sécurité, le Groupe d’experts des Nations Unies chargé de surveiller
l’embargo sur les armes en Haïti dresse un constat sans appel : les gangs armés haïtiens
continuent de s’approvisionner massivement en armes et munitions, en dépit des
restrictions internationales en vigueur, aggravant une crise sécuritaire d’ampleur sans
précédent.
« Les armes et les munitions restent très prisées par les gangs mais aussi par les civils
en Haïti, notamment les riches particuliers, les sociétés de sécurité privées et les
groupes d’autodéfense », indique le rapport du Groupe d’experts dans son paragraphe
55. Cette demande croissante contribue à « alimenter le trafic d’armes », précise-t-il.
Le rapport souligne que les autorités haïtiennes n’ont signalé aucune saisie d’armes ou
de munitions aux points d’entrée du territoire durant la période examinée. Le Groupe
d’experts attribue cette situation à un manque d’accès, de ressources et de capacités
logistiques.
Les gangs, de leur côté, continuent de renforcer leur arsenal. Les saisies opérées par la
Police nationale d’Haïti (PNH) entre janvier et novembre 2024 font état de 155 armes
de poing, 77 fusils et 15 fusils de chasse, ainsi que 24 armes artisanales. Mais au-delà
de ces chiffres, le rapport met en garde contre une montée en puissance qualitative : «
De plus en plus de gangs ont réussi à acquérir de nouveaux fusils de calibre .50 et de
nouvelles munitions, ce qui représente une augmentation de leur capacité et un défi
supplémentaire pour les forces de sécurité. »
Le 26 décembre 2024, la PNH a saisi à Cité-Soleil un fusil de type AR-15 à « carcasse
finie à 80 % » – une arme dite « fantôme » en raison de l’absence de numéro de série,
rendant son traçage presque impossible. Fabriquée à partir de composantes industrielles
aux États-Unis, cette arme illustre une tendance préoccupante dans la région. Le
rapport cite à cet égard les conclusions du Small Arms Survey de juin 2024 : « Les
saisies d’armes fantômes dans les Caraïbes ont considérablement augmenté ces
dernières années. »
Mais les flux d’armes ne proviennent pas uniquement de l’extérieur. Le rapport met
aussi en lumière les graves dysfonctionnements internes en Haïti, notamment au sein
de la Police nationale. « Les stocks de la Police nationale d’Haïti continuent d’être une
source d’armes et de munitions illicites », avertit le Groupe. Des manquements dans la
gestion, la reddition de comptes et le suivi du matériel saisi facilitent les
détournements.
Des policiers eux-mêmes sont impliqués dans ces trafics. Le 31 octobre 2024, un
officier de l’Unité contre-embuscade, basé au Palais présidentiel, a été arrêté avec 2
695 munitions, dont une grande majorité de calibre 7,62 × 39 mm. Selon le Groupe
d’experts, ces munitions étaient destinées à un membre du gang Kraché Difé. Ce même
officier est soupçonné de récidive, avec la complicité d’autres agents corrompus.
Quelques jours plus tard, le 8 novembre 2024, un policier de l’Unité temporaire
antigang a été interpellé près du Champ-de-Mars avec 2 400 munitions (1 000 de
calibre 5,56 × 45 mm et 1 400 de 7,62 × 39 mm). Celles-ci provenaient de l’armurerie
centrale de la PNH. Sa compagne, employée comme secrétaire à l’armurerie, avait
utilisé son accès pour se servir dans les stocks. Le Groupe d’experts rapporte que ces
munitions étaient destinées à l’un des principaux chefs de gang de la coalition Viv
Ansanm.
Le rapport révèle également que des agents de sécurité dominicains corrompus ont
alimenté le marché haïtien en armes. En juillet 2024, à Mirebalais, un homme à moto a
été tué alors qu’il transportait 5 000 cartouches de calibre 5,56 × 45 mm. Les autorités
haïtiennes affirment que les munitions provenaient de la République Dominicaine.
La société italienne Fiocchi Munizioni, productrice des munitions, a confirmé au
Groupe d’experts que ce lot faisait partie d’une livraison de 500 000 cartouches à la
Police nationale dominicaine en 2022. À la suite de cette affaire, les autorités
dominicaines ont ouvert une enquête et procédé, en octobre 2024, à un inventaire de
leurs stocks. Résultat : 908 001 articles manquants, dont 489 000 cartouches de 9 mm,
230 000 de 5,56 × 45 mm, 26 000 de 7,62 × 39 mm et 93 000 de calibre 12. Selon des
experts dominicains de la sécurité, « il est probable que la majeure partie des munitions
de 5,56 × 45 mm et de 7,62 × 39 mm ait abouti en Haïti ».
Le Groupe d’experts remercie toutefois les autorités dominicaines et italiennes pour
leur coopération rapide et transparente.
En ce qui concerne la Mission multinationale d’appui à la sécurité, le rapport souligne
qu’aucun cas de perte, vol ou détournement d’armes n’a été signalé à ce jour, bien que
la résolution 2700 (2023) du Conseil de sécurité lui impose des mécanismes stricts de
contrôle.
Le rapport s’attarde aussi sur les importations par les missions
diplomatiques en Haïti. Celles-ci sont autorisées à importer des armes pour leur sécurité sans autorisation préalable du Comité des sanctions.
Plusieurs d’entre elles recourent à des sociétés de sécurité privées locales, à qui elles
délèguent la gestion du matériel importé. « Le Groupe d’experts s’est inquiété du manque
de contrôle des autorités haïtiennes sur les nombreuses sociétés de sécurité privées
présentes dans le pays et sur leurs stocks d’armes », peut-on lire.
Enfin, le document évoque un phénomène préoccupant : « certains consuls honoraires en
Haïti commettent souvent un abus de pouvoir à des fins lucratives, notamment en
contournant les contrôles à l’importation. »
Alors que la violence des gangs atteint des sommets et que le tissu institutionnel haïtien
reste extrêmement fragile, le rapport appelle à un renforcement urgent des capacités
nationales en matière de contrôle, de traçabilité et de gestion des armes, sans quoi
l’embargo restera largement symbolique.
Le Groupe d’experts poursuivra ses enquêtes et transmettra les résultats au Comité du
Conseil de sécurité en temps voulu.
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