J’ai écrit Femme Racine en pensant à ces femmes de mon pays qui ont porté la vie à bout de bras, souvent dans le silence. J’ai voulu y mettre leur force, leur fatigue, et leur lumière qui persiste malgré tout. C’est une manière de leur dire merci.
Je vous embrasse.
Michèle
Avant les poèmes, il y avait les gestes. Avant la musique, il y avait le souffle. Et avant que nous apprenions à parler, il y avait ces femmes qui pliaient sous les charges, relevaient ce qui tombait, recousaient le jour après que la vie l’avait effiloché. Elles n’attendaient pas d’être sauvées ; elles étaient trop occupées à sauver les autres. Leurs prières n’étaient pas écrites, mais on pouvait les entendre dans le bruit d’une marmite, dans le murmure d’une chanson, dans le silence après le chagrin. Ces mots sont pour elles, pour leur rire, pour leur force, et parce qu’elles ont fait jaillir demain avec presque rien, avec leurs mains nues.
Pour les femmes qui ont porté le monde
sans qu’on les porte
qui ont tenu demain dans leurs mains nues
et trouvé quand même la force
de bénir le jour présent
Leur amour n’a pas de cérémonie
seulement des mains qui font ce que le cœur commande
des yeux qui veillent quand tout le monde dort
une voix qui dit Tiens bon, pitit mwen
Dites leurs noms
Celles qui se lèvent avant le chant du coq
rallument le feu avec le souffle et la foi
font bouillir l’eau et réveillent la maison
tournent la marmite et l’espérance dans le même geste
celles dont les mains sentent la lessive, le café brûlé, la cendre
Elles marchent pieds nus à travers le jour pour que d’autres puissent rêver
recousent l’espoir avec du fil trouvé font tenir la semaine
avec vingt gourdes et une prière font des miracles
avec trois grains de riz, un peu de patience, un coin de ciel
Elles rient fort pour ne pas pleurer
rient avec des dents d’or et des poches vides
dansent avec des hanches fatiguées dansent parce que la vie continue
Elles parlent aux esprits, aux morts, au vent Elles créent la beauté avec presque rien
un ruban, une histoire, un rêve qui ne meurt pas
Ces femmes –
leurs noms voyagent dans la poussière des routes leurs noms sont des herbes sauvages
leurs noms sont du sel
et donnent du goût à chaque bouche
qui ose parler
après qu’on lui a dit de se taire
Je pense à elles
comme à des étoiles tombées
qui ont planté des jardins dans nos bouches
Et quand on parle de l’une
on parle de toutes
Elles sont la lumière qui ne s’éteint pas
Dites leurs noms
pour que la lumière tienne encore
Femme-racine : celle par qui la terre garde sa lumière.
FEMME-RACINE - Michèle Voltaire Marcelin - 31 octobre 2025
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