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Avril de la Mémoire. Par Patrick Elie

L'aide militaire allait être reprise durant cette période. « L'ambassade peut comprendre l'exclusion d'Haïti à partir de la liste des pays admissibles à l'aide à la formation militaire dans les années 1960, en raison de la situation politique prévalant à ce moment-là », a fait valoir Corcoran dans un câble du 23 novembre 1973. « Cependant, les temps ont changé en Haïti. Le pays dispose d'un nouveau, jeune président allant dans des directions nouvelles, positives ». Il a affirmé que « dans les dernières années, la répression a été nettement et réellement assouplie en Haïti » et que le gouvernement faisait preuve de « modération politique » et d'« un désir clair de faire plus pour le développement économique du pays ». ![]() Plus important encore, « dans les organisations internationales, le nouveau gouvernement en Haïti a été un fiable et bon ami des Etats-Unis, pour ce que cela vaut », a écrit Corcoran. « Toutes ces tendances sont positives, il nous semble qu'elles devraient être encouragées ». C'est « pourquoi nous croyons que l'aide pour une formation militaire à Haïti est tout à fait dans nos intérêts », parce que, entre autres choses, il a fourni « la possibilité d'établir une certaine influence sur toute une génération de jeunes officiers militaires haïtiens qui ne savent rien des Etats-Unis ». « En somme », a conclu Corcoran, « il semble illogique que Haïti ... doive toujours être totalement exclue des programmes subventionnés de formation dont ont bénéficié presque toutes les autres nations de l'hémisphère pendant de nombreuses années - formation qui contribuera de manière substantielle à l'avancement d'un certain nombre de nos intérêts importants dans la région ». En effet, l'aide militaire américaine a été reprise, en particulier pour former des unités comme les Léopards, décrite par la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens dans un rapport de 1986 comme « particulièrement brutale quand elle a affaire avec des civils ». ![]() Le chercheur Jeb Sprague explique dans son nouveau livre « Para-militarisme et l'Assaut sur la démocratie en Haïti » que les Léopards ont été formés et équipés « par d'anciens instructeurs marins américains qui travaillaient dans une société (Aerotrade international et Aerotrade Inc) sous contrat avec la CIA et approuvée par le Département d'État américain. Baby Doc lui-même a été formé avec les Léopards, établissant des liaisons particulièrement étroites avec certains membres de la force. Un attaché militaire américain s'est vanté que la création de la force avait été son idée. Le PDG d'Aerotrade, James Byers, interviewé devant caméra, a expliqué qu'il n'avait "aucune difficulté à exporter des quantités massives d'armes. Le Département d'Etat approuvait les licences, et la CIA avait des copies de tous les contrats. Des armes M-16 entièrement automatiques, des milliers et des milliers de munitions, patrouilleurs, avions T-28, hélicoptères Sikorsky. Des mitrailleuses de calibre 30. Des mitrailleuses de calibre 50. . Mortiers. Des canons à tir rapide de 20mm. Transporteurs de troupes blindés". Une poignée de vétérans de cette force servirait plus tard, par intervalles, comme des figures clés dans diverses forces paramilitaires » que les Etats-Unis avaient l'habitude d'utiliser pour réaliser et maintenir les coups d'Etat contre les gouvernements du président Jean-Bertrand Aristide en 1991 et 2004. Jean-Claude Duvalier, qui est rentré en Haïti en Janvier 2011 d'un exil doré de 25 années en France, est désormais techniquement en résidence surveillée en Haïti. Une cour d'appel reçoit les témoignages et les dépositions des témoins à charge que Duvalier doit être jugé pour crimes contre l'humanité. Les groupes de défense des droits de l'homme haïtien et internationaux ont documenté des centaines d'exécutions et emprisonnements extrajudiciaires et la torture sous le régime de 15 ans de Baby Doc de 1971 à 1986. En Janvier 2012, le juge d'instruction Jean Carves a rejeté les accusations des crimes de droits de l'homme contre Duvalier, faisant valoir que le délai de prescription avait expiré. La cour d'appel peut annuler cette décision. Environ 7.000 des 1,7 million de câbles diplomatiques secrets de 1973 à 1976 concernent Haïti. Les câbles « ont été examinées suite au processus de dé-classification systématique du Département d'État américain au bout de 25 ans »; c'est ce que WikiLeaks explique sur son site PlusD. Les câbles ont ensuite été « soit déclassifiés ou conservés classés avec tout ou partie des métadonnées enregistrés déclassifiés », puis « l'objet d'une évaluation par le National Archives and Records Administration (NARA) ». Ces câbles sont déclassifiés puis « ont été placés dans des documents PDF aux Archives nationales dans le cadre de leur politique de fichier central de collecte des Affaires étrangères ». Toutefois, les câbles sous leur forme PDF « sont en fait assez difficile d'accès pour le grand public », a expliqué Kristinn Hrafnsson, un porte-parole de WikiLeaks et un ancien journaliste d'investigation islandais, à Democracy Now le 8 avril. « Il est très difficile d'y accéder. Donc, à notre avis, l'inaccessibilité et la difficulté d'y accéder sont une forme de secret ... donc nous avons trouvé qu'il était important de le rendre à la population en général dans une bonne base de données consultables». Après 25 ans, les documents américains classés sont censés être examinés et déclassifiés chaque année. Le public devrait donc être en mesure de voir des documents classifiés aussi tard que 1988. Cependant, le processus de dé-classification n'a été fait que jusqu'en 1976, ce qui signifie qu'il est en retard de 12 ans. Une autre raison pour laquelle WikiLeaks a créé la base de données PlusD, c'est parce que « il ya eu une tendance dans la dernière décennie et demi à inverser la politique préalablement déclassifiée », a expliqué Hrafnsson. « Une politique énoncée, par exemple, par Clinton dans le milieu des années 90 a été inversée, quelques années plus tard, sous l'administration Bush. Il a été révélé en 2006, par exemple, que plus de 55.000 documents qui étaient précédemment disponibles ont été reclassés sur demande de la CIA et d'autres agences. Et il est connu que ce programme s'est poursuivi au moins jusqu'en 2009. Donc, c'est très inquiétant que le gouvernement commence en fait à remettre sous le voile du secret ce qui était disponible auparavant ». La base de donnés de Plus D ne peut pas être ainsi saisie pour être remise à nouveau sous le voile du secret. Les câbles de 1973 à 1976 couvrent la période pendant laquelle l'infâme secrétaire d'Etat Henry Kissinger était en poste pendant la présidence et de Richard Nixon Richard et de Gerald Ford. Wikileaks a donc surnommé la trouvaille «Câbles Kissinger». (Après avoir quitté son poste, Kissinger et son épouse ont visité Duvalier en Haïti.) En 2011, WikiLeaks a fourni à Haïti Liberté en exclusivité d'environ 2.000 câbles secrets américains concernant Haïti, allant de 2003 à 2010. Ils provenaient d'une plus grande mine à trésors de plus de 250,000 câbles, connue sous le nom de «Cablegate», fournie à WikiLeaks anonymement par le corporale de l'armée américaine Bradley Manning, qui a été mis en prison en «détention provisoire» durant 1.050 jours dans des conditions semblables à la torture. Il est en cour martiale et peut être accusé de trahison, passible de la peine de mort. Il y a un mouvement à l'échelle mondiale dénonçant l'attitude du gouvernement des Etats-Unis envers Manning, qui a également donné à WikiLeaks une vidéo montrant un hélicoptère Apache américain criblant 12 civils en Irak en 2007, dont deux journalistes de Reuters. Avec la sortie de Plus D et les « câbles Kissinger », Wikileaks a une fois de plus fourni aux journalistes et à des gens du monde entier un aperçu du monde glauque de la politique étrangère américaine. Alors que les câbles «Top Secret» ne sont pas disponibles, les milliers de câbles autrefois secrets et confidentiels des années 1970 donnent un aperçu clair de la façon dont le Département d'Etat élaborait ses plans et actions à des fins d'outrageuse politique pendant cette période, comme par exemple la reprise de l'aide militaire à un dictateur non-élu, corrompu, et répressif comme Jean-Claude Duvalier. |
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