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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


les enjeux autour de la chute de Duvalier Jcl. Cédras à la rescousse(2)

Publié par siel sur 27 Octobre 2010, 09:11am

Catégories : #PEUPLE sans mémoire...

Textes précédents :

VOIR : les enjeux autour de la chute de Duvalier Jcl, Cédras à la rescousse

VOIR : les enjeux autour de la chute de Duvalier Jcl. La fièvre du dimanche soir

 

La classe moyenne noire et urbaine, elle, est formée de petits salariés. Elle est effrayée par le changement. Elle vit dans la crainte de perdre son travail, et son emploi est souvent des plus précaires. Ces gens, dont l'existence est peu assurée, sont facilement manipulables. L'armée comme les macoutes les terrorisent.

 

En bas de l'échelle, les masses populaires survivent dans la pauvreté et la douleur. Elles aspirent à un réel changement susceptible de mettre fin à leur grande misère et de leur rendre leur dignité. Cette population vit au jour le jour. Elle n'est cependant pas dépourvue totalement de conscience politique puisqu'elle évinça Jean-Claude Duvalier en 1986, et se mobilise avec force pour élire Aristide en 1990.


Cette approche, même rapide, de la société haïtienne permet de décoder les stratégies respectives des uns et des autres. Les grandes familles penchent, sans états dâme, du côté de Cédras. C'est leur intérêt. Du moins, le pensent-elles. Que Cédras soit l'homme des Américains ne les dérange pas. Le général est de toute façon préférable à Aristide, considéré comme un ennemi de classe.


Et Raoul Cédras sait qu'il peut compter sur le soutien des puissants de l'île. Peu lui importe l'hostilité de la petite bourgeoisie urbaine ou des masses populaires. Avec le soutien des grandes familles, il tient les cartes maîtresses, et rares sont ceux qui peuvent lui contester le pouvoir. Reste que les puissances occidentales lui tournent le dos...


Aristide, lui, est reconnu sur la scène internationale comme le chef de l'État légitime. Sur le plan diplomatique, la junte n'existe pas. Il ne se trouve pas un pays pour cautionner ce régime qui a versé le sang, si ce n'est le Vatican, qui profite du moment pour régler ses différends avec Aristide. La décision du  Saint-Siège, qui reconnaît le régime militaire, fait l'effet d'une bombe. Les protestations sont nombreuses. En France l'évéque d'Évreux, Mgr Gaillot, s'insurge.


En revanche, secrétaire pour les relations avec les États au Vatican, Mgr Jean-Louis Tauran  explique et justifie la décision : « Les relations diplomatiques pour nous ne sont jamais une fin en soi, encore moins une approbation morale accordée à un gouvernement. Le Saint-Siège n'a jamais contesté l'élection de M.Aristide, mais il ne peut pas oublier les épreuves que l'Eglise a subies en janvier 1991 de la part de ses sympathisants. En un peu plus d'une heure, à Port-au-Prince, la première cathédrale, le siège de la conférence épiscopale et la nonciature ont été saccagés et le nonce a échappé à la mort. » Mgr Tauran précise également que, « de par sa qualité diplomatique, le nonce est à même d'avoir accès aux pouvoirs en place, non pour approuver aveuglément leur gestion, mais pour faire valoir certains principes, défendre les droits de l'homme ».


La décision de l'Église est en fait conforme à son positionnement depuis l'ère Duvalier. Elle persiste à soutenir les forces conservatrices, seules susceptibles de maintenir une certaine stabilité dans le pays, et d'éviter une « dérive marxiste » ou gauchisante. Comme en 1986, il n'y a pas d'alternative crédible aux militaires dans le pays. D'ailleurs les Américains ne sont pas loin de partager cette analyse. Mais leur attitude est plus ambiguë, dans la mesure ou, officiellement, ils soutiennent Aristide.


La France, pour sa part, n'est pas en odeur de sainteté chez les putschistes. Son ambassadeur est déclaré indésirable. Un ultimatum est fixé à Jean-Raphaël Dufour: « L'ambassadeur doit quitter Haïti dans un délai de quarante-huit heures. Passé ce délai, le gouvernement ne lui reconnaîtra aucun statut diplomatique. » Le communiqué est signé de Jean-Jacques Honorat, le nouveau Premier ministre nommé par Cédras. Sans doute faut-il ajouter que les principaux ministres d'Aristide se sont réfugiés à la résidence de l'ambassadeur de France, et la junte exige leur sortie. Dufour réplique sèchement: « Ils sont mes invités. »


Finalement, la France cède. Dufour va partir. Devenu un héros pour un grand nombre de Haïtiens favorables au retour du président Aristide, il ne mâche pas ses mots. Il qualifie les putschistes de « lâches prêts à faire leurs valises et à s'enfuir ». Il ajoute que « les généraux ne sont que des pilleurs de coffres-forts  ». Ses propos, audacieux pour le coup, font boule de neige. La communauté internationale soutient l'ambassadeur de France.

 

Le Premier ministre canadien, Brian Mulroney, traite les putschistes de « voyous ». Il leur reproche de violer la convention de Vienne sur le statut diplomatique. Une voiture diplomatique vient effectivement d'être arrêtée et fouillée. Ses occupants sont maltraités. Une valise diplomatique est bloquée et les scellés d'un colis sont brisés. Décrété persona non grata, Jean-Raphaël Dufour quitte Port-au-Prince le 20 novembre 199 1. Il sera, par la suite, décoré de la Légion d'honneur, et nommé au poste d'ambassadeur à La Havane. Belle promotion pour ce diplomate remuant. Mutation géopolitiquement correcte.


Le coup le plus dur porté aux militaires émane de l'OEA, l'Organisation des États américains. Saisie du dossier haïtien, elle décrète un embargo commercial et suspend l'aide étrangère à Haïti. Les conséquences sont catastrophiques pour une économie déjà exsangue. Les premiers effets de l'embargo se font rapidement sentir. Comme toujours en pareil cas, c'est le peuple qui subit de plein fouet les conséquences de la sanction politique. Le coût de la vie explose. Certes, tous les produits subsistent sur le marché, en provenance de Saint-Domingue, mais leur prix, qui a grimpé de façon vertigineuse, les met hors de portée des masses populaires. Par milliers, les Haïtiens s'embarquent à bord de frêles embarcations. Ces boat people espèrent atteindre une terre plus accueillante. La Floride, par exemple, à cause du mythe salvateur qu'elle représente. Mais le rêve n'est que de courte durée. La mer garde plusieurs centaines de ces aventuriers. Pour les plus chanceux, la déception est au bout de la traversée. Ils sont le plus souvent interceptés par des navires américains. Pour les garde-côtes, ces candidats à l'exil ne sont que des réfugiés économiques. Ils doivent rentrer chez eux.


Inquiet de l'ampleur du phénomène, le gouvernement américain assouplit sa position. Tous les Haïtiens ne sont pas rapatriés. Certains sont « internés » sur la base américaine de Guantanamo, a Cuba. Hébergés sous des toiles de tente.


Une vaste polémique est lancée aux Etats-Unis sur le statut de ces milliers de boat people. En fait, la recrudescence de ces « évasions » incite les Américains à trouver une issue rapide à la crise. Haïti devient quasiment un problème de politique intérieure américaine.


Des négociations s'ouvrent, sous les auspices de l'OEA, entre les deux parties du conflit haïtien. Elles se soldent par un échec rapide. La situation semble complètement bloquée. Aristide se déclare pourtant certain de rentrer en Haïti avant Noël. Erreur. Cette année-là, il n'y aura même pas de messe de minuit. L'insécurité perdure. L'année 1991 s'achève comme elle avait commencé, dans la peur mais aussi dans l'espoir.


Il faut attendre une année pour entrevoir un possible changement. Aristide, sous la pression des Occidentaux, accepte de nommer Marc Bazin Premier ministre. L'homme a été ministre des Finances de Jean-Claude Duvalier, avant Frantz Merceron. Depuis, il ambitionne, tenace, de mettre ses compétences au service de son pays. Mais avec la junte au pouvoir, ce fin politique n'est qu'une « marionnette ». Son gouvernement, défacto, laisse se développer un empire nourri par la contrebande et la corruption.

 

Comment ce leader démocrate a-t-il pu se compromettre de la sorte ? Plusieurs observateurs étrangers avancent que Marc Bazin et les siens n'ont pas le choix. Ils acceptent d'assumer la responsabilité de cette période transitoire afin de renflouer les caisses vides de leur parti politique, et, aussi, de régler le passif financier de leur échec cuisant aux présidentielles de 1990...


Dans cette partie de l'île à la dérive, la terreur est désormais instaurée, systématiquement organisée. L'horreur est portée à son comble le 27 décembre 1993. Encerclant le bidonville, un commando met le feu à la Cité Soleil. Fief du président Aristide, ce quartier de la capitale doit être « rasé comme un terrain de football ». Un carnage. Tuant de nombreux habitants qui tentent de fuir, ils vont même jusqu'à « pousser un handicapé dans le brasier », rapporte la commission « Justice et paix » qui a enquêté sur ces crimes. Un peu partout dans le pays, racket, viol et rapt deviennent monnaie courante. Depuis le coup d'État du 30 septembre 1991, le bilan des victimes est des plus lourds. De 2 000 à 4 000 morts ou disparus. À ce chiffre, il faut ajouter les 400 000 déplacés intérieurs et plus de 35 000 boat-people, refoulés par les gardes-côtes arnéricains.


« Au moment du coup d'Etat, la répression était aveugle. Aujourd'hui elle est structurée et intelligemment menée », souligne un observateur étranger. Il s'agit, pour les nostalgiques d'une certaine époque, de briser toute résistance. Deux assassinats marquent cette période chaotique. Celui de Guy Malary, le ministre de la Justice, qui projetait la séparation des forces armées et de la police. « De quoi se mêlait-il », croit devoir justifier un soldat travaillant pour Michel François, sûr de lui, alors qu'il s'exprime devant des journalistes étrangers; ensuite, celui d'Antoine lzméry. L'homme qui a financé la campagne du père Aristide est un personnage singulier. La violence, qui frappait habituellement les pauvres gens, touche cette fois, à travers la personne d'Antoine Izméry, la bourgeoisie. Il est vrai, Izméry était considéré comme un illuminé par « ceux de sa classe », un philanthrope suspect. Toujours prompt à la contestation, il avait été arrêté plus de vingt fois sous le régime Duvalier et dans les années qui suivirent. Il en tirait, d'ailleurs, une certaine fierté.


« Mélange de noblesse et de charité, Antoine Izméry jouait volontiers les Mandrin ou les Robin des Bois, aidant sans compter les uns et les autres », rapporte Jean-Bertrand Aristide . « Le soleil brille pour tous, pas seulement pour quelques-uns. La vie ne vaut que par l'aide que vous apportez aux autres », avait-il coutume d'expliquer. La mort qui guettait? « Il n'en avait pas peur », se souvient un de ses proches qui essaya de le dissuader d'organiser une messe, ce deuxième dimanche de septembre 1993.


Le 11 septembre, Izméry avait décidé d'organiser un « jour anniversaire » en mémoire des victimes de l'attaque de l'église Saint-Jean-de-Bosco, cinq ans plus tôt. Ce jour-là, l'église du Sacré-Coeur-de-Turgeau est cernée par des policiers. Un homme armé entre dans l'église, le cherche, s'adresse à un photographe d'une agence de presse américaine qui porte la barbe comme la future victime. « C'est toi Izméry ? » Le reporter est terrifié. Se rendant compte de son erreur, l'homme se dirige vers, Antoine Izméry, l'arrache de son siège, et le traîne dehors. Il l'abat alors de deux balles dans la tête. Les fidèles venus à la messe n'osent rien entreprendre. Deux passants, assistant au drame, sont assassinés. À l'intérieur de l'église, les témoins ne manquent pourtant pas, observateurs de l'ONU, diplomates, journalistes... Mais que pouvaient-ils faire, sinon constater leur impuissance, face à des hommes armés, venus pour tuer?


Les coupables sont connus de tous. Ce sont, une fois de plus, les hommes du FRAPH, sous le contrôle de Michel François, qui ont agi. Dans la descente aux enfers de l'année 1993, Haïti voit apparaître cette nouvelle formation politique, fortement enracinée dans l'armée. Par certains aspects, le FRAPH est une réminiscence des tontons macoutes de Papa Doc. Un nouveau pilier du régime Cédras. Le 3 juillet, les accords de Governor's Island, signés en présence du général Cédras et d'Aristide, prévoient le retour d'Aristide pour le 30 octobre 1993. Cédras doit quitter le pouvoir le 15 octobre. Un tournant décisif qui doit s'effectuer dans une atmosphère de réconciliation nationale.

Les dessous des accords

Pour trouver cette issue, il a fallu convaincre les militaires de venir à la table des négociations. Ce qui n'était pas simple. Fin juin 1993, Frantz Merceron va en république Dominicaine. « Je m'y suis rendu pour rencontrer Samson Élysée, l'émissaire de Michel François et de son frère qui, à l'époque, était en république Dominicaine. Nous étions en conversation téléphonique avec Biamby et Cédras. Il a été décidé ce jour-là deux choses : le limogeage de Bazin et l'ouverture des accords de Governor's Island'. »


De fait, Marc Bazin tombe trois jours plus tard. Impopulaire, l'homme n'a pas réussi à tirer son épingle du jeu dans ce contexte politique particulier. Les militaires n'en voulaient plus. À Saint-Domingue, son sort est rapidement réglé, la stratégie élaborée. Le lundi, les ministres de Bazin s'opposeront à une décision de leur Premier ministre. Trois jours plus tard, la manipulation aboutit comme prévu. Bazin doit se démettre...

 

En revanche, la deuxième question est des plus délicates : comment convaincre les militaires d'accepter la négociation ? « Il fallait vaincre les réticences de Philippe Biamby qui ne voulait pas négocier, tout comme celles de Michel François », raconte Frantz Merceron. « Les militaires n'ont pas cédé sous la pression des Américains' », explique-t-il, en présence de Jean-Marie Chanoine qui confirme la situation.


Samson Élysée, le conseiller de Raoul Cédras, joue alors un rôle déterminant. Frantz Merceron met également son poids dans la balance. « L'une des raisons de cette visite éclair, de quarante-huit heures que j'ai faite en république Dominicaine a été de leur servir un peu de catalyseur pour les convaincre de se déplacer et d'aller signer ces accords de Governor's Island, en vue de débloquer la situation. » Cédras n'avait pas besoin d'être convaincu. Il était « aux ordres ». En revanche, les deux autres officiers sont très réticents. Le plus facile à convaincre est Philippe Biamby. « Samson Élysée pesait d'un poids considérable sur Biamby », se souvient Frantz Merceron. Biamby est également « redevable » à ce dernier. Pour le comprendre, il faut revenir quelques années en arrière.


«'C'est moi qui l'ai fait sortir de prison aux États-Unis où il se trouvait après le coup d'État, destiné à renverser Avril, et dans lequel j'avais joué un rôle non négligeable, ainsi que mon ami Jean-Marie, car on estimait qu'Avril avait dépassé les mesures », raconte Frantz Merceron avec la verve qui le caractérise.


À l'époque - on est en 1989 -, ce putsch de Riobé, auquel Biamby prend une part active, se solde par un échec. Les deux hommes se retrouvent en prison aux États-Unis. Merceron raconte la suite: « Je suis intervenu parce que, tout simplement, je me sentais quelque peu moralement responsable de Biamby. Je suis allé à New York, j'ai rencontré un avocat, M. Bernstein. J'ai appelé Biamby en prison, il m'a dit: " Oui, je suis trahi par ces salauds d'Américains... " En fait il voulait rentrer comme immigrant et, pour les Haïtiens, leur problème est de régulariser leur situation. Je lui ai dit : " Ils considèrent que tu es rentré sans papiers aux États-Unis, tu ne peux pas te prévaloir d'une demande d'immigration, tu risques de rester dix ans en détention préventive. " » Merceron conseille alors à Biamby de dire qu'il souhaitait quitter les États-Unis. Biamby accepte. Entre-temps, Samson Élysée lui avait trouvé un point de chute à Caracas. « Il a été libéré immédiatement et expulsé vers le Vénézuela, poursuit Frantz Merceron. Je pense que Biamby m'a été reconnaissant de l'avoir sorti de prison. » Une « petite histoire » qui ne sera pas sans importance, quelques années plus tard, en juin 1993, lorsqu'il s'agit de convaincre les militaires de négocier. Une semaine après, les accords de Governor's Island sont signés. Ils ouvrent la voie d'un règlement de la crise haïtienne. Ils ne font que l'ouvrir.


Dans la foulée des accords, le Premier ministre d'Aristide, Robert Malval, qui a succédé à Marc Bazin, souhaite le retour au pays de tous les Haïtiens. Dans un esprit de réconciliation, il ne s'oppose pas même à celui de Baby Doc. Jean-Claude Duvalier peut désormais rentrer au pays. Certes, la Constitution haïtienne de 1987, toujours en vigueur, interdit aux duvaliéristes déjouer un rôle politique pendant dix ans. Son retour est donc possible, mais il n'est pas question d'un retour au pouvoir.


Il n'empêche, les paroles de bienvenue de Malval favorisent le retour d'anciens duvaliéristes. Ce qui n'est pas sans influencer la vie politique haïtienne. Une nouvelle aile droite politique émerge, dont, précisément, le Front pour l'avancement et le progrès haïtien, mieux connu sous le nom de FRAPH. À sa tête, Emmanuel Constant, dit Toto, est le fils d'un chef d'état-major de Papa Doc. Juste derrière ce jeune chef de parti, qui a des accointances à la CIA, apparaissent Reynold Georges, le sociologue Hubert de Ronceray et dans l'ombre, le filleul de Papa Doc et ancien ministre de l'Intérieur de Jean-Claude Duvalier, l'ex-général Claude Raymond, mis en cause dans de nombreux massacres. On lui impute notamment ceux des élections du 29 novembre 1987. Ces nostalgiques de l'ordre ancien ne facilitent guère le bon déroulement des négociations. La fine équipe des putschistes et les forces néo-duvaliéristes qui les soutiennent ne sont pas pressées de lâcher le pouvoir. Tous ont envie de faire durer le plaisir... Cédras s'accroche à son fauteuil. Le FRAPH connaît sa période de gloire.


Le 11 octobre 1993, mobilisant une bande de voyous qui brandissent leurs armes sur un quai du port de Port-au-Prince, le FRAPH parvient à effrayer les premiers Américains envoyés pour rétablir le pouvoir civil. Il s'agit d'un détachement d'instructeurs militaires canadiens et américains. De fait, le USS Harlan Country reprend la mer, laissant les brutes du FRAPH sur les quais savourer leur courte victoire...


Ces héritiers des macoutes apparaissent comme les maîtres absolus du destin du pays. La piteuse volte-face de l'USS Harlan Country, sous la menace d'une foule vociférante, raine le crédit des Nations unies à Port-au-Prince. Puis, apparaît le cargo français Gallis Bay, chargé de 530 tonnes d'aide alimentaire. Il est, à son tour, interdit d'accostage. L'« aumône » est jugée infamante par les néo-duvaliéristes, explique Vincent Hugeux dans Politique intemationale, qui rapporte également la déconvenue américaine: « Ivres de rage et de rhum, encadrés par des militaires en uniforme, les émeutiers massés sur les docks de Port-au-Prince à l'approche du Harlan Country menaceront Bill Clinton d'une " deuxième Somalie ". Mise en garde distillée, dans l'entourage de Raoul Cédras, avec une tranquille arrogance . »


L'opinion publique américaine est mobilisée. À Washington, le sénateur républicain Bob Dole donne le ton. « Le sort d'Haïti ne vaut pas la vie d'un seul soldat américain. » Retour à la case départ.
Pendant ce temps, plongée dans une misère sans fin, la population désespère d'entrevoir une solution à cette crise interminable. Certains attendent le retour d'Aristide. D'autres évoquent, avec regret, la période Baby Doc où, disent-ils, « nous trouvions à manger et on nous laissait tranquilles, si on ne disait rien ». Paradoxe. La cote de popularité de l'exprésident Jean-Claude Duvalier n'a jamais été aussi élevée. Tout comme celle d'Aristide. « On nous abandonne », soupire la population à mi-mot. Dans les bidonvilles comme dans les campagnes où l'exaspération est à son comble, les gens réclament le retour d'Aristide. Ou, à défaut, celui de Jean-Claude Duvalier...

1994: La comédie du pouvoir continue

Les Americains n'arrivent pas à se décider à déloger la junte. Une fois de plus, Cédras ne respecte pas la nouvelle date prévue pour son départ, le 15 janvier. Aristide s'insurge. « Incroyable. Nous avons respecté l'accord signé sur l'ile du Gouverneur. Nous avons nommé un Premier ministre. Cédras devait s'effacer, il est encore là. Soyons sérieux. Ou bien on feint de ne pas voir le génocide, le massacre perpétré sous les yeux de la communauté internationale. Ou bien on veut y mettre un terme. Si tel est le cas, il faut faire en sorte que les militaires partent. Ensuite, nous nommerons un Premier ministre, nous aurons un gouvernement et nous restaurerons la démocratie.»


Devant le scepticisme général quant aux résultats de l'embargo renforcé, Clinton brandit la menace d'une invasion : « Nous n'avons pas encore décidé de recourir à la force, mais, désormais, nous ne pouvons l'exclure. »
L'ex-présîdent George Bush réplique que ce serait une « énorme erreur ». Il précise qu'« aucune vie américaine n'est en danger en Haïti ». Il prône, par ailleurs, la fin du soutien à « l'instable Aristide ». Il faut dire qu'un rapport de la CIA a présenté le personnage comme un malade. Ce document, publié par le New York Times, dépeint un Aristide « mentalement instable » et « maniaco-dépressif ».


Tout comme le Pentagone, la CIA cherche à torpiller le retour d'Aristide. Il se trouve même un sénateur pour aller plus loin dans la caricature d'Aristide. Jesse Helms, élu de Caroline du Nord, le présente comme un « psychopathe » et Un « tueur avéré ».


À partir du dimanche 22 mai, Haïti subit cette fois des sanctions économiques draconiennes. Importations et exportations sont prohibées, à l'exception des médicaments et des vivres à caractère « humanitaire ». Le renforcement de l'embargo ne fait qu'exacerber les souffrances de la population, déjà misérable, et enrichir encore les putschistes qui contrôlent la contrebande, via la république Dominicaine voisine.


La Maison-Blanche continue de réfléchir sur les chances de réussite d'une opération « coup de poing » en Haïti pour déloger la junte. Elle rendrait crédible la politique étrangère de Bill Clinton. Elle permettrait aussi de tarir le flot des réfugiés. Les États-Unis redoutent un exode encore plus massif des Haïtiens vers la Floride. Comme Ronald Reagan à la Grenade, et George Bush au Panama le président américain n'a pas besoin de l'accord du Congrès pour agir.


Le Pentagone, se prépare à cette éventualité. À la mi-mai, des « grandes manoeuvres » navales, auxquelles participent 44 000 hommes, des navires amphibies, des chasseurs et un sous-marin, simulent une invasion d'Haïti. « Entraînement de routine », explique-t-on à la Maison-Blanche. Mais selon des sources militaires du Commandement atlantique basé à Norfolk (Virginie), l'exercice baptisé « Agile Provider » « a été planifié en pensant à Haïti ».


Mais rien n'est joué. Encore faudrait-il que le président Clinton, à mi-mandat, soucieux de son image aux États-Unis juste avant les élections, prenne le risque d'intervenir militairement en Haïti. Il cherche d'abord à gagner du temps, attendant les hypothétiques résultats du renforcement de l'embargo.


Les militaires haïtiens ne s'en plaignent pas. Ce chaos favorise la poursuite des trafics. En fait, ils cherchent à résister aux pressions étrangères et à se maintenir au pouvoir, au moins jusqu'à l'échéance du mandat présidentiel d'Aristide en décembre 1995. Alors que l'attitude des Américains est pour le moins confuse, la stratégie des putschistes est clairement définie. Tenant tête à la communauté internationale, ils peuvent faire entrer Haïti dans une nouvelle ère. Celle de l'âge d'or de la cocaïne. 1994 sera « l'année des dealers».

 

A suivre

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