Taubira : "cette Marianne au visage plus humain"
Les réactions politiques ont tardé en France et dans ses outre-mers, de coutume si prompts à s’indigner contre tout relent de racisme ou de colonialisme. Le Président de la République a très tardivement exprimé son soutien à sa ministre lors du conseil des ministres de mercredi, puis "entre les lignes", à l’occasion du lancement des commémorations de la grande guerre. Et ce sont les réactions citoyennes qui prennent les contours de la "belle et haute voix" que désespérait d’entendre Christiane Taubira. A ce titre, la lettre ouverte de Yann Moix, prix Renaudot 2013, à Christiane Taubira est remarquable. L’auteur affiche sa fierté d’avoir trouvé en la ministre d’origine guyanaise une personnalité d’envergure, de celles qui façonnent et "font progresser notre vieille République".
"Madame,
Je vous adresse cette courte lettre pour vous dire que la honte que je ressens d’être français quand vous êtes insultée dans votre dignité n’est rien, absolument rien, au regard de la fierté que je ressens face à la permanente démonstration de votre courage.
Il n’est pas question, ici, de politique. Mais seulement de reconnaître, en vous, tandis que pleuvent sur vous mille crachats et quantité d’immondices, une de ces figures qui font, contre vents et marées, progresser notre vieille République.
Je crois bien qu’en d’autres temps, Robert Badinter, ou Simone Veil encore, furent confrontés, de par l’ampleur de leur vision sociétale, de par la force de leurs convictions et la puissance de leur volonté, à la haine provisoire des réactionnaires et des moisis.
Vous aurez, non sans humour, permis plus d’avancées en quelques mois à la France, que d’autres pendant quelques décennies.
Votre personne, comme une sorte de caisse de résonnance, présente cette particularité, quasiment inédite, de dévoiler à elle seule, de stigmatiser sur elle seule, les nombreuses maladies dont notre pays est aujourd’hui atteint.
Puissiez-vous, madame, exister encore longtemps, et incarner cette Marianne au visage plus humain, moins éthéré, moins lisse aussi, que celle dont rêvent les nostalgiques d’une France éternelle qui, pour notre grand bonheur, n’eut jamais la moindre réalité et, ne leur en déplaise, n’existera jamais.
J’ai l’impression que, depuis quelques jours, c’est notre République qui devient bananière.
Pensez donc à Bernanos : « Les ratés ne vous rateront pas. »"
Yann Moix
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