En juillet 1993, le Révérend Père Jean-Marie Vincent accordait une interview au journaliste et cinéaste américain Kevin Pina. Au cours de cette entrevue, il a accusé Michel Martelly d’avoir participé aux Escadrons de la Mort dans le cadre de la vague de répression qui a accompagné le coup d’État de 1991. Grave accusation que nous n’avons pas voulu prendre à la légère. M. Pina a eu la courtoisie de confirmer pour nous le témoignage qu’il a recueilli du prêtre. Témoin gênant des exactions des forces militaires et paramilitaires, Père Jean-Marie a été mitraillé le 28 août 1994 à l’entrée de sa résidence de Turgeau. A moins de deux mois de la fin du putsch, il fallait le faire taire à tout prix. Près de dix-sept ans plus tard, son sang généreux clame et réclame encore justice.
Le silence est d’argent et la parole d’or. Pro/verbe à l’envers des mots pour décortiquer les maux passés, présents et à venir. Amoureux irrésistible des fleurs du flamboyant, je fais fi des mots moroses de la langue de bois. Je prends langue avec la réalité et reste sourd aux subtiles, inutiles et indécentes invitations du silence. Echos effrayants et assourdissants de mes souvenirs d’écolier. La peur est sortie de ma vie sur les mers démontées du grand large. Images obsédantes, multicolores : bleu, kaki, rose, fauves lâchés dans la nature de la bête qui portait des lunettes noires.
En l’absence de mon maître Raymond Philoctète, je fais l’école buissonnière avec mon ardoise et mon cahier d’écriture. Buissons ardents. Cacophonie babélique. Catastrophes naturelles et politiques aux proportions apocalyptiques. J’efface les ratures dans les marges de mes souvenirs. Je gomme la gourme de l’oubli. Je fouille/apporte les coupures de journaux et froisse parfois les susceptibilités nécessairement à fleur de peau. Fièvre frisson. Chair de poule. Pots de fer, pots-de-vin, pots de nuit. Pays réduit à une peau de chagrin dans la nuit des temps modernes. Il ne faudra plus confondre les pissenlits avec les roses. Ceux qui pissent en public et sur la paille déjà humide.
Sur mes étalages du Bord de Mer, je vends gratuitement aux enchères un bataclan de poupées de luxe pour exorciser les vents violents du naufrage national. Je prends la liberté de faire cette petite chronique dans la clinique des enfants sanglants de Papa Doc. Clic, déclic, cliquetis de mots. Je fais feu de la chaleur de vos yeux. Je ne vous connais même pas, mais je vous devine pourtant si bien.
A l’envers du décor, ces mots émotifs s’adressent seulement à vous qui avez des yeux pour écouter et des oreilles pour voir. Aujourd’hui, nous n’allons pas causer au sujet des bains de chance aux Sources Puantes avant les bains de foule de la campagne électorale. Nous n’allons pas parler de cette fabuleuse histoire d’amour qui s’est déroulée à Plaisance et à Sources Matelas. Nous n’allons pas babiller autour du retour de Baby Doc. Nous allons prendre le taureau par les cornes. Nous allons emprunter les gants du matador superbe, pour aborder une histoire de sang qui s’est passée il y a près de vingt ans. Percer le mystère de l’absence de mémoire sur un passé aussi récent. Une bougie de cinq centimes pour entrer dans les arcanes de la bête et faire le jour sur sa manière de mugir, de bouger, de ronfler. Et cette mégalomanie qui perce déjà sous sa carapace de dur à cuire. Alors, on y va…
Fin de 1991. Haïti est à l’article de la mort sous la botte néo-fasciste. Partisans et sympathisants de l’ordre constitutionnel sont en état de choc dans l’État sauvage établi par les militaires macoutes. Ceux qui n’ont pas pris la poudre d’escampette marchent sur des barils de poudre à Port-au-Prince. Que faire ? Faire chanter des messes de requiem en masse ? Prendre à la lettre les vaines promesses de l’ONU et des « pays amis d’Haïti » ? Suer sang en attendant d’atteindre l’oasis de l’Eau EA ? Mirage. Rage dedans et en dehors d’Haïti. La longue traversée du désert venait à peine de commencer.
Un long article publié à Miami NewTimes News le 29 mai 1997, permet de revisiter le lieu du crime à travers les confidences d’un participant privilégié : Micky Martelly. Ceux qui « croient croire » qu’il n’a pas d’expérience politique se trompent. Il est Tonton-Macoute depuis 35 ans et il a été à la hauteur de sa réputation pendant et après le coup d’État.
Le Père Jean-Marie Vincent était débordant de vie et de vitalité lorsque je l’ai rencontré à Miami au début des années 90. La tête pleine de projets pour la promotion économique des paysans. Il travaillait aussi d’arrache-pied pour que les maniaques de la gâchette arrachent leur manioc. A Port-au-Prince et en province, les balles à tête chercheuse chantaient la mort au rythme endiablé de la musique de Micky Martelly. Concerts publics. De concert et de mèche avec les militaires. « Les gens m’associent automatiquement au régime militaire. Je n’ai pas à me défendre. Vous voulez que je sois un de facto. Je suis un de facto. C’est mon droit. C’est mon pays. Je peux me battre pour n’importe quelle cause à laquelle je crois. » « Grenadiers à l’assaut ! » Pourtant, son visa à lui n’a jamais été révoqué pour menaces terroristes contre des citoyens américains et obstruction à la politique officielle des États-Unis en Haïti. Politique de double jeu et de double mesure.
Devoir d’assistance à pays et personnes en danger de mort ? Temporisation. Navette des émissaires de l’OEA entre nulle part et ailleurs. Le pays capotait dans l’enfer de Dante Caputo. Va et vient entre concessions et compromissions. Conciliabules. Dilatoires. Solution proposée : un gouvernement de cohabitation entre bourreaux et victimes.« Le temps fait la guerre à ceux qui veulent le tuer. » Il faut donner du temps au temps pour achever le travail de répression. Georges et Antoine Izmery, Ministre Guy Malary, Père Jean-Marie Vincent. De toutespetites instructions bien ficelées auraient suffi à Cédras pour prendre la fuite : Autant ! Suspends ton vol et tes crimes ! Le tribunal international t’attend ! Les putschistes ne sont pas très brillants mais ils savent lire le danger lorsqu’ils le voient de près. Ils ne sont braves qu’en présence des civils. Ils ne sont pas très contents lorsque le prix du plomb monte sur le marché international. Ils préfèrent l’argent sale et l’exil doré près du Canal de Panama.
Campagne de terreur. Port-au-Prince, métropole de la peur. La mort partout avec vous. C’était le Temps du Massacre et les fantassins attendaient le prêtre au carrefour sanglant de la fatalité. Heureux bénéficiaires des retombées du vide laissé par le renversement du gouvernement constitutionnel, les militaires, les tortionnaires et les réactionnaires de tout poil faisaient la fête. Orgie de sang, de maux sales et d’argent facile. Enrichissement illicites et stupéfiantes. Micky Martelly était en bonne position pour brailler dans l’une de ses chansons : « Je suis millionnaire ! »
Constantes frappes du FRAPH de Toto Constant et des affreux jojos de Jodel Chamblain. Viols. Violences aveugles. Boucherie à la machette. Se sachant intouchables, les assassins documentaient leurs propres crimes. Des milliers de pages compromettantes et de photos trouvées dans les archives des tueurs. Documents sanglants rapidement séquestrés par l’Armée américaine. Les barbouzes de l’Anti-gang s’emballaient. Silence ! On tue. Les balles chantaient la mort dans le grand bal des adieux. Micky Martelly mettait les fourmis dans les jambes des militaires. Michel François mettait le maillet dans les jambes des pauvres passants. Tandem de choc. The dream team. The dynamic duo. A eux deux, ils faisaient la pluie et le mauvais temps. Et, le prêtre fut emporté par la grande vague de sang.
« Abattez-le ! » Tel fut le cri de l’homme en kaki à la rue du Centre. Sans m’en rendre compte, je venais de commettre un crime de lèse-militaire : une infraction de la circulation. Le ripou insistait pour que j’arrête la voiture au milieu de la voie et moi je lui demandais calmement l’autorisation de dégager la route. Menace de mort du chômeur armé. Saisie arrogante de mon permis de conduire. Bien conduire, c’est bien se conduire. Je gardai mon sang-froid. Je voulais conserver tout mon sang à l’intérieur de mon corps. Le sang perdu ne se rattrape jamais.
C’était ça, l’atmosphère de haute tension à Port-au-Prince. Il y avait de l’électricité dans l’air en dépit du black out. Armés jusqu’aux dents, les militaires exhibaient des dents de Charles Oscar. Comme des fauves lâchés dans la nature. Engagés dans la chasse à l’Homme. Quelques semaines plus tôt, ils avaient mitraillé près de chez moi Radio Haïti Inter au cours de la nuit du coup d’État. Déchainement de violence sur l’enceinte de la station porteuse de l’enfant de la Démocratie. C’était Jean Dominique que l’on assassinait déjà par immeuble interposé. Au petit matin, les rues étaient émaillées de douilles de balles laissées par les andouilles de Cédras. J’ai vu de près les tueurs dans leurs pickups célébrant la victoire sur l’autoroute de Delmas. La voie était ouverte à tous les abus et à tous les obus.
Est-il possible à un criminel de donner l’amnistie à un autre criminel ?C’est la question que l’on se pose depuis cette interview que Micky Martelly a accordée le 18 avril dernier au journal La Presse de Montréal; interview au cours de laquelle il a entrevu d’accorder l’amnistie à Baby Doc. A Port-au-Prince, le casier judiciaire de Duvalier est déjà bien rempli. Au moins une vingtaine de plaintes pour crimes contre l’Humanité. Avec en bonus une kleptomanie bien documentée. Et cela sans compter la Lex Duvalier en Suisse. Avec Micky Martelly, on s’apprête donc à avoir une grande première internationale : l’amnistie sans jugement. Conflit d’intérêt flagrant : Gervais Charles, avocat de Baby Doc est conseiller officiel de Micky Martelly. Son nom figure même sur la courte liste des candidats à la Primature. Avant de prononcer l’amnistie de Baby Doc, Micky Martelly devrait obtenir l’amnistie pour son propre compte. Accusation de participation aux Escadrons de la Mort. Complicité « intellectuelle » ouverte à la perpétration de crimes contre l’Humanité. Apologie de la dictature militaire. Obstruction au retour à l’Ordre Constitutionnel. Amnistie ? Amnistie bien ordonnée commence par soi-même.
Le Père Jean-Marie Vincent ne pourra pas participer au procès. Dans un monde plus juste, il aurait certainement eu la consolation de voir Micky Martelly « marré » comme un crabe au banc d’accusation. Malheureusement, c’est la Justice haïtienne qui est assisse aujourd’hui sur un banc de sable. Les vagues successives de sang sont venues tour à tour effacer les noms des assassins. Ils ont tous été promus pour services rendus à la réaction. Celui-ci est garde de corps de Baby Doc après une « amnistie » nuitamment perpétrée sous le règne de Latortue. Celui-là est Sénateur. Et l’autre est devenu Président. On dira ce qu’on dira, en Haïti l’impossible est non seulement possible mais toujours très probable.
« Un coup d’État, ce n’est pas la fête. Un coup d’État c’est un coup d’État. » Tautologie en souvenir de Toto Constant. C’était le maître chanteur Micky Martelly dans un tour de chant à Miami NewTimes en vue de justifier les massacres perpétrés pendant le putsch militaire de 1991-1994. Refrain de la chanson : coup d’État. Si Micky savait lire, il aurait pu citer Augusto Pinochet : « Parfois la Démocratie doit être baignée dans le sang ». De Baby Doc à Micky Martelly, l’ignorance est tout simplement « encyclopédique ». C’est la force brute. Tentation totalitaire. Condition de constate excitation lorsqu’il est confronté à la contradiction. C’est ce qui explique ce penchant particulier de Micky à proférer des menaces de viol sur la personne des musiciens qui ont osé dans le passé faire acte de présence dans sa chasse gardée : le public captivé et rongé par les vers roses du dévergondage. Soutien, pantalette, perruque, paire de talons quiquites. On est si habitué à voir Micky en tenue de travesti qu’il est devenu maintenant indécent en complet-veston. Il devrait peut-être écouter le conseil de l’oncle Price-Mars : « Soyons nous-mêmes. »
Comme si les crimes du coup d’État ne suffisaient pas, les Zombis et les Zobops de l’Armée défunte se préparent à revenir sur la scène le 14 mai pour inaugurer une nouvelle ère de danse macabre. Au pas Général, au pas. Encouragés par les promesses creuses du maître-chanteur, ils entendent récupérer « leurs anciennes casernes », leurs « équipements » et leurs « outils » en vue d’apporter leur contribution à la reconstruction de l’État sauvage.
Castro Desroches
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