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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Démocratie en Danger ! - Par Patrick Elie

Publié par siel sur 31 Octobre 2014, 13:25pm

Catégories : #P. ELIE chronique

Ces réflexions datent de 2011 et 2012, mais restent malheureusement d'actualité.

Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au coeur du commun combat...

Il est minuit, il ne tient qu'à nous que le jour se lève

Il est grand temps de prendre conscience de la grave menace qui plane sur la démocratie haïtienne et les libertés dont la conquête a coûté si cher.

Elle se précise de plus en plus, au fur et à mesure, que derrière l'écran de fumée des scandales et des provocations, le projet de restauration d'un régime autoritaire, voire dictatorial, avance inexorablement. Le danger plane sur l'ensemble de notre société: les institutions mises en place par la Constitution, les partis politiques qui tentent leur difficile implantation, les associations de la société civile, la presse indépendante, la jeunesse universitaire, l'avenir même du pays etc...

La tyrannie duvaliériste n'est pas si lointaine que nous puissions tous avoir oublié son processus d'installation, ses terribles méfaits et ses séquelles qui nous empoisonnent encore un quart de siècle après sa défaite que nous avons à tort estimé définitive. Elle avait perdu une escarmouche, pas la guerre.

Le projet de restauration auquel nous assistons n'a que peu de chance de réussir à long terme, car il se trompe de saison et de région. Mais nous aurions tort de nous réfugier dans cette certitude, car dans son échec même, ce projet serait catastrophique pour une nation déjà brisée par la mal gouvernance plus encore que par les soubresauts de la nature.

Les forces qui appuient le projet de restauration

Il serait illusoire de croire que cette tentative de retour à un régime politique libéré des contraintes démocratiques et constitutionnelles, ne serait que la volonté d'un homme, fut-il Chef de l'État. Elle a ses partisans, ses chântres, minoritaires soit, mais disposant de moyens puissants et variés.

Il y a d'abord les nostalgiques de « l'âge d'or », au cours duquel quelques-uns pouvaient vivre leurs fantasmes de pouvoir et jouir de leurs rapines, en toute impudeur et toute impunité, face à une majorité souffrante, muselée et tenue en laisse par le terrorisme d'État.

Il y a leurs rejetons ou leurs élèves, formés ou plutôt déformés par les contes révisionnistes qu'ils n'ont cessé de leur débiter, sur l'ordre qui régnait pendant la dictature, sans mentionner qu'il était fondé sur un Hymalaya de cadavres et de citoyens zombifiés.

Il y a depuis peu les « militaires démobilisés » et leurs opportunistes recrues rêvant du temps où la soldatesque avait droit de vie et de mort sur les méprisables civils, droit de cuissage et de pillage et celui d'arbitrer la vie politique.

Il y a évidemment les adorateurs du Veau d'Or, méprisables plutocrates, avides de biens matériels aux dépens du bien commun, adeptes d'un retour aux monopoles et autres oligopoles, faisant peu de cas de ce libre-marché qu'ils ne cessent cependant de prôner. Comme les pharaons fanfarons d'Égypte, ils croient sans doute, emporter leurs trésors dans la tombe, en espérant monayer leur statut dans l'autre monde.

Il y a aussi des citoyens honnêtes, mais confus, fatigués de cette transition qui n'en finit pas et de son cortège d'instabilité. Ceux-là, souvent de bonne foi, font porter le poids de nos malheurs présents à la quête démocratique de notre peuple, sans se rendre compte que nous souffrons en fait des profondes cicatrices laissées par 30 ans de fascisme tropical. Ils oublient que derrière l'ordre apparent imposé sans concession ni consensus par les dictatures, sous la chape du silence forcé, à l'envers des privilèges de clans, s'accumulaient frustrations, rancoeurs et perte de cette volonté de vivre ensemble qui fonde les nations. Ce mélange explosif finit toujours par éclater dans un bouquet de violence et de désordre, pour le moins aussi durable que la tyrannie qui les a systématiquement couvés.

Il y a également, il faut bien le reconnaître, les désespérés du sous-prolétariat urbain, rendus inaptes aux convictions par une misère tenace et apparemment sans issue. Ils sont prêts à faire le coup de poing ou le coup de feu au bénéfice du plus offrant. Il suffit de deux mille d'entre eux, déchaînés pour prendre en otage des millions de citoyens de toutes classes, profondément allergiques à la violence et tétanisés par ses moindres manifestations.

Comme toujours, surplombant le grenouillage national, des stratèges internationaux, sans autre émotion que leur tenace rancune, envers un peuple rebelle et résolument atypique. Avides de capitaliser, au sens propre comme au sens figuré, sur ce tragique moment d'approfondissement de sa détresse.

Ceux que ce projet menace et qui tentent de s'en protéger

Il est remarquable, que la dérive de plus en plus évidente de l'équipe du Président Martelly, provoque une réprobation généralisée. Il suffit d'écouter la presse radiophonique, de lire les articles dans le journaux locaux et de la diaspora, de consulter l'internet, pour se rendre compte que le projet de restauration de l'autoritarisme, rencontre une condamnation quasi-unanime. Tous ou presque, partagent l'intuition voire la conviction que ce projet à peine camouflé de retour à l'autoritarisme menace aussi bien les démocrates-chrétiens, les sociaux-démocrates que ceux qui se réclament de la démocratie-populaire. Il menace également une paysannerie aux abois, une jeunesse condamnée à choisir entre l'embrigadement, l'ignorance ou le chômage, les classes moyennes vouées à une paupérisation accélérée ou à l'exil, un sous-prolétariat parqué à jamais dans des bidonvilles urbains ou péri-urbains dont le seul horizon est la désespérance et une classe entrepreneuriale cernée par les oligopoles, la contrebande, l'ultralibéralisme et vivotant péniblement dans un mercantilisme aux petits pieds et à laquelle on ne propose que servir de relais servile aux corporations transnationales.

Que faire et comment ?

Pour exprimer son opinion, dénoncer les dérives, lancer un cri d'alarme, on peut être seul, ou replié sur son organisation ou son parti, mais pour faire face avec succès à la grave menace actuelle, il faut se rassembler en ordre de bataille.

Or jusqu'à présent, nous sommes trop nombreux à sonner le tocsin et trop peu à se mobiliser pour éteindre l'incendie, à se regrouper pour défendre la Cité. Le bruit n'étouffera pas les feux, pas plus que des milliers de poussins piaillant de terreur sous l'ombre d'un « malfini », ne suffisent à défaire le rapace qui se rapproche en planant avant de fondre sur eux et de les saisir l'un après l'autre.

Les 26 dernières années sont la chronique de l'échec d'un projet, qui visait à édifier une démocratie concrète, intégrant les droits civils et politiques, mais également les droits sociaux et économiques. Ce regrettable et provisoire échec, ne devrait cependant pas nous conduire à la nostalgie d'un épisode dictatorial parfaitement réussi, mais qui a tranché le tendon d'Achille d'une nation qui tentait, tant bien que mal, de se mettre debout.

Il est indispensable que tous les démocrates, analysent les causes de cet échec, en toute lucidité, pour un bilan critique de leur pratique pendant ce quart de siècle; objectivement, sans complaisance, ni masochisme. Il est cependant évident que des querelles sans fondement ni grandeur, ont singulièrement affaibli un puissant mouvement, qui a cru trop tôt à sa victoire et s'est émietté en milliers de fragments dérisoires.

Nous le répétons cependant, l'urgence commande de se rassembler en ordre de bataille, comme l'on fait nos ancêtres le 18 mai 1803 et des pays aussi différents que l'Angleterre, l'URSS, les États-Unis et la France, face au danger posé par les puissances de l'Axe. L'important est de survivre à l'assaut avant de songer à la concurrence idéologique et économique.

Le minimal et le vital.

Certes, l'histoire de nos récents échecs, est jalonnée de tentatives de regroupement, de création de fronts communs, voire de fusions. Les résultats de ces essais bien inspirés, mais irréfléchis, sont aujourd'hui probants. Nous serions mal inspirés de remettre hâtivement au goût du jour ces malencontreuses recettes, sous prétexte de la bien réelle urgence. Il nous faut cette fois construire sur du solide, afin que notre édifice démocratique ne s'effondre pas à la moindre convulsion du sol politique.

Aussi ne s'agit-il pas de relancer un énième rassemblement de partis ou d'organisations politiques, ni même d'organisations de la société civile. Une telle approche conduirait inexorablement à une quête d'hégémonie de l'une ou l'autre de ces organisations, avec donc un éclatement programmé, d'autant plus que des élections sénatoriales et locales se profilent à l'horizon. Ces nouvelles consultations risquent non seulement d'être boudées par une population trop souvent trahie par ses mandataires, mais également de se transformer encore une fois en un concours d'ambitions personnelles.

Fort heureusement, à travers les vicissitudes de cette dure lutte pour la démocratie des militants qui ont participé à la naissance du mouvement progressiste, ont su garder intact leur capital de crédibilité et de respect. Malgré les querelles qui les ont opposés et divisés, le dialogue entre eux n'a jamais été irrémédiablement rompu. Ils se sont entretemps enrichis d'une expérience souvent pénible, et leur connaissance de la réalité socio-politique haïtienne s'est affinée. Il est également clair, que de nouveaux leaders ont émergé à la faveur du combat erratique mais continu. Certes, une inquiétante fracture générationnelle se manifeste entre ce nouveau leadership et ses aînés, mais rien n'empêche de la réduire, si les nécessaires efforts sont consentis de part et d'autre.

Dans un premier temps, les rencontres en vue de s'organiser pour contrer efficacement la tentative de restauration que nous nous contentons jusqu'à présent de subir, devraient réunir ces militants, à titre individuel. Ces militants, devraient mettre en commun, leurs énergies, leur expérience, pour, entre autres, approfondir ensemble leur connaissance de la réalité haïtienne d'aujourd'hui, si différente de celle qui prévalait il y 25 ans. Ils partageraient ensuite leur analyse commune avec leurs organisations respectives, mais également les directeurs d'opinion de la presse, la société civile dans son ensemble, la jeunesse universitaire et scolaire, les secteurs progressistes de la classe entrepreneuriale et l'opinion publique en général.

Une mise en garde.

Nous n'insisterons pas assez sur la nécessité d'éviter d'investir le gros de notre énergie dans les prochaines consultations électorales, ce serait lâcher la proie pour l'ombre.

De même, nous devrions résister, autant que possible à l'appel des sirènes du « déchoukaj ». Haïti n'a pas besoin d'un nouveau cycle d'instabilité. Le régime actuel doit être bridé, plutôt que renversé.

Le corps répressif des Léopards- 1984 Fond du Cidihca

Le corps répressif des Léopards- 1984 Fond du Cidihca

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