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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


La semaine Dessalines : le mauvais chemin pris par Haïti dans l’histoire (6 de 7) - Par Leslie Péan

Publié par Leslie Péan sur 18 Octobre 2015, 16:59pm

Catégories : #L.PEAN chronique

La semaine Dessalines : le mauvais chemin pris par Haïti dans l’histoire (6 de 7) - Par Leslie Péan

On se doit de reconnaître que Dessalines a mobilisé ses dernières forces contre l’ignominie, contre la banqueroute que les fastes de ses généraux appelaient. Au fait, il s’en est pris à lui-même car il a contribué aussi à créer les problèmes qui l’ont terrassé. Il a été assassiné au moment où, refusant d’être grossier, vulgaire et grotesque, il a refusé de descendre dans les désordres de l’abjection. Comme le décrit Anténor Firmin, « Dessalines arriva, par grâce d’état, à ouvrir les yeux sur la portée de ces désordres. Il finit par être scandalisé des concussions, du pillage des biens domaniaux et d’autres péculats audacieux. Dans sa simplicité d’esprit, il se déchaina en paroles menaçantes contre ceux dont il avait fait ses collaborateurs[ix]. »

16 octobre 2015,

 

              Les navires marchands américains fréquentant les ports d’Haïti et qui sont saisis par les corsaires français ne se comptent plus. Par exemple, le 10 décembre 1804, le navire Elesenor parti du Cap et allant à Baltimore est saisi et conduit à Santiago de Cuba où sa cargaison est liquidée sans même faire l’objet d’une mesure juridique. Cheaspeake Insurance soumettra une réclamation à la France pour un montant de 4 500 dollars américains[i]. En janvier 1805, le même sort est réservé au navire marchand américain Antelope[ii]. Le 27 avril 1805, un autre navire marchand américain, le Ann, parti de Jacmel pour Baltimore est saisi par le corsaire français Le Régulateur. Sa cargaison est vendue à la Guadeloupe. Baltimore Insurance soumet une réclamation pour un montant de 18 000 dollars américains[iii]. Les bâtiments américains engagés dans le commerce avec Haïti sont obligés de s’armer de canons pour faire face aux pirates français. C’est le cas des navires Jane avec seize canons, America avec trente-deux canons, Connecticut avec vingt-deux canons, Indostan avec quatorze canons[iv].  Dessalines ne bronche pas devant l’offensive de la piraterie française. Le gouvernement haïtien est résolu et déclare dans la Gazette Politique et Commerciale d’Haïti en date du 7 mars 1805 : « Il n’est pas facile de soumettre des hommes décidés à la mort, plutôt que de rentrer sous un joug abhorré[v]. »

L’assassinat de Dessalines est un remède pire que le mal. Avec ce crime, la nation est rentrée dans un complet délire. À ce propos, avec le courage politique qu’on lui connaît, Justin Dévot écrit : « La violence ne fonde rien de durable et quand elle débarrasse momentanément une société d’un mal, c’est quelquefois pour la jeter, plus tard, dans des maux plus intolérables encore[vi]. » L’âme haïtienne a été atteinte et depuis aucune cure n’a été trouvée. D’où l’état de déréliction et de défaillance qui caractérise la société en général. La difficulté d’être de l’Haïtien part de là.  Anténor Firmin a écrit : « le pouvoir absolu […] accordé à Dessalines, c’était la condamnation du peuple haïtien à l’abâtardissement national[vii]. » La recherche historique a révélé l’histoire cachée de sa trahison de Toussaint Louverture, son côté énigmatique et obscur, ses victimes innocentes, bref ses menées qui ne correspondent pas aux idéaux de liberté, égalité, fraternité.

En ce qui concerne la liberté, les restrictions imposées aux cultivateurs sont nombreuses. Le caporalisme agraire limite les libertés des cultivateurs qui sont obligés de travailler sur certaines plantations et d’avoir des laissez-passer signés du chef pour aller en ville. Quant à l’égalité et la fraternité, l’accès à l’éducation et à la propriété ne sont pas réellement répartis entre les propriétaires et les cultivateurs. Ayant compris les tourments, misères et souffrances qu’il a créés, Dessalines a payé cher pour tenter de guérir le mal, pour empêcher qu’il ne contamine tout le corps social, pour que la dignité de l’Haïtien ne soit pas terrassée par les forces de destruction. 

Dessalines s’est ressaisi au bord du gouffre. Il avait dit « Plumez la poule, mais ne la laissez pas crier ». La corruption suintait de partout non pas avec des cris mais plutôt avec des hurlements dont les échos lui sont parvenus. Selon Alin Louis Hall, « cette corruption exaspérait au point où l’Empereur, lui-même,  fut secoué par l’opinion du général  Guillaume Lafleur. Ce dernier lui fit comprendre que, pendant que ses commères, laquais et amies s’engraissaient, les pauvres soldats avaient le ventre plat et n’étaient ni soldés ni habillés. Dessalines, fortement frappé de ces réflexions, reconnut l’urgence de mettre un terme aux gabegies et que les abus cesseraient au  1er janvier 1807. Hélas ! Le destin avait déjà décidé autrement[viii]. »

On se doit de reconnaître que Dessalines a mobilisé ses dernières forces contre l’ignominie, contre la banqueroute que les fastes de ses généraux appelaient. Au fait, il s’en est pris à lui-même car il a contribué aussi à créer les problèmes qui l’ont terrassé. Il a été assassiné au moment où, refusant d’être grossier, vulgaire et grotesque, il a refusé de descendre dans les désordres de l’abjection. Comme le décrit Anténor Firmin, « Dessalines arriva, par grâce d’état, à ouvrir les yeux sur la portée de ces désordres. Il finit par être scandalisé des concussions, du pillage des biens domaniaux et d’autres péculats audacieux. Dans sa simplicité d’esprit, il se déchaina en paroles menaçantes contre ceux dont il avait fait ses collaborateurs[ix]. »

En envoyant Inginac, directeur des domaines, dans le Sud pour rétablir les droits de l’État sur les propriétés  accaparées frauduleusement, Dessalines voulait conjurer le mal. Ce fut le signal de l’insurrection auquel se joint Pétion en qui il avait une grande confiance. L’empereur ne se ménage pas et décide d’aller lui-même combattre les factieux. Son égocentrisme le perd. Il est assassiné dans l’embuscade du Pont Rouge. Les balles du soldat Garat le transpercent. Le misérabilisme ne s’arrête pas là. Même mort, son cadavre n’est l’objet d’aucun respect. Ses doigts sont coupés par la populace qui lui vole ses bagues pour les vendre aux commerçants américains confirmant son impopularité auprès des masses. Ses minuscules gouttes de sang vont augmenter les flots de sang dont Haïti est empoisonnée  avec la malédiction du pouvoir absolu. Dessalines est mort pour rien, car son sang n’a pas été capable de redonner vie aux morts-vivants !

En effet, l’équilibre entre anciens libres et nouveaux libres, entre mulâtres et noirs, est rompu avec l’assassinat de Dessalines du 17 octobre 1806. Un système politique de second ordre d’une ténacité particulière s’installe. Les élections pour l’assemblée constituante de décembre 1806 constituent la première fraude électorale orchestrée par Pétion. Les ravages de la question de couleur parmi les dirigeants de la guerre de l’indépendance sont inséparables des luttes de pouvoir pour l’hégémonie se déroulant au cours des années 1802-1803. Les Français avec Leclerc y ont contribué en divisant les mulâtres des noirs et ensuite chacun de ces groupes entre eux. Ils s’y prendront si bien qu’ils arrivèrent à ronger les relations au sein des noirs comme le démontre la détérioration des rapports entre Toussaint Louverture et Dessalines.

La surexploitation des cultivateurs continue sans le moindre changement dans le cadre du caporalisme agraire instauré par Toussaint et Dessalines. Par la répression des « Congos », Dessalines coupe l’herbe sous ses propres pieds et, de ce fait, se retrouve malgré lui prisonnier des propriétaires anciens libres.  Comme l’explique l’historien Vertus Saint-Louis, « en liquidant le parti de Sans-Souci au nom de l’unité de commandement, Dessalines établit l’hégémonie des anciens libres, propriétaires et surtout mulâtres au sein des forces luttant contre la restauration de l’esclavage et pour l’indépendance politique. L’esprit conservateur de cette fraction des indigènes est manifeste dans la forte proportion de ses membres, surtout les plus riches, qui au cours de la Révolution ont émigré comme les colons[x]. Nombre de ceux qui sont restés n’ont rejoint le camp opposé à la France que lorsque la victoire était assurée.  Christophe, général noir du Nord, et les mulâtres de l’Ouest et du Sud que Dessalines a favorisés unilatéralement seront les premiers à conspirer contrée lui[xi]

Refusant franchement les sentiers battus du racisme, Christophe ouvre en grand les portes du gouvernement du Nord d’Haïti à tous ceux qui veulent contribuer à faire sortir les anciens esclaves de l’ignorance crasse et sordide dans laquelle ils ont été plongés. Les Constitutions de 1807 et de 1811 acceptent les droits de propriété aux Blancs contrairement à la Constitution de 1805. Le prêtre français Corneille Brelle est signataire de la Constitution de 1807. Christophe estime suicidaire l’approche anti-Blanc et préfère une stratégie de grignotage à long terme considérée comme la seule jouable afin de permettre aux Haïtiens d’acquérir le savoir et la connaissance nécessaires pour sortir de l’animalité dans laquelle l’esclavage les a placés.  Les Blancs ne sont pas considérés comme des hérétiques qui doivent être voués aux gémonies.

En effet, des maîtres d’école et professeurs Blancs recrutés en Angleterre sont venus travailler sous les directives de la Chambre royale d’instruction publique de Christophe. Ce dernier met en œuvre une politique pour enrayer la fuite du capital, attirer les investissements, permettre de redémarrer la croissance, bref sortir l’économie du ralentissement et de la crise créée par la révolution. Christophe a pu rétablir la production de sucre à 75% de son  niveau sous la colonie dans le royaume du Nord. La voie était prise pour sortir du cercle vicieux autoalimenté qui se mettait en place avec la baisse de la production de sucre telle que montrée au tableau 1.   

 

Tableau 1. Exportations de Saint Domingue et d'Haïti de 1791 à 1822

 

              1791

                 1801

               1804

            1822

Sucre (livres)

163 405 220

       53 400 000

    47 600 000

        652 541

Café (livres)

  68 151 180

       34 370 000

    31 000 000

   35 117 834

Coton (livres)

    6 286 126

         4 050 000

      3 000 000

         891 950

Indigo (livres)

       930 016

               37 600

            35 400

                     0

Cacao (livres)

 

 

          201 800

         322 145

Bois  (pieds)

                  0

                  0

       3 815 583

      3 816 583

James Franklin, The present state of Haiti (1828), London, Routledge, 1972, p. 317, 325, 329.

 

Sous l’influence des facteurs traditionnels que sont les cours du café et du sucre de 1804 à 1843, Haïti est un château de cartes. Les déficits budgétaires augmentent. La politique monétaire est désastreuse. Quant à la politique financière conduite par le gouvernement de Pétion et suivie par celui de Boyer, elle est basée « non pas sur l’impôt mais sur l’emprunt[xii].» La dette de l’indépendance place Haïti définitivement dans le collimateur des créanciers. Cette dette de l’indépendance devient un moyen d’extorsion et de subordination alimentant les réseaux d’un État devenu la lessiveuse de la corruption financière.

La politique de la dette déchire le tissu social encore plus en faussant l’allocation des ressources. Des sommes qui devraient être utilisées au développement social et humain sont versées au paiement de la dette. Les gouvernements sont tributaires des commerçants. C’est la mise à plat économique avec la corruption et la contrebande. La perversion des esprits aboutit au dépérissement de l’État avec des dirigeants qui ne savent pas remballer leur orgueil (kap pran ront sèvi kole). Pour boucler leurs comptes, les dirigeants ont décidé de couper les arbres et de vendre le bois. En effet, comme l’indique le Tableau 1, dès 1804, la déforestation à grande échelle commence. Une dégénérescence alimentant une économie suicidaire et qui explique que la couverture végétale en 2015 ne soit que de 2%.

Les mauvais choix des aïeux ont détruit les rapports sociaux et horripilés les cultivateurs qui ont commencé à se révolter en demandant l’accès à la terre. Il s’en est suivi le déclin de la production et de la productivité provoqué par le morcellement et la petite propriété. Une solution idiote quand on sait que la grande propriété aurait pu être gérée par la création de sociétés par action dont la création remonte au 12e siècle en France. L’astuce de la société par action aurait permis de maintenir la grande propriété permettant la continuation de la production de sucre avec des économies d’échelle, tout en donnant leur part de propriété à chacun tant au niveau des actifs financiers qu’à celui de la distribution des revenus. Bien sûr, cela demande une configuration mentale qui échappait à nos pères fondateurs. Configuration mentale qui échappe encore aujourd’hui aux dirigeants haïtiens qui refusent d’intégrer la diaspora dans la conduite des affaires publiques. Malgré sa contribution fondamentale à l’économie nationale et les nombreux exemples de participation des diasporas africaines, françaises et dominicaines à la vie politique de leur pays.

L’étroitesse d’esprit est l’essence du mal qui annihile Haïti. L’ignorance des masses est une chose mais la plus importante est celle des dirigeants qui, tout en étant conscients de cette ignorance,  surfent sur elle, pour mystifier les masses encore plus. La politique agraire de morcellement de Pétion est un exemple classique de cette mystification. La recherche du pouvoir porte les dirigeants à ignorer leur ignorance. Un comportement que le docteur Denyse Lyard nomme « l’aveuglement spécifique »[xiii].  En effet, les nouveaux dirigeants dans leur « aveuglement spécifique » pour le pouvoir font l’impasse sur la production et mettent en place les bases de l’autodestruction. Sous prétexte de ne pas entamer leur mémoire, le culte des aïeux conduit à les exonérer de leurs fautes et des mauvais chemins qu’ils ont pris et qui sont suivis par les nouvelles générations. Haïti est condamnée car nous n’arrivons pas à porter le fer là où il se doit, et nous restons dans le mauvais chemin, précipitant l’effondrement de l’État et de la nation.

En 1791, Saint-Domingue est le plus grand producteur annuel de sucre de canne au monde  et aussi le plus grand producteur annuel de café. Comme l’indique le tableau 1, avant la révolte des esclaves de 1791, Saint-Domingue produit 163 millions de livres de sucre, 68 millions de livres de café, 6 millions de livres de coton et 930 mille livres d’indigo. À la veille de la révolution française de 1789, 1282 bateaux et 15 000 marins sont engagés dans le commerce avec Saint-Domingue. Du côté des Etats-Unis, 500 bateaux font le commerce avec Saint-Domingue qui est son deuxième partenaire commercial après l’Angleterre. Cet acquis n’a pas pu être conservé en dépit de l’augmentation de la population. Les querelles de couleur pour le pouvoir ont pris le devant de la scène. Le capital humain n’a pas été mis en valeur et Haïti a raté chaque fois le train de l’histoire en marche. Elle a préféré mener sa barque seule, en queue du cortège, en proie à toutes les occupations.

 

 

Selon Mgr. Guillou, archevêque de Port-au-Prince, « Le dimanche 23 septembre 1883, vers deux heures du soir, nous sommes allés au Palais, Mgr Kersuzan et moi, porter au Président Salomon nos doléances et celles de la population. Nous l’avons trouvé dans un état de prostration impossible. Il protestait que ni lui ni ses généraux n'étaient pour rien dans ce navrant état de choses, qui pourtant a continué jusqu'à ce que les commandants des navires en rade eussent déclaré que, si le Gouvernement ne pouvait pas maintenir l'ordre et faire cesser l'incendie et le pillage, ils feraient débarquer des troupes. Tout a cessé... La rue des Fronts Forts, depuis le bord-de-mer jusqu'à la Cathédrale, la rue Bonne-Foi, depuis la rue du Centre jusqu'aux Fontaines, au coin de la place de l'Eglise, cette place, la place Vallière, la rue Traversière, la rue des Césars, excepté le côté nord de la place Vallière, et beaucoup d'autres maisons n'existent plus. Le commerce indigène est anéanti. On enfonçait les maisons en pierre pour les piller.

La liquidation du capital national

 

Au fait, des dirigeants de la classe politique haïtienne, depuis le gouvernement de Salomon en 1882,  ne cessent de faire des appels aux Américains pour leur vendre Haïti en gros ou en détail. Les exemples abondent.  Le pays s’est enfermé dans une nasse qui ne permet pas au capital national de se développer, refuse les droits de propriété aux étrangers tout en recherchant une tutelle étrangère. Cette contradiction apparente reflète les perspectives de la politique politicienne qui s’intéresse à prendre et garder le pouvoir politique. Dans n’importe quelle condition et en s’attaquant à la bourgeoisie commerçante nationale perçue comme concurrente à éliminer. On se rappelle que les 22 et 23 septembre 1883, le président Salomon débute une répression qui fit disparaître une grande partie de la bourgeoisie commerçante haïtienne. 

Selon Mgr. Guillou, archevêque de Port-au-Prince, « Le dimanche 23 septembre 1883, vers deux heures du soir, nous sommes allés au Palais, Mgr Kersuzan et moi, porter au Président Salomon nos doléances et celles de la population. Nous l’avons trouvé dans un état de prostration impossible. Il protestait que ni lui ni ses généraux n'étaient pour rien dans ce navrant état de choses, qui pourtant a continué jusqu'à ce que les commandants des navires en rade eussent déclaré que, si le Gouvernement ne pouvait pas maintenir l'ordre et faire cesser l'incendie et le pillage, ils feraient débarquer des troupes. Tout a cessé... La rue des Fronts Forts, depuis le bord-de-mer jusqu'à la Cathédrale, la rue Bonne-Foi, depuis la rue du Centre jusqu'aux Fontaines, au coin de la place de l'Eglise, cette place, la place Vallière, la rue Traversière, la rue des Césars, excepté le côté nord de la place Vallière, et beaucoup d'autres maisons n'existent plus. Le commerce indigène est anéanti. On enfonçait les maisons en pierre pour les piller[xiv]. »

La liquidation du capital national est l’autre face de la médaille du néant haïtien créé par les luttes de pouvoir. C’est dans ce contexte de destitution globale que la solution consiste à demander l’occupation d’Haïti ou à la justifier quand les troupes étrangères sont déjà sur place comme c’est le cas aujourd’hui avec la MINUSTAH. La désorganisation des finances haïtiennes et le chaos politique ont provoqué des débats au Sénat haïtien en 1914 où l’appel à l’occupation étrangère a été présenté comme la dernière solution pour sauver Haïti.  Ministre de la Justice pour un mois,  du 11 novembre 1914 au 12 décembre 1914, Joseph Justin devait déclarer au Sénat : «  il nous faut un maître étranger »[xv]. Selon Arthur Bailly-Blanchard, représentant américain en Haïti, le ministre Joseph Justin a failli être lynché pour cette déclaration.

 

Des hommes ignorants et un gouvernement imbécile

 

Le professeur Leslie Manigat s’est trompé de Justin[xvi] et a référé cette néfaste déclaration à Justin Dévot. Qui a montré que les bruits xénophobes dans les milieux politiques étaient inaudibles pour l’étranger vivant en Haïti. En 1883, sur les 20 maisons de commerce les plus importantes de la capitale, neuf sont allemandes, cinq haïtiennes, trois américaines, deux françaises et une anglaise. Loin de la politique de l’autruche qui refuse de voir le rôle des étrangers dans la politique haïtienne, Justin Dévot écrit : « Au milieu de nos continuels bouleversements,  il (l’étranger) jouit d’une sécurité qui manque à l’Haïtien et lui permet de soigner et de faire prospérer ses intérêts, alors que ceux du national restent en souffrance, négligés ou méconnus[xvii]. »

En effet, les commerçants étrangers ont toujours bénéficié de réparations financières pour des dommages réels ou fictifs subis au cours des nombreuses insurrections qu’ils finançaient et qui jalonnent la vie politique haïtienne. Les canonnières de leurs pays respectifs garantissaient cet ordre de choses à un tel point que l’industrie des réparations était devenue comme la seule entreprise rentable pour cette engeance que Frederick Douglass, représentant américain accrédité en Haïti en 1893, nomme « des requins, des pirates et Shylocks, assoiffés d’argent, quels que soient les coûts pour la vie et la misère pour l’humanité[xviii]. » Les étrangers alors contrôlent le commerce et l’un d’entre eux devait faire une confidence au mulâtre Léon Laroche : « Nous autres venus dans le pays uniquement pour nous enrichir, nous trouvons, tous préparés, des hommes ignorants et un gouvernement imbécile[xix]. » Léon Laroche devait ajouter que « ce Monsieur avait oublié que pour être mulâtre, son interlocuteur n’appartient pas moins à la race nègre et à la nation haïtienne[xx]. »

Au moment où Joseph Justin soutient au Sénat la nécessité pour Haïti d’avoir « un maître étranger », le gouvernement américain fait pression à travers son représentant diplomatique Bailly-Blanchard pour la signature par le gouvernement haïtien d’une Convention lui donnant le contrôle des douanes haïtiennes. Bailly-Blanchard décidait de la longévité d’un gouvernement haïtien si ce dernier acceptait de signer la Convention.  Washington veut ainsi s’assurer qu’il contrôle les revenus haïtiens permettant de payer les porteurs de titres à Wall Street de la dette contractée par Haïti en 1910. Le président Oreste Zamor à qui il avait présenté la Convention à signer le 13 juillet 1914 est vite écarté du pouvoir et remplacé par Davilmar Théodore le 7 décembre 1914. Celui-ci refuse également de signer la Convention qui lui est présentée par le même Bailly-Blanchard le 10 décembre 1914. Alors les marines américains du Machias débarquent le 17 décembre 1914 et saisissent l’or entreposé à la Banque nationale.  Deux mois plus tard, Davilmar Théodore est renversé et Vilbrun Guillaume Sam prend le pouvoir exécutif.  (à suivre)

 


[i] Greg Williams, The French Assault on American Shipping, 1793-1813: A History and Comprehensive Record of Merchant Marine Losses, McFarland, 2009, p. 126.

[ii] Ibid, p. 63.

[iii] Ibid, p. 58.

[iv] Alain Yacou (dir), Saint-Domingue espagnol et la révolution nègre d'Haïti, Paris, Karthala, 2007, p. 476.

[v] Gazette Politique et Commerciale d’Haïti, numéro 13, 7 mars 1805, p. 52.

[vi] Justin Dévot, Considérations sur l’état mental de la société haïtienne ; l’organisation des forces intellectuelles, Paris, Pichon, 1901, p. 93.

[vii]  Joseph-Anténor Firmin, M. Roosvelt, président des Etats-Unis et la République d'Haïti, Paris, F. Pichon et Durand-Auzias,  Librairie du Conseil d’État et de la Société de Législation Comparée, 1905, p. 295.

[viii] Alin Louis Hall, La Péninsule Républicaine, Port-au-Prince, Collection Estafette, Editions C3, Aout 2014, p 114.

[ix] Joseph-Anténor Firmin, M. Roosevelt, président des Etats-Unis, op. cit p. 298.

[x] Alain Yacou, « La présence française dans la portion occidentale de l'île de Cuba au lendemain de la révolution de Saint-Domingue », Revue française d'histoire d'outre-mer, 1987, 147-188, 161-162. On trouve à côté de 1431 blancs et 1231 blanches, 656 mulâtres libres, 1235 mulâtresses libres, 145 Nègres libres, 305 Négresses libres, 175 mulâtres esclaves, 132 mulâtresses esclaves, 1.083 esclaves noirs, 1.067 esclaves noires. Les esclaves n'ont sans doute pu que suivre leurs maîtres dont le nombre est indicateur de tendances sociales et politiques.

[xi] Vertus Saint-Louis, « Relations internationales et classe politique en Haïti (1784-1814) », Outre-Mers, T. 90, N° 340-341, 2003, p. 168-169.

[xii] Leslie Péan, Haïti, économie politique de la corruption – De Saint Domingue à Haïti (1791-1870), Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, p. 123.

[xiii] André Virel (dir), Vocabulaire des Psychothérapies, Paris, Fayard, 1977, p. 54-55.

[xiv] R. P. Cabon, Monseigneur Alexis Jean-Marie Guillou, 2ème archevêque de Port au Prince (Haïti), 1929, p. 482.

[xv]   Robert Debs Heinl, Nancy Gordon Heinl, Michael Heinl, Written in Blood: The Story of the Haitian People, 1492-1995, University Press of America, Jan 1, 2005, p. 373.

[xvi] Leslie Manigat, Eventail d'Histoire Vivante d'Haïti   Des préludes à la Révolution de Saint-Domingue jusqu'à nos jours   (1789-2003)   Une Contribution à la «Nouvelle Histoire» Haïtienne, Tome 3 : La Crise de dépérissement  de la société traditionnelle haïtienne (1896-2003), Port-au-Prince, Collection du CHUDAC,  2003,  p. 26.

[xvii] Justin Dévot, Cours élémentaire d’instruction civique et d’éducation patriotique, Paris, Librairie Cotillon,  1894, p. 186.

[xviii] Leslie Péan, Économie politique de la Corruption --- L’État marron, Tome 2, Maisonneuve et Larose, Paris, France, 2005, p. 233-234.

[xix] Léon Laroche, Une page d’histoire, Paris, Arthur Rousseau Éditeurs, 1885, p. 61-62

[xx] Ibid.

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