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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


L’affaire des déchets toxiques aux Gonaïves - Par Jean-Claude Icart

Publié par siel sur 10 Décembre 2021, 17:30pm

Catégories : #Archives 2, #PEUPLE sans mémoire..., #DUVALIER

Le Khian Sea  dont on peut lire le parcours international pour déverser ses produits toxiques.https://fr.wikipedia.org/wiki/Khian_Sea

Le Khian Sea dont on peut lire le parcours international pour déverser ses produits toxiques.https://fr.wikipedia.org/wiki/Khian_Sea

Le 29 novembre dernier, le Kolektif Jistis Min a dénoncé un pillage/saccage du matériel restant sur le site de l’ancienne mine de la SEDREN, dans la région des Gonaïves, comme la destruction d’un espace de sensibilisation face aux dérives de l’exploitation minière. Cette région fut aussi le théâtre d'une rude bataille au sujet de déchets toxiques qui y furent déversés en 1988, bataille qui ne s’est pas soldée par un échec. Je vous propose de revenir sur cette affaire à partir d’un résumé que j’en avais fait, il y a 15 ans.

Le 31 décembre 1987, un bateau, le Khian Sea, arrive dans la rade des Gonaïves, chargé officiellement d’engrais organiques.  Les importateurs sont deux frères d’un des hommes forts de l’Armée d’Haïti à l’époque, exploitants d’une entreprise dénommée les éleveurs de l’Ouest. En janvier 1988, le Khian Sea commença à décharger au quai de la SEDREN non pas des engrais, mais plutôt des déchets toxiques provenant de la décharge publique de la ville de Philadelphie.  Dès 1983-1984, il y avait un problème d’accumulation de cendres toxiques produites par l’incinérateur de cette ville. La solution retenue fut de trouver une terre d’accueil à ces cendres et les services d’une firme privée furent retenus à cette fin. Selon le préavis d’importation, la cargaison du Khian Sea était exempte de contrôle, mais le port normal de débarquement aurait dû être Port-au-Prince. Le médecin responsable de la quarantaine ne fut pas invité à bord et remplit un rapport pour signaler l’incident.

Les travailleurs engagés pour le déchargement des drums contenant ces cendres blanches se plaignirent de maux bizarres et certains commencèrent à montrer des signes de maladies.  La population locale se mobilisa très vite sur cette question et elle fut appuyée tout au long de cette saga par la Commission Justice et Paix locale. La Fédération des amis de la nature (FAN) et d’autres groupes se mobilisèrent également.  Rappelons que l’article 258 de la Constitution de 1987 se lit comme suit : « Nul ne peut introduire dans le Pays des déchets ou des résidus de provenances étrangères de quelque nature que ce soit ». La FAN prit contact avec la fondation Greenpeace qui avait ce bateau à l’œil depuis quelque temps déjà.  Devant le tollé provoqué par cette affaire, le ministre de la Justice de l’époque ordonna l’arrêt du déchargement et l’enlèvement des cendres déjà à terre.   Le bateau leva finalement l’ancre dans la nuit du 4 février 1988, abandonnant 4,000 des 25,000 tonnes de cendres qu’il transportait.

Le Gouvernement haïtien réagira et la plus grande partie des déchets sera placée dans un bassin à ciel ouvert sur le flanc du Morne Lapierre (vers Anse Rouge). Aucune norme de protection ne fut respectée pour la construction de ce bassin qui fut laissé sans protection.  Il n’était pas imperméable et se fissurera bien vite.

En décembre 1990, 500 enveloppes contenant des échantillons de cendres furent expédiées d’Haïti aux dirigeants de la ville de Philadelphie.  En 1991, Greenpeace et Haïti Communication Project feront différentes représentations auprès des dirigeants de la Ville de Philadelphie pour demander le rapatriement des déchets.

En 1993, différentes organisations haïtiennes mettent sur pied le Collectif Haïtien pour la Protection de l’Environnement et un Développement alternatif (COPEHDA) qui fait des déchets toxiques des Gonaïves un dossier prioritaire. Le COPEHDA reprend contact avec Greenpeace et les Amis de la terre et organise des rencontres de travail avec ces organisations.  En 1997, la COPEHDA lance une campagne de masse avec l’appui du Regroupement des organismes canado-haïtiens pour le développement (ROCAHD) : des milliers de cartes sont adressées de partout aux dirigeants haïtiens.  Le COPEHDA réalisera également une intense campagne médiatique sur la scène locale : page dans Le Nouvelliste, spots réguliers sur les ondes de Radio Haïti Inter, etc. Des démarches sont également entreprises auprès du Gouvernement haïtien.

En mars 1998, le ministre des Affaires extérieures, Fritz Longchamp rencontre le COPEHDA et par la suite, le Gouvernement met sur pied une Commission interministérielle, avec la participation du COPEHDA. Différentes réunions et colloques se tiennent de mars à août 1998. L’Ambassade américaine et l’USAID rencontrent des représentants de la Commission interministérielle.  Il faudra tester les déchets, les soumettre à un pré-traitement et identifier une terre d’accueil aux États-Unis. Un contrat est établi avec une firme américaine le 21 août 1998 pour le retour des cendres toxiques.

Entre temps, la compagnie qui avait travaillé avec le Khian Sea était sur les rangs pour un important contrat avec la Ville de New-York. Greenpeace (et d’autres organisations) entreprennent un intense lobbying auprès des conseillers de la Ville de New-York.  Le règlement du dossier des déchets toxiques des Gonaïves devint alors une condition pour que la compagnie obtienne le contrat. La compagnie accepta alors de contribuer au rapatriement des déchets toxiques des Gonaïves à condition que cela se fasse dans une certaine discrétion. 

Le transport des cendres du bassin du Morne Lapierre au wharf de la SEDREN débutera le 4 novembre 1998.  En avril 1999, il y eut une grande manifestation aux Gonaïves autour de cette question. Le pré-traitement des déchets se fera en novembre-décembre 1999.  Les déchets repartiront à la cloche de bois le 4 avril 2000. La majeure partie des coûts de transport sera assurée par le Gouvernement haïtien.

Cette lutte aura duré près de 12 ans. La COPEHDA connaît alors d’importantes difficultés internes, ce qui explique en partie (un autre facteur important étant la conjoncture politique) que plusieurs travaux de suivi n’aient pas été effectués : analyse du sol pour déterminer l’impact réel sur l’environnement local, nouveaux examens médicaux pour les travailleurs affectés à ces opérations, accompagnement, si nécessaire des éventuelles victimes.  De plus, la COPEHDA voulait aussi que le Gouvernement haïtien signe la Convention de Bâle sur le commerce international des déchets et adopte une législation plus ferme sur le déversement de déchets qui arrivent sous d’autres appellations (ex : produits à recycler). De plus, cette lutte n’a pas vraiment eu d’impact sur d’autres dossiers similaires potentiels: deux incidents potentiellement de même nature seraient survenus à Miragoâne en 1998 (un bateau aurait coulé dans le port sans que personne ne sache ce qu’il contenait) et en mai 2000 (officiellement, ce bateau transportait des résidus de construction).  Un incident de même type serait également survenu à Jacmel durant l’année 2000 : déversement illicite de pneus déchiquetés qui devaient en principe servir de combustible.

De cette expérience, les dirigeants du COPEHDA avaient surtout retenu le rôle fondamental de la mobilisation et de l’organisation ainsi que du suivi systématique, la nécessité d’un dossier scientifique solide, la nécessité de partir des problèmes immédiats pour pouvoir faire le lien entre les luttes journalières et la lutte globale pour le changement. L’internationalisation de la lutte a également été un élément déterminant. Enfin, une équipe dynamique peut compenser une certaine faiblesse des moyens.

 

Jean-Claude Icart


 

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