Le bilan 2021 est sans précédent. Il révèle l’ampleur des cargaisons de poudre blanche qui arrivent désormais par containers entiers. Mais il marque aussi la fin de la guerre des services anti-drogue, en même temps qu’il résulte des infiltrations par Europol d’applications cryptées des narcotrafiquants. Selon les informations de France Inter, la juridiction interrégionale spécialisée de Lille a ouvert, durant l’année 2021, 24 dossiers d'infractions à la législation sur les stupéfiants concernant le port du Havre. Le tableau que nous avons pu consulter est saisissant.
Déferlante de cocaïne sur les docks
Avec les périodes de confinement, la fermeture des lignes aériennes internationales, les frontières terrestres, il ne restait que les ports de marchandises de disponibles. D’où la nécessité de trouver à tout prix le moyen de faire passer la cocaïne dont la production a fortement augmenté, notamment en Colombie, ces dernières années.
En 2019, les services des douanes et de la police avaient intercepté près de deux tonnes de cocaïne sur le port du Havre. Et en réalité, un peu plus de trois tonnes si l’on ajoute les saisies effectuées en amont, en mer ou lors d’escales, mais avec le port normand comme destination. En 2021, les saisies effectuées s’élèvent cette fois à très exactement 10 086 kilos de cocaïne. Et si l’on ajoute les saisies en amont (îles britanniques, Tanger, Anvers, Antilles françaises etc.), "on est à plus de 15 tonnes" avance un bon connaisseur de ces dossiers stups. Au prix de gros, cela représente, selon nos calculs, environ 375 millions d’euros perdus pour les têtes de réseaux. Et près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires à la revente, si l’on se fie aux estimations des services spécialisés qui annoncent un prix au gramme variant entre 60 et 70 euros.
La dernière opération policière de l’année 2021, spectaculaire, remonte à la semaine précédant Noël, concernant un container de bananes contenant plus d’une tonne de cocaïne. Six suspects avaient été pris en flagrant délit et placés en détention provisoire. Les douaniers avaient récupéré une tonne et demie trois semaines plus tôt. "On a presque eu une opération par semaine l’année dernière, c’est du jamais vu", confie un enquêteur normand. "Il y a des équipes de trafiquants qui travaillent plus sur le Havre qu’à Anvers ou Rotterdam, c’est dire", raconte un autre enquêteur chevronné, habitué des opérations de niveau international.
Du portuaire au mortuaire, les langues se délient... un peu
Au Havre, on le sait, poursuit un policier normand, ce sont quelques caïds qui règnent, depuis l’étranger pour certains, sur les "sorties portuaires". Ils sont chargés de trouver le moyen de corrompre des chauffeurs routiers et surtout des dockers. "Ce sont les mêmes qui géraient les gros trafics de cannabis, il y a quelques années, et qui ont élargi leur palette logistique. Mais ils ne sont plus les seuls, loin de là, à tenter à tout prix de faire sortir la drogue."
C’est ce qui explique en grande partie la multiplication de règlements de compte, à l’image de ce qui se passe en Seine-Saint-Denis ou à Marseille. Trois enquêtes pour des tentatives d’homicides (dont une pour une fusillade en plein jour à Fontaine-la-Mallet, à quelques kilomètres du port du Havre où plusieurs tireurs ont raté leur cible, un homme d’une cinquantaine d’années connu des services de police) ont été ouvertes ainsi que deux pour enlèvement en 2021. Et c’est justement cette multiplication des enlèvements ces dernières années (27 enlèvements signalés depuis 2016), parfois avec une issue dramatique, qui expliquerait en partie ces saisies records sur le port du Havre.
Un haut responsable de la police judiciaire évoque une "évolution" chez les dockers, où la parole commencerait à se libérer, même si perdure une culture du secret. "Ils se rendent bien compte que sortir du parfum en douce c’est une chose, mais avec la drogue, c’est leur vie et celles de leurs proches qui est mise en jeu."
Commenter cet article