«Quelle leçon!»
Haïti en est là. Duvaliéristes ou pas, les ennemis de «Lavalas» - l'élan populaire auquel «Titid» doit son triomphe électoral de décembre 1990 - bombent le torse. Dopés, il est vrai, par les faux pas de la communauté internationale, comme le retrait précipité, pour raisons de sécurité, des 300 observateurs de la Mission civile, chargés d'entraver les exactions des «chefs de section» et autres caïds de la police. Ou, plus encore, la piteuse volte-face du «Harlan County», bâtiment censé débarquer à Port-au-Prince, en vertu des accords de juillet, un contingent d'experts militaires américains et canadiens. Il aura suffi pour l'en empêcher que 200 attachés vociférants, rassemblés sur un quai, promettent aux «envahisseurs» une «deuxième Somalie». A l'heure même où - message reçu? - Cédras et consorts déposaient une gerbe au monument dédié aux héros de l'indépendance.
Traduction dans la bouche de Reynold Georges, ex-chef macoute et fondateur d'un parti duvaliériste: «Nous avons expulsé cette prétendue Mission de gauchistes, refoulé le "Harlan County": quelle leçon! Digne du camouflet infligé à la France, quand nos ancêtres esclaves ont terrassé la première armée du monde, celle de Napoléon.» De ce double fait d'armes naîtra un Conseil révolutionnaire du 11 octobre, avatar de la mouvance ultranationaliste.
Cette corde-là vibre volontiers: pour rallier les «patriotes», éditorialistes et orateurs en jouent sans retenue. Ils savent combien l'âme haïtienne, orgueilleuse, écorchée, s'enivre des épreuves passées. Les grandes années ? 1804, bien sûr, lorsque l'île s'affranchit du joug colonial français; 1915, année du débarquement - réussi, celui-là - des troupes américaines, prélude à deux décennies d'une brutale occupation; 1963, quand François Duvalier défia Kennedy, coupable d'approuver les vains assauts venus de la République Dominicaine voisine.
Les nostalgiques de l'ordre ancien ont la religion des dates. Le 22 septembre, jour anniversaire de son accession au pouvoir, en 1957, «Papa Doc» a reconquis droit de cité au musée du Panthéon national. Les reliques ? La trousse du médecin de campagne, son chapeau de feutre noir, le cliché souvenir d'une prestation de serment en gants blancs et haut-de-forme, un billet de 5 gourdes à l'effigie du despote, «payable au porteur en monnaie légale des Etats-Unis», et l'une de ses armes de poing, pistolet trapu au canon enchâssé dans du bois vernis. «L'homme est parti, lit-on à la première page du livre d'or, mais l'idée demeure vivante. En avant pour la victoire finale!»