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Les élites militaro/duvaliéro/politico/économiques haïtiennes issues de l'oligarchie, et celles plus récentes issues de la paysannerie ont passé un accord.
Je vous l'annonce parce que j'ai l'impression que vous n'êtes pas au courant, ce qui vous entraîne à croire en l'incapacité génétique des Haïtiens à construire leur pays.
Laquelle entente garantit une sorte de paix entre ces deux groupes, et permet aux membres de chacun d'eux, de mener leur petit bonhomme de chemin vers l'enrichissement personnel, sans obstacles, à l'ombre du blanc
Ce qui explique pourquoi Boulos avait interdit l'audit de la gestion Martelly/Lamothe et qu'il avait placé Evans Paul comme Premier ministre. Evans Paul devenant le gardien de la porte blindée pour empêcher les quelques rares impudents et imprudents qui auraient eu la prétention de questionner cette gestion de Lamothe.
Parce que, quand Boulos avance qu'un audit pourrait faire éclater la société haïtienne, il veut dire que, l'alliance entre oligarchie et fils de paysans pauvres parvenus, qui maintient le pays dans le sous-développement, pourrait éclater.
Ces deux catégories s'entendent parfaitement autour d'un type de régime : la dictature. Celle des Duvalier leur a apporté fortune et élévation sociale.
Cette alliance entre fils d'exploiteurs et fils d'exploités nouveaux riches, pourrait à première vue apparaître comme un attelage bizarre.
Pas du tout.
Qui étudie le fonctionnement de la dictature de Duvalier François, comprend qu'il s'agit d'une méthode pour réduire les milieux populaires au silence, en offrant l'ascenceur social à quelques personnes issues de ces milieux, tout en conservant à l'oligarchie commerçante ses privilèges.
Ainsi, le fils de paysans pauvres arrivé ou celui de chef de section, de macoutes, ou de gwo peyizan, va faire tout ce qui est possible - et tout ce qui lui sera demandé- pour oublier ses origines. Ses parents pauvres et analphabètes seront remisés dans un coin, le plus obscur possible.
Telle est l'histoire familialle de M.Duvalier François et de son épouse, tous deux sans parents visibles : ceux de la mère de Duvalier Simone, des paysans de Léogane (le père bourgeois n'ayant pas reconnu sa fille procréée avec sa servante). Ceux de Duvalier François, totalement inconnus jusqu'à présent.
Ce couple issu de ces failles, sans racines, ne pouvait asseoir son régime qu'en passant ce pacte entre, ceux qu'ils ont appelés les Noiristes et les autres, appelés les Mulâtres, auxquels il faut ajouter le groupe venu du Moyen-Orient et d'Europe.
Pour être plus clair, il s'agissait de créer une catégorie intermédiaire issue du peuple à laquelle il serait attribué pouvoir et richesse- laquelle catégorie, en échange, servirait de rempart contre les revendications populaires (d'où l'idée de la milice des tontons macoute), protégerait le régime ( Duvalier disant que ce qu'il craint le plus c'est le peuple) et l'oligarchie.
Cette stratégie a bien fonctionné pendant 29 ans.
Et, quand on qualifie le régime Lamothe/Martelly/Evans Paul de néo-duvaliériste, ce n'est pas uniquement parce qu'il s'identifie au système gwo ponyèt, injustice, vols et corruption des 2 Duvalier, mais parce qu'il réactualise et renforce le pacte entre les anciens nouveaux riches ( et leurs enfants) et ceux plus récents issus de milieux populaires, avec l'oligarchie.
Bien entendu, ce pacte dont l'objectif est de maintenir l'exploitation de la majorité, a été présenté comme du nationalisme, une sorte d' Union fait la force , réplique de l'alliance conjoncturelle entre possesseurs d'esclaves (Mulâtres et Noirs libres) et esclaves, qui a abouti à l'indépendance du pays.
Ce schéma qui date de 1804, s'est poursuivi tout au long de l'histoire - si les Duvalier ont mis en place une machine de répression plus fonctionnelle et qui a duré 29 ans - c'est qu'ils se sont servis des exemples des nazis, des fascistes italiens et sud-américains; et qu'ils étaient couverts par la CIA - qui n'aurait pas été contre les éjecter pour des plus présentables, mais qui ne trouvait pas dans l'offre politique haïtienne d'éléments aussi pourris et soumis.
Quand la dictature pure et dure n'a plus été envisageable - bien que les deux groupes aient tenté de la maintenir, après 1986 avec le gouvernement militaire et en 1991 avec le coup d'Etat - il a fallu trouver une autre formule qui préserve le pacte et assure la continuité de l'exploitation.
De la bouche d' Haïtiens de bonne foi, j'ai souvent entendu cette opinion qui voudrait que les duvaliéristes se soutiennent et sont fidèles à leur idéologie et à leurs chefs.
C'est bien évidemment faux. Des duvaliéristes pure laine ont dû s'exiler, d'autres sont morts à Fort-Dimanche, d'autres ont été assassinés parce qu'à un moment donné ils représentaient, du fait de leurs actions et ambitions, une menace pour le pacte.
Ce qui se doit de perdurer, c'est le pacte, le contrat entre l'oligarchie et les enfants de paysans pauvres arrivés, parvenus d'hier ou d'aujourd'hui, chargés, en échange de babioles - salaires, voitures, visas, vols, passe-droits, prix littéraires - de remplir le rôle qui leur a été dévolu, à savoir : "empêcher les gens de franchir les frontières intérieures". C'est-à-dire les maintenir dans leurs gourbis, les assigner à vie dans la misère.
Les hommes ou femmes : de Mme Max-Adolphe à Jodel Chamblain, Duvalier J-Cl, en passant par Evans Paul, Guichard Doré, Renald Lubérice sont des outils utilisés pour la "maintenance" du système basé sur ce pacte (dénoncé d'ailleurs par Dessalines dès 1805, qui l'a payé de sa vie).
La fonction de ces enfants arrivés de paysans pauvres n'est guère différente en essence - évidemment les formes changent - de celle qui consistait à surveiller les esclaves dans les plantations au moment de l'esclavage ou dans les bateyes de la RD, aujourd'hui encore.
En ce sens, loin d'être des "nuisibles", ce sont des éléments indispensables, mais nénamoins interchangeables.
Au cours de l'histoire d'Haïti, ce pacte a souvent été menacé; d'abord par les Marrons et, nous l'avons vu avec Dessalines, et les mutiples révoltes - dont celles des Cacos - toutes noyées dans le sang.
Aristide a représenté une menace pour ce pacte. D'où, aussitôt et sans relache une campagne de démonisation (folie, cannibalisme, fils spirituel de Duvalier François, trafiquant de drogue, pilonneur de bébé, adepte de magie noire, etc) mise en oeuvre.
Et qui, finalement, aboutira à l'éjecter, à provoquer la division du mouvement dont il avait pris la tête - et à la reprise du contrat entre oligarchie et fils de paysans pauvres arrivés, que l'on retrouve aujourd'hui dans les deux Chambres, dans les media, dans les espaces culturels, dans la fonction publique et dans le petit commerce hôtelier.
Le type, Aristide, était coriace, non pas en tant que personne, mais par rapport au nombre de ceux qui le suivaient.
Ce pourquoi, il aura fallu faire appel à la collaboration des zentellectuels - dont un grand nombre sont bénéficiaires de ce contrat - pas mal d'entre eux étant issus de ces familles de prolétaires et de de paysans qui sont montées dans l'échelle sociale, ont acquis "un nom", grâce à la dictature des 2 Duvalier.
Ce petit groupe a été placé, et l'est encore, dans une posture de sages qui font plutôt dans le préchi-précha, le sensationnel, les leçons de morale à deux balles, l'auto-flagellation. Un discours en l'air répété en boucle : nous sommes tous coupables, nous sommes tous des kokorat - sauf moi, sauf moi- une fausse culpabilité, attribuée à un faux moi collectif, une tartufferie dont l'objectif est de sécuriser le contrat.
Rien de mieux que cette fausse culpabilité brandie à tous les carrefours, à l'image de ces routes barrées par le régime tèt kale, visant à impossibiliser le développement des âmes et des intelligences. Et, à maintenir les individus dans la soumission, dont les églises en font grand usage en Haïti.
Pourquoi tous les Haïtiens devraient-ils se sentir coupables du fait que Martelly ait été sélectionné par le blan ? En quoi seraient-ils coupables du silence des zentellectuels face aux dysfonctionnements du régime rose ?
En quoi tous les Haïtiens seraient-ils coupables de la présence de la Minustha ? Existe-t-il des forces de l'ONU en AM. du Sud, dans la Caraïbe ? Les intellectuels colombiens, au moment les plus forts de la guerre civile, ont-ils demandé l'aide du blan, allant jusqu'à lui proposer de recoloniser le pays ?
Un discours qui, en mettant tout le monde dans le même sac (le "tous pourris" qui circule dans la fachosphère), a l'avantage de dédouaner les seuls et vrais responsables et coupables.
Un discours ne s'appuyant sur aucune base scientifique, historique, économique qui a l'avantage d'exclure la réflexion, privilégiant l'émotionnel. Ce sont des romanciers.
Latortue Gérard a été en charge, en 2004, de renégocier les termes de ce contrat. Il a amené la Minustha comme garantie que ce contrat serait respecté de force ou de gré.
Actuellement, ce contrat se retrouve menacé par les vérifications, la demande d'audit venant des milieux populaires
Privert a été choisi, après Latortue, pour négocier la continuité du contrat. Vous vous rappelez de cette fumisterie lancée par les zentellelctuels de "nouveau contrat social". C'est une chimère du même genre, que Privert a pour mission de "vendre". Pas plus - vous avez vu comment Danton Léger a été remis vite fait au pas.
Le mandat de Privert se termine dans quelques jours, soit il arrive à convaincre l'oligarchie et la CI qu'il est comme Latortue, l'homme qui peut garantir le contrat qui préserve les intérêts de l'oligarchie, tout en maintenant le peuple dans les limbes, soit elle lui trouve un remplaçant.
Evans Paul et ses zombis, comme en 2004 avec ses grenn-nanbounda, sont là, non pas tant pour le faire tomber, mais pour faire monter la pression, afin que Privert comprenne bien que sa survie au gouvernement tient au respect du contrat entre oligarchie et enfants parvenus de prolétaires et paysans pauvres.
Lamothe, en son temps, avait parfaitement et avec un certain brio dans l'entourloupe, son "tout mou jwen", sa distribution d'enveloppes, rempli ce rôle. Les enfants parvenus du prolétariat et des paysans, l'oligarchie et la CI, tous l'encensaient. Le mec avait carte blanche pour s'enrichir et enrichir son groupe de bandi legal pendant que son associé en affaires gouyadait pour faire diversion.
Il semblerait que d'aucuns aurait pris ombrage de cette ascencion fulgurante. Les enfants arrivés issus du prolétariat et du paysannat, semblaient trouver qu'il ne respectait pas assez le pacte, que "l'argent ne circulait pas assez" (courtoisie V. Numa de Vision 2000), qu'il était nécessaire de "rebattre les cartes".
Il y avait rupture du contrat.
lls s'en sont plaints à l'oligarchie qui a compris le message cinq sur cinq, l'ont fait parvenir à la CI. Décision a été prise d'exfiltrer Lamothe - auquel on a fait comprendre qu'il n'avait pas le choix - pour le remplacer par Evans Paul comme nouvel intermédiaire représentant des enfants arrrivés issus du prolétariat et du paysannat, un partenaire plus apte à contenir les revendications populaires, qui avait montré son savoir-faire à plusieurs reprises, et qu'une récompense redynamiserait.
Effectivement, Evans Paul a bien rempli le rôle qui lui était attribué.
Mais, malgré son savoir-faire, il a été incapable (autres temps, autres moeurs) de contenir le mécontemment populaire et de le rediriger vers le mouvement Lavalas qui depuis plus de 10 ans n'est plus au pouvoir.
Faillite d'Evans Paul, arrivée de Privert. Entrée d'un nouveau joueur sur le terrain.
Aujourd'hui, le maintien de Privert à la présidence se joue sur l'assurance qu'il sera capable ou pas de respecter le contrat qui assure à l'oligarchie 90% des richesses, le 10% restant allant aux filles et fils parvenus, issus des milieux populaires et paysans.
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