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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Un poème de René Dépestre qui doit dater des années 1960, du temps où...Pas la peine de terminer la phrase, vous aurez compris.

Publié par siel sur 21 Mai 2023, 22:02pm

Catégories : #AYITI ACTUALITES, #CULTURE, #PEUPLE sans mémoire..., #DUVALIER



Je vais à Berlin

Dans une main je tiens mon droit à l’amour 
et dans l’autre mon billet pour Berlin.

D’un côté de mon coeur resplendit le ciel de ma Patrie
et de l’autre luisent comme des graines
dans l’avant jour d’un fruit
les yeux de tous les enfants du monde.

Mais avant de mettre le cap de mes espérances
sur l’air de Berlin,
je veux faire le tour de mon ami Manuel,
Je veux faire le tour de l’homme qui se lève chaque matin
avec la première goutte de rosée
bien avant que les coqs s’allument
dans la fraîcheur des arbres.

L’homme qui n’a jamais dormi dans un lit
l’homme qui se rase avec un tesson de bouteille.
Je veux que sa voix de paysan souffle en poupe de la mienne
et enfle mes voiles comme un vent de pleine mer.

Dis-leur que depuis trois ans
les oiseaux ont changé de plumage
et les poissons d’écailles.
Mais que ma négresse n’a pas changé de robe
que ma fillette est morte le mois dernier
parce que je n’avais pas les sous pour la quinine,
que la pluie rentre par le toit de ma maison
pour me voler la lueur de ma lampe
et abîmer la natte de mes amours.


 

Un poème de René Dépestre qui doit dater des années 1960, du temps où...Pas la peine de terminer la phrase, vous aurez compris.

Ne manquez pas de leur dire
que si mon foyer prend l’eau,
si ma négresse doit rester nue le jour qu’elle lave sa robe,
si au lieu d’une poupée ce sont les fourmis et les vers
qui tiennent compagnie à ma fillette,
c’est à cause des actions que le drapeau étoilé
prend sur chaque goutte de ma sueur
afin de régler la note des grenades et des fusils.

Dis-leur que la vie de mon peuple
est un monolithe de peines
d’une coulée de ténèbres comme une lame tranchante d’épée.
Dis-leur que mon peuple ne sait pas consulter une montre, 
mais parvient à lire l’heure
d’après la profondeur de la faim dans ses entrailles,
d’après l’intensité du sommeil contre sa rétine.
Il est midi dans mon ventre;
il est minuit dans mes yeux.

Dis-leur que mon peuple ne sait pas compter jusqu’à mille,
ne sait pas que la terre tourne.
Dis-leur que nos fins de mois sont aussi closes que des portes de prison.

Je vais à Berlin pour que soit mis l’embargo
sur la faim de mon peuple
l’embargo sur ses menottes sur son grabat
sur ses larmes et ses frissons de malaria
pour que le Dieu dollar cesse de verrouiller
la chanson radieuse de son visage
pour que sa misère ne soit plus à perpétuité
condamné au régime du secret.

Je vais à Berlin pour que la paix
garde toutes ses feuilles et ouvre ses bras
à la vie de tous les peuples
et comme une semence de clarté
dénoue chaque bourgeon de leur avenir.
Je vais à Berlin dans le sillage du printemps
pour que les lendemains de tous les hommes
soient ruisselants de lumière
et que jaillisse ( le pain) le vin le plus rouge de la fraternité.

René Dépestre, Au rendez-vous de la vie

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