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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


26 avril 1986 : ENCORE DU SANG DEVANT LE BAPTISTÈRE DES HORREURS - Par Robert Lodimus

Publié par siel sur 27 Avril 2024, 11:44am

Catégories : #AYITI EXTREME DROITE, #AYITI ROSE RAKET, #AYITI ECONOMIE, #PEUPLE sans mémoire..., #DUVALIER

 

 

Fort Dimanche, prison de torture des Duvalier

Encore du sang devant le baptistère des horreurs

–  Vous êtes à Fort Dimanche, vieux frère…

–  Dieusifort Espérance!

– Ici, les noms ne comptent pas. Nous avons tous un seul nom : camarade. Nos mangeons les mêmes déchets dans la même marmite crasseuse. Nous mourrons d’une seule maladie : la tuberculose, avec, si possible, une aspirine et une gorgée de pissat dans l’estomac.

     L’homme toussa très faible.

– Tu connaissais Ézéchiel Abellard, le journaliste de Radio  Métropole, ajouta-t-il avec la même lenteur ? Eh bien, il a crevé dans cette cellule, la tête appuyée contre ce récipient souillé de nos excréments qui se trouve à ta gauche. Ça fait déjà très longtemps… Pourtant, son ombre erre toujours au milieu de nous. Son nom est resté dans chaque cellule, inscrit sur tous les murs de Fort dimanche. Il en est ainsi pour chacun d’entre nous qui laisse sa vie dans un cachot de Fort Dimanche pour avoir rêvé de Liberté. Ne l’oublie pas Dieusifort! Quand on s’appelle Camarade, on ne meurt jamais…

     Dieusifort Espérance, fils unique de Victoire Laguerre. Son père mourut quand il avait neuf ans. Serestre Espérance, un patriote conséquent. « Si tu veux me prendre mes terres, tu dois passer sur mon cadavre. » Ce jour-là, n’eut été l’intervention de Ti Noël, le commandant milicien de Lacroix, Abilhomme Delva, n’aurait pas épargné Victoire et Dieusifort. Victoire décéda deux ans plus tard dans une mansarde à Cité Carton. Laissant son gosse sous les galeries des magasins du boulevard Jean-Jacques Dessalines, avec, pour toute ressource, un morceau de toile sale dans une poche arrière de son pantalon tombé en loques, qui lui permettait d’exercer son petit boulot de laveur de voitures.

    Dieusifort Espérance ne réagit pas. Dans le noir, il fouilla dans les tiroirs de ses souvenirs. Cette voix, il était sûr de l’avoir déjà entendue quelque part. Mais où? « Il fait tellement noir », pensa-t-il, tout bas; si au moins j’avais une allumette. » Dans l’épaisse noirceur de la cellule qui empestait, il sentit le regard de l’inconnu peser sur lui. Dieufort frissonna. « J’vais peut-être y laisser ma peau, Bon  Dieu. »

    « Ils disent que nous avons tiré les premiers. Nous n’étions même pas armés. On voulait tout simplement demander au général de faire de Fort Dimanche un lieu de pèlerinage historique. Un monument de martyrs pour que les générations à venir se souviennent des 35 000 Haïtiens que la dictature a écrasé dans les caves de Fort Dimanche, sous le bruit des vagues. »

 

Fort Dimanche

Minuit à l’intérieur

Midi à l’extérieur

Fort Dimanche

Dans des quartiers

Où il n’est jamais dimanche

Et qui s’appellent

Ô ironie

Cité Carton

Cité Mouche

Cité Punaise

 

Fort dimanche

Je parle de la jeunesse

D’un pays

Qui donne son sang

Pour que le catalpa

Ne grandisse plus

Sur cette terre

De Liberté

 

Fort Dimanche

Qui toutes les nuits

Nourris tes mouches

De chair humaine

Toute fraîche

Souviens-toi

Viendra demain

Celui qui écrire

Osera

Il était une fois

Fort dimanche

 

      26 avril 1986. La main de Fort Dimanche venait encore de frapper. Des cadavres jonchèrent la route qui conduisait à l’entrée de Fort-La-Mort. D’autres cadavres sur les traces de pas des 35 000 cadavres. 35 000 macchabées sous le soleil et dans la poussière de Fort dimanche, jusqu’à ce que le Mapou de la liberté leur eût apporté un peu d’ombre.

    26 avril 1986. De la main gauche, ils tendaient leur crucifix de démocratie piégée; de la main droite, ils tranchaient les entrailles du peuple avec des balles made in U.S.A.

    «– Nous avons tout simplement crié à bas Fort Dimanche, réfléchit Dieusifort. Et ils ont commencé à tirer. J’aurais pu  me tirer facilement, mais je ne voulais pas abandonner Goman. Il avait perdu trop de sang pour parvenir jusqu’à la grand-route. C’est là qu’ils m’ont pris. Et le petit soldat? Tout maigre, tout pâle le petit soldat qui a achevé Goman…! Tout maigre, tout pâle, tout crasseux le petit soldat qui a vomi sa mitraillette dans la bouche de Goman! »

    26 avril 1986. Fort Dimanche avait encore déployé ses tentacules pour nourrir les chiens de Titanyen.

    «–Élianise doit être très inquiète à cette heure-ci », pense Dieusifort.

    Dieusifort avait 36 ans. Il était entré à l’école du soir à l’âge de 22 ans. « Juste pour apprendre à écrire mon nom », disait-il. Il vit que cela était bon! Alors, il voulut en savoir un peu plus qu’écrire son nom… Encore et encore un peu plus. Maître Prudhomme lui expliqua en détail toute la période de la colonisation, toute la vie du Cacique Henri dans le Bahoruco, toute l’époque de l’occupation américaine, etc. Il avait lu Alfredo Mendizabal, Marc paillet, Jacques S. Alexis, Louis Marlio, Jacques Roumain, Démesvar Délorme, Pablo Neruda, Gabriel Garcia Marquez… Il ne pouvait plus être le même Dieusifort Espérance. « Le pays a besoin d’une révolution, mais le peuple n’a pas de leader », déclarait-il assez souvent à Goman. Dieusifort était complètement perdu dans ses pensées :

    « – Seigneu’, c’est ça Fort Dimanche! Ils disaient qu’ils les avaient tous libérés les prisonniers politiques. Le ministre est même venu le dire à la télévision. Le Conseil de gouvernement a trompé le peuple. Et moi qui croyais… Merde! Dérilus le fou l’avait bien dit! Il ne pouvait pas y avoir seulement 26 prisonniers politiques dans les cachots des Duvalier. Tiens, tiens! C’est donc ça…! Ce sont encore les macoutes qui ont repris le pouvoir.  Si on ne les déloge pas du palais national, si on ne les arrête pas, ils tueront tout l’monde. Taylor, le menuisier, a bien raison de répéter : « La libe’té appa’tient aux fo’ts. » 

*              *            *

– Vous paraissez très nombreux dans cette cellule. Vous êtes à peu près combien?

– Je ne me souviens plus exactement. Peut-être douze ou dix-sept. Il fait toujours noir ici. On ne se voit jamais. On ne se connait que de voix…

– Mais les autres, pourquoi ils ne parlent pas?

– Ils sont très malades et très faibles. Depuis plusieurs jours, les militaires ne nous donnent plus rien à manger. Ils nous laissent crever à petit feu. Le capitaine, quand il nous a fait transférer dans ce cachot souterrain, … Ah! AAAAh!

– Tu t’sens mal?

– Ce n’est rien, cela va passer… Le capitaine, il a dit en ricanant : « Maintenant, ce sont les militaires qui sont au pouvoir, gare aux civils ! Ça, nous ne l’avons pas compris…! »

– Comment?

– Oui, c’est ce qu’il a dit au petit caporal, le capitaine. Et ils se sont mis à ricaner tous les deux. Puis l’caporal a frappé Aurélien avec la crosse de sa mitraillette. Il était très malade, le pauvre Aurélien. Il avait du chagrin à cause de sa femme et de ses enfants. Ils nous ont mis chacun dans une cellule avec d’autres prisonniers. Seigneur, fais qu’il ne soit pas mort, le pauvre Aurélien!

– Comment, vous ne savez pas qu’il est parti avec sa femme, Jean Claude Duvalier ?

– Parti ?

– Merde! Ils ne vous ont pas informés… Les Américains ont fait fuir Duvalier avec l’argent du peuple, après avoir donné le palais national à Namphy et à Régala, deux militaires macoutes.

– Tu ne me diras pas  Du… Duva… Duvalier est parti!

– Depuis quand es-tu en prison?

– Depuis 1960 !

– Mais tu pleures?

– Du… Du… Duva…Duvalier est par… parti…!

Ce furent les dernières paroles de l’inconnu. Dieusifort ne saura jamais qu’il venait de parler à Ti Noël, le paysan valeureux qui avait empêché le commandant milicien de Lacroix de décharger son fusil sur sa maman et lui, après que ce démon eut assassiné Serestre Espérance pour lui voler ses terres.

 22 jours plus tard, Dieusifort Espérance quitta à son tour le cachot ténébreux les deux pieds devant. Laissant derrière lui une cellule vide avec une forte odeur de cadavres et d’excréments.

____________________________

Je vous le dis camarades,

Quand la tragédie s’appellera My Laï (1), je ne me trancherai plus la gorge avec des mots inutiles sur la page à moitié vide de mes chagrins.

Si la Rivière Massacre doit encore charrier d’autres cadavres dans le fleuve Artibonite,  je ne m’amuserai plus avec des mots suspendus dans le temps qui nous écorche…

Si jamais demain doit être encore un présent au goût de fiel, alors je crierai comme Shakespeare : « Déjà mort, il n’y a plus de mort possible (2). » Et juste en bas de mon épitaphe, on écrira ces deux phrases d’Heinrich Heine : « L’arme sied mieux que la couronne au cercueil du poète. Elle est le témoignage de sa fidélité aux luttes libératrices de l’humanité. »

Robert Lodimus

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(Robert Lodimus, extrait de VERS L’AUBE DE LA LIBÉRATION, 1987)

 

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