Correspondants et Amis,
Lire : « Gouverneurs de la rosée » de Jacques Roumain par Guy Cétoute
Intertextualité dans le roman de Jacques Roumain : « Gouverneurs de la rosée »
Le champ de l’œuvre est prioritairement un espace religieux truffé de motifs bibliques et les constantes prières qui l’émaillent. Même s’il faut admettre que le roman est plutôt transreligieux ou multi religieux, en ce sens qu’il est traversé par la culture vaudouesque et la culture chrétienne, cependant avec une plus grande prévalence, quantitativement, de la culture chrétienne en raison des nombreuses références bibliques qui y sont répertoriées. Il y a un parti pris, un choix évident, conscient ou inconscient, qui fait prévaloir systématiquement un domaine sur un autre.
Dans cet espace diégétique féru de culture judéo-chrétienne, on recense un lexique biblique. Par exemple des expressions tells que : <Jésus-Marie la Sainte-Vierge<, de même que <Vierge Altagrâce< et < Sainte Vierge< qui réfèrent toutes à la Mère de Jésus. Pour faire bonne mesure s’y ajoute l’expression :<bon Dieu< qui est typique du lexique de la chrétienté, par opposition à <Grand Maître< en usage dans l’univers du, vaudou. Autre exemple est l’usage du vocable <Dieu< tout court, et le groupe nominal <Père Eternel< pour conforter dans l’idée du parti pris en faveur du monde judéo-chrétien. De manière étonnante, c’est le terme <péché< qui est venu sur les lèvres de Simidor à propos de la fille de Sylvana, Charité, pronostiquant qu’elle allait finir « dans le péché et les mauvaises maladies » Et enfin <Satan<
Après la dimension lexicale, on peut évoquer un élément du décor judicieusement placé en un lieu stratégique, savoir l’emplacement exact où l’eau à été déterrée ; en l’occurrence : <le figuier maudit< dont la référence se trouve dans le livre de Matthieu 21 V 19, sous le nom de <figuier stérile<, à la suite de la malédiction prononcée contre lui par Jésus, en ces termes : « Tu ne porteras plus jamais de fruit »
Référence non équivoque au livre de la Genèse :
Une remarque d’Annaïse faisant valoir l’idée qu’ils se trouveraient sur <un îlet au fin fond du monde<, Manuel a rectifié pour préciser la vision du premier couple dans ce premier’ matin du monde. Il n’a voulu laisser planer aucune ambigüité sur le sens de sa pensée : « Au commencement du monde, tu veux dire. Parce que au commencement des commencements, il y avait une femme et un homme comme toi et moi ; à leurs pieds coulait la première source et la femme et l’homme entrèrent dans la source et se baignèrent dans la vie ».
Il y a similitude de paradigme entre les deux livres sous forme de la grande opposition entre Bien//Mal, Lumière//Ténèbres, Amour//Haine ; c’est-à-dire que le même manichéisme structure les deux livres.
Et enfin similitude de statut entre Manuel et Jésus. Les deux ont été à la fois homme et Dieu, même si pour le fils de Délira il faudra prudemment utiliser le minuscule « dieu<. En tout cas, tout porte à croire que le fiancé d’Annaïse n’a pas été un homme ordinaire. Pour endosser ce rôle capital, faut-il bien que le héros sorte de l’ordinaire, qu’il arbore des traits de divinité. C’est le cas avec Manuel décrit comme un <ange de lumière< par sa mère. Ici seul le regard de la mère entre en ligne de compte, elle-même porteuse de lumière 15 : « Mais ses yeux ont une lumière de source et c’est pourquoi Bienaimé détourne le regard »Particularité que seul le regard du mari a observé. Décidément les dons de vision résident uniquement dans l’aire familiale. Manifestement quelque chose de surnaturel enrobe la personne de Délira et de son fils.
II-Rôle important de l’onomastique
III-Similitude par les thématiques
D’autres couples, qui se déduisent de thèmes traités plutôt que d’être mentionnés littéralement. Ce sont le quatrième <Bien< et </<Mal<, puis le cinquième, <Haine/< et <Amour< Par déduction, nous extrayons les notions de <bien< et <amour< des actions menées par Manuel ; tandis que le couple opposé semblent caractérisé les actes d’un Gervilen.
Septième Thématique de la fraternité édictée par Manuel : « Tu vois, c’est la plus grande chose au monde que tous les hommes sont frères, qu’ils ont le même poids dans la balance de la misère et de l’injustice » Propos en rapport avec ce qu’en dit Jésus dans l’Evangile selon Matthieu 23 V 9 : « vous êtes tous frères »
Huitième Thème du sacrifice Mort sacrificielle à l’exemple de Jésus. Ce qui le rapproche d’avantage de Jésus, c’est l’acceptation de mourir pour les sauver : « Parce que ce qui compte, c’est le sacrifice de l’homme. C’est le sang nègre » 184
Neuvième thématique : Vertu de l’eau comme signifiant polysémique dans le roman de Roumain
Cependant, le même liquide se verra attribuer des vertus qui ne relèvent pas de son usage naturel, mais ressort beaucoup plus du domaine magique, de sorte que le breuvage revêt la capacité de réconcilier les frères ennemis : « [….] ce qui était ennemi redeviendra ami, ce qui était séparé va se rejoindre et l’habitant ne sera plus un chien enragé pour l’habitant ».
Dans un autre contexte, on ne retrouvera plus les fonctions naturelles : « Alors, laissez la raison parler. Le sang a coulé entre nous, je sais, mais l’eau lavera le sang et la récolte nouvelle poussera sur le passé et mûrira sur l’oubli » Il y a donc propagation de l’équivoque qui caractérise le signifiant. Dans <l’eau lavera le sang<, les termes <eau< et <sang< ne réfèrent pas au domaine naturel ; il pourrait signifier < fera cesser la querelle familiale< ou <fera rétablir la concorde< C’est une vertu extranaturelle qui relève de la magie. Dans ce contexte, on oscille entre <Intra naturel et extranaturel<
Le texte nous invite à faire la différence entre vie humaine, de nature physiologique dans le temps et l’espace ; et vie spirituelle dans l’éternité. Il y a le signifiant <eau< pour sustenter la vie humaine terrestre, et le signifiant <eau< pour la vie spirituelle. La Bible réfère au Salut qui octroie un ticket pour le Vie éternelle au paradis. Pour ce qui est du roman, il s’agit à la fois du salut social et capacité de joindre ce qui est disjoint, d’harmoniser ce qui est disharmonieux
Gratuité de l’eau et pour tous
Manuel a donné une justification irréfutable à sa démarche : « Et puis l’eau, c’est pas une propriété, ça ne s’arpente pas, ça ne se marque pas sur le papier du notaire, c’est le bien commun, la bénédiction de la terre »
Polysémie du signifiant eau dans le contexte Biblique Jean 4 V 13 14 : « S’il te plaît, donne-moi à boire un peu d’eau », dans cette première occurrence, le signifiant se rapporte au liquide naturel de consommation humaine. (Jean 4 V 7) Plus loin, on rencontre un second usage, au V 10, il y est question de « l’eau vive », cette fois-ci le liquide décolle du plan naturel pour se stabiliser dans le domaine du spirituel. Et la clé de la différence entre les deux breuvages est donnée par Jésus, au V 13, en expliquant à propos du ,premier liquide : « Celui qui boit de cette eau aura de nouveau soif », alors que pour le second, il a précisé au sujet du second : « Mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif » Et comme bouquet final, on apprend que les effets de < cette eau< se poursuivra < jusque dans la vie éternelle<
Gratuité de l’eau
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