Suite du chapitre IV
Dimanche Roi Christophe,L'Etat christophien, par Leslie Péan
Extraits du livre :
Aux origines de l'Etat marron en Haïti (1804-1860)
juin 2009 , Editions de l'Université d'Etat d'Haïti.
Les dispositions relatives au commerce maritime et surtout à la prescription sont intéressantes. Par exemple, aucune réclamation ne pourra être introduite en justice pour le fret du navire, un an après la délivrance des marchandises. La prescription est de six mois après l’arrivée du navire pour le paiement des appointements et gages des officiers et gens formant l’équipage.
Dans le domaine de la production agricole, le Code Henry identifie les responsabilités des cultivateurs paysans par rapport à celles des propriétaires et des fermiers. Le Code définit les rapports des agriculteurs engagés dans le travail de production par rapport à leurs employeurs et représentants des pouvoirs publics. La hiérarchie de cette représentation est la suivante : le lieutenant du roi, le commandant d’arrondissement, le général de division et enfin le conseil privé. La loi formelle ou juridique donnant l’organisation des pouvoirs publics sous le gouvernement de Christophe se greffe sur une constitution matérielle représentant l’ensemble des forces politiques. Le Code Henry permet-il d’altérer les structures sociales ? Non, mais il donne les possibilités aux agriculteurs de trouver justice en s’adressant à un autre échelon de la hiérarchie au cas où ils ne s’estiment pas satisfaits en présentant leurs doléances au lieutenant du roi (article 2 de la Loi concernant la Culture).
C’est définitivement un système féodal que Christophe instaure dans le Nord. Les agriculteurs sont attachés à la plantation dont ils ne peuvent se séparer même en cas de maladie. L’article 3 de la Loi concernant la Culture déclare : « Nul propriétaire ou fermier ne pourra renvoyer un agriculteur de son habitation pour cause de maladie ou d’infirmité, ce dernier devant y demeurer comme étant sa résidence.» Les agriculteurs doivent être traités aux frais des propriétaires. Un personnel de santé comprenant une accoucheuse sera logé sur chaque habitation. Les propriétaires doivent fournir les outils aratoires aux gérants des plantations. Les agriculteurs auront droit à un quart de la production. De cela, ils en donneront une partie aux gardiens chargés de veiller sur leurs animaux répartis dans la savane pendant qu’ils travaillent. Les féodaux qui ont chacun leur fief qu’ils ont reçu du Roi ont des obligations envers lui qu’ils sont obligés de remplir. Chaque fief a un terrain destiné à la production de vivres pour le Roi. Ils sont astreints à un barème qui rentre effectivement dans les caisses publiques et qui sert à financer « les routes, manufactures, écoles de métiers, collèges royaux, l’Académie Royale, les palais, les fortification, etc. » Les fiefs sont d’ailleurs distribués par le Roi en grande fanfare avec solennité au cours d’une cérémonie qui voit le nouveau propriétaire recevoir ses titres de propriété.
Selon les dispositions de l’article 52 de la Loi sur la Culture, les propriétaires, fermiers, gérants et conducteurs étaient tenus de planter annuellement des denrées, vivres, arbres fruitiers (50 pieds d’arbre à pain et 25 pieds de mangotiers) sur leurs plantations pendant 10 ans ainsi qu’une quantité d’huile de palma christi, sous peine d’amendes. Les lieutenants des paroisses et les commis d’administration des finances vérifient que ces recommandations sont appliquées. Dans le cas contraire, des sanctions allant de douze à cinquante gourdes sont appliquées contre les contrevenants (article 121). Dans le système de Christophe, les propriétaires marchent sur une trappe et elle se dérobe sous leurs pieds dès qu’ils ne respectent pas leurs engagements à fournir annuellement le quart de leur production au Roi dans le cadre de l’impôt territorial. Tout le monde doit se référer à ce système de valeurs et l’appliquer. Le baron Joseph de Latortue qui croyait pouvoir y échapper sera arrêté et condamné aux travaux forcés à la Citadelle en 1820 jusqu’à ce qu’il paie ce qu’il doit à l’État.
Christophe se préoccupe aussi des intérêts des agriculteurs (cultivateurs) qui constituent la base productive de son système féodal régulateur. Ils sont astreints à des horaires de travail qui vont de l’aube à la tombée de la nuit avec une heure de répit à 8 heures du matin et deux heures à midi. La loi s’assure donc que le quart des revenus bruts qui leur est dû est bien payé par les propriétaires. Et pour cela Christophe met en place un dispositif impressionnant. Les propriétaires sont tenus de payer les cultivateurs le quart du montant reçu après la vente des produits tels que café, coton, indigo, et cacao. Si ces paiements ne sont pas effectués 15 jours au plus tard après la vente, les propriétaires sont obligés de payer une indemnité représentant le tiers de la somme qu’ils auraient dû répartir originellement. Quant au sucre, la loi recommande aux cultivateurs d’attendre que leur part atteigne l’équivalent de 5 gourdes avant d’être payés. Toutefois, cette recommandation n’est pas contraignante et les cultivateurs doivent être payés immédiatement s’ils ne veulent pas attendre.
La féodalité christophienne est donc tempérée par les lois du royaume qui interdisent les comportements archaïques des seigneurs propriétaires. On est loin de la stérilité qui va s’installer à partir du gouvernement de Boyer. Christophe s’assure que les informations sur le cours des denrées soient diffusées chaque semaine dans les journaux du royaume afin que les propriétaires et fermiers ne puissent tricher. De plus, leurs comptes sont vérifiés par le procureur du Roi devant un juge. Enfin pour prévenir toute collusion parmi les vérificateurs, la loi proclame que les vérificateurs constitués par un groupe comprenant un lieutenant du Roi, le commandant de paroisse, l’officier de police et le juge sont solidairement responsables des moindres abus qui pourront avoir lieu dans la répartition du quart de la production revenant aux agriculteurs.
Le Code Henry ne fait pas dans la dentelle pour réprimer. La Loi Pénale recommande de passer par les armes tous les coupables de désertion, trahison, lèse-majesté, duels, etc. Quant aux militaires qui sont impliqués dans l’agiotage, le commerce et les jeux de hasard, ils sont destitués ou reçoivent cinq ans d’emprisonnement. La conscience collective semble avoir intégré le message de Christophe. À ce sujet, Guy-Joseph Bonnet, en parlant du gouvernement de Christophe, déclare : « Sous son règne, le vol n’était jamais toléré ; tout ce qui se perdait, même sur la grand’route, devait se trouver au bureau de la place le plus voisin, la commune entière en était responsable ». Le témoignage de Bonnet sur Christophe est d’autant plus important qu’il est un adversaire de ce dernier dans la république de l’Ouest.
Le Code Henry est formel sur sa manière d’imposer aux citoyens les normes qu’il juge nécessaires. Les délits sont présentés en trois catégories (simple police, correctionnels et criminels) avec, pour chaque cas, les peines correspondantes. Tout est répertorié avec sévérité. L’article 4 de la Loi Criminelle, Correctionnelle et de Police stipule : « Quiconque sera convaincu d’avoir vendu des médicaments gâtés et nuisibles à la santé, sera puni de soixante gourdes d’amende et de quatre mois de détention au ban du roi. » L’expression ban du roi renvoie à l’emprisonnement correctionnel avec obligation au travail. Le même traitement s’applique à ceux qui auront trafiqué les mesures et les poids. Les faux poids et fausses mesures seront confisqués et « en cas de récidive, les peines doubleront. » Les dispositions du Code Henry contre la corruption des fonctionnaires sont drastiques. Selon l’article 26 de la Loi Criminelle, Correctionnelle et de Police « le fonctionnaire public convaincu d’avoir abusé de la confiance du gouvernement, et détourné à son profit les deniers publics, dont il était comptable, sera renfermé pendant l’espace de dix années à la barrière neuve, et condamné à restituer le double de ce qu’il aurait détourné. » La « barrière neuve » réfère aux travaux forcés pour une période de temps déterminée. Plusieurs autres dispositions contre la corruption émaillent le texte. Les faux témoignages en matière civile sont punis de quatre ans de prison ferme (réclusion) et en matière criminelle de dix ans de prison et même de peine de mort. Les complices reçoivent les mêmes peines que les coupables. Le « surveiller et punir » sous les tropiques n’a jamais été aussi strict.
Sur le plan agricole, le Code Henry constitue une déroute stratégique pour le projet néo-colonial. On y suit les pouvoirs existants (le militarisme), les intérêts en jeu (le quart de la production agricole qui doit être livré aux magasins du Roi), les limites des propriétaires et fermiers et les conditions des agriculteurs (voir l’article 47 sur les plantations de sucre, d’indigo, de coton, de cacao et de café), les normes de participation et les mécanismes d’exclusion. Les développements sur l’agriculture dans la Loi concernant la Culture sont intéressants. On sent la touche du Baron de Vastey qui argumente pour un décrochage du projet colonial. L’article 47 est on ne peut plus clair sur l’obligation qu’a toute habitation ayant 20 agriculteurs de planter un carreau de terre en vivre et en grains. L’article 48 insiste sur la culture de vivres et denrées « ayant toujours attention de faire aller ensemble les deux cultures.»
À un rythme effréné, le Code Henry balise de nombreuses questions dont celle du droit des femmes. Les horloges de notre temps acceptent encore la soumission des femmes aux lois des hommes dans beaucoup de domaines. Le Code Henry s’est fait un effort de s’y arrêter sur des points que certains considéreront comme mineurs tels que cet article 37 de la Loi concernant la Culture qui interdit le transport des denrées sur la tête des agriculteurs.
(A suivre)
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