L’administration coloniale ne voulait pas entendre ni croire que le système économique imposé ainsi que cette absence de liberté individuelle ou collective étaient amplement suffisants pour provoquer le refus de collaboration. L’asservi n’avait pas abandonné les mines et les plantations de canne à sucre à cause des mauvais traitements. Cette malicieuse théorie sous-entendait que l’Africain enchaîné bien traité (par les agents du colonialisme) n’aurait jamais abandonné l’esclavage. De toute façon, il s’évadait pour sa liberté, pour son identité et aussi pour sa dignité: des termes interprétés différemment par l’Occident.
Pour les adeptes européens du christianisme, l’expression être chrétien était (est encore) synonyme d’être humain (probablement d’être occidental). Cependant, la force productive asservie n’avait pas besoin d’être chrétienne ni d’origine européenne pour jouir du statut d’être humain. À sa naissance, en Afrique, en Amérique ou en Asie, son humanité était évidente. Elle n’avait pas renoncé à sa liberté et à son identité. Le drame pour le chrétien européen fut que cet être humain enchaîné contre sa volonté n’avait jamais demandé verbalement ou par écrit à devenir esclave. Face à ce drame troublant, l’Européen devait imaginer des pretextes pour justifier ces ignobles carnages.
L’administration coloniale, les colons et les admirateurs de l’institution esclavagiste n’avaient fait la difference entre l’esclave (domestique ou travailleur des champs) torturé sur la plantation, l’individu libre qui vaquait à ses occupations et le rebelled avisé qui menaçait le système. Ils avaient préféré analyser les événements qui bouleversaient la réalité coloniale à partir de phénomènes épidermiques qu’ils avaient inventés.
Malheureusement, l’île avait perdu sa chance pour l’identification et l’unification des citoyens au lendemain de cette insurrection vitale pour leur indépendance. Les nouveaux barons de la politique de cette partie de l’île avaient, face à l’économie de dépendance basée sur l’esclavage, opposé une économie de dépendance basée sur une liberté réglementée (le caporalisme agraire) de cultivateurs salariés au lieu d’analyser les revendications essentielles de la masse des cultivateurs et des rebelles en particulier. Pour ces nouveaux chefs, leur présence au pouvoir validait une sorte de révolution basée non pas sur des changements d’ordre économique, politique et social mais d’ordre épidermique (union des noirs et des mulâtres). Ils avaient fêté leur avènement au pouvoir comme une activité révolutionnaire sans se soucier des besoins naturels et immédiats de la majorité comme l’instruction, un habitat adéquat, la santé, la sécurité, les routes, l’organisation de la production agricole. Ils n’avaient pas changé la structure de l’État colonial.
L’économie de dépendance était remise en vigueur avec tous ses corollaries: la terreur, le fouet, les brimades, le mépris, la discrimination, l’exploitation. L’économie de l’île fut basée sur les mêmes denrées d’exportation pour satisfaire les marchés métropolitains alors que le marché local (plus tard rural) base sur le matériel végétal à partir des départements militaires (plus tard communes) restait englouti et même ridiculisé. La production agricole des denrées de consummation locale fut livrée à la rapacité du représentant armé de la loi. La langue de l’oppression fut officilisée sans l’enseigner à toute la population. La langue de la majorité fut méprisée. La religion du colon était restée oppressive contre la religion de la majorité. Le droit du citoyen de pratiquer sa propre croyance fut ignoré. La majorité des citoyens circulait sans identification. Malgré leur enthousiasme et leur dévouement durant les différentes confrontations militaires contre l’occupant, le droit à la propriété leur fut refusé. Ces êtres humains étaient restés encore une fois à la merci d’une élite aussi oppressive que l’administration coloniale.
Pourtant ces cultivateurs n’avaient qu’un désir: faire admettre leur humanité. Ils n’étaient pas des marrons, ni des brigands. Ils n’étaient pas des vagabonds, ni des bossales. Ils n’étaient pas des bandits, ni des voleurs.. Ils avaient fui la plantation pour combattre l’esclavage, le despotisme, le mépris, l’humiliation et l’exploitation. En tant qu’êtres humains, ils avaient le droit de reconquérir leur liberté et leur espace agricole.
Arnold C. Talleyrand
Extrait: Marrons ou Rebelles; Banditisme ou Lutte contre l’Esclavage
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