Contrer la propagande colonialiste
Suite à la publication du Code Henry en 1812, la pensée politique nordiste va se concentrer sur la construction de l’État loin du système colonial. En réponse à l’envoi par la France en 1814 de la mission de Dauxion Lavaysse, commissaire délégué par le roi de France pour qu’Haïti redevienne la colonie française de Saint-Domingue, le roi Henry répond sans équivoque par le Manifeste du Roi de 1814 dans lequel il déclare : « Nous déclarons solennellement que nous ne consentirons jamais dans aucun traité, à aucune condition qui pourrait compromettre l’honneur, la liberté et l’indépendance du peuple haytien ; fidèles à notre serment, nous nous ensevelirons, plutôt sous les ruines de notre patrie, que de souffrir qu’il soit porté atteinte à nos droits politiques»1 Face aux louvoiements d’un président Pétion prêt à accepter en 1814 la tutelle française en faisant d’Haïti « une colonie libre française », en donnant le droit de commerce exclusif et en payant une indemnité à la France2 un comportement dénoncé en son temps par le baron de Vastey, le roi Christophe affiche avec rigueur une intransigeance sans failles3 Pour le royaume du Nord, il n’était pas question de payer une quelconque indemnité à la France. « Si nous avions de l’argent à donner, dit le baron de Vastey, il vaudrait mieux pour nous le jeter au fond des mers, au lieu de le donner aux français ; là au moins il ne servirait pas à notre détriment »4 L’acceptation de la médiation étrangère dans les luttes de pouvoir entre les élites en Haïti remonte à cette époque. Les échos de cette question sont actuels. On ne saurait donc l’évacuer, mais elle doit être débarrassée de tout élément coloriste (noiriste ou mulâtriste), évidemment trompeur, pour tenter de la cerner.
Avec la chute de Napoléon Bonaparte en 1814, plus de six mille anciens colons font tout pour mettre en place des mesures pour reconquérir Haïti. Ce sont les mêmes qui avaient financé l’expédition Leclerc en février 1802 et convaincu Napoléon de rétablir l’esclavage en mai 1802. Ils vont donc organiser, entre autres, une machine destructrice de confiance contre la réputation du royaume du Nord par la dissémination de fausses informations5. Les plus virulents sont M. le baron de V.P. Malouet, M. Mazères, M. Brulley, Drouin de Bercy, Millot, Dalmas, De Laujon, Desmaulants, etc. De nombreux ouvrages et brochures avec pour titres « Sur les moyens de rétablir la colonie de Saint-Domingue » sont publiés. Analysant leurs positions respectives, Jean-François Brière a montré que trois écoles s’affrontent6. La première est celle des ultras qui rejettent toute collaboration avec les Mulâtres, veulent employer la manière forte, en alliance même avec les autres pays colonialistes, pour reconquérir Haïti. La deuxième école qui est celle des libéraux qui veut faire une alliance avec les Mulâtres, attacher les Noirs aux plantations et négocier pour le paiement d’une indemnité. Enfin, la troisième école qui est celle des réalistes propose la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti, permettant à la France d’avoir « des avantages de la domination coloniale sans en supporter le coût et les inconvénients »7. Tout en étant divisés sur les modalités de leur intervention, les anciens colons ne désarment pas sur l’essentiel, c’est-à-dire l’affaiblissement du ou des gouvernements haïtiens afin des les contraindre à leur rendre leurs propriétés perdues ou recevoir une indemnité.
Parmi les anciens colons français, certains qui sont réfugiés à la Jamaïque lancent une propagande visant à démontrer l’incapacité des Haïtiens à gérer l’économie et produire des biens pour le commerce international. Ils comparent le commerce entre les deux pays de la période de 1815 et de celle du temps de la colonie. Pour montrer la faiblesse de l’activité productive, ils prétendent qu’il n’y a pas un navire « qui ne soit obligé de rester dans les ports 3, 4 et quelques fois 5 et 6 mois pour compléter un chargement de 6 à 900 milliers de sucre, café et coton »8. Cette information est tout à fait fausse et vise à anéantir le « capital confiance » des négociants envers Haïti. Il s’agit de montrer que la contrepartie haïtienne n’est pas en mesure d’honorer les contrats et de prouver que les risques sont élevés à commercer avec le royaume du Nord.
Or, comme l’indique le Chevalier de Prézeau, lieutenant-colonel et trésorier général de la maison de Sa Majesté, qui répond à cet ancien colon détracteur, « Dans le moment actuel, tous nos ports sont couverts de bâtiments de commerce des différentes nations. Dans la seule rade du Cap-Henry, au moment où j’écris (16 mars 1815), on compte vingt-quatre bâtiments anglais, hollandais, suédois, bremois, espagnols et américains, parmi lesquels plus de quinze gros navires de 300 à 600 tonneaux sont déjà chargés de plus de 10 millions pesant de sucre et café , et vont incessamment mettre à la voile »9. Le lobby colonial négrier veut remettre en question l’alliance stratégique du royaume du Nord avec l’Angleterre en cassant les relations d’échange entre les fournisseurs haïtiens et les acheteurs britanniques. Comme l’explique le baron de Vastey, « pour parvenir à leur fin, les Français ont adopté contre Hayti, un système de calomnie pour l’extérieur, et un de perfidie et de corruption pour l’intérieur»10.
L’abolitionniste Victor Schoelcher a remarqué judicieusement comment la calomnie ne s’est jamais éloignée du regard de la colonialité. « Avilir et dégrader un peuple pour le dominer, dit Schoelcher, c’est la conception la plus hideuse qui se puisse imaginer »11. Les anciens colons s’organisent pour donner d’Haïti une image déformée. Ils y vont avec l’appui des autorités royales françaises. On le voit à la lecture de maints ouvrages dont celui du diplomate français Gaspard Théodore Mollien, écrit en 1831, suite à son affectation en Haïti en 1826. Il avait été introduit en 1824 dans la carrière diplomatique par Chateaubriand, ministre des Affaires Étrangères de Charles X. À partir de documents de seconde main provenant surtout des colons français qui ont fui Saint-Domingue pour se réfugier à Cuba, Mollien orchestre une propagande contre Christophe reprenant tous les stéréotypes racistes que l’Occident blanc a mis en avant pour auto-justifier ses exactions sur les autres peuples en les déclarant des barbares. Mollien écrit essentiellement plus de dix ans après la mort de Christophe. Mais il tient à consolider l’intoxication commencée par les marchands français. La guerre pour l’imaginaire est plus importante que celle pour les territoires et les marchés. Et dans ce cadre, la propagande négative contre Christophe doit être en première loge.
Mollien applique la politique du « diviser pour régner » entre Noirs et Mulâtres. Ainsi, il prit le parti de Pétion. « Sa politique extérieure, dit-il, était tout aussi différente de celle de Christophe. Celui-ci s’était allié à l’Angleterre, Pétion cherchait au contraire l’appui de la France, appui propre à faire tomber Christophe, plus que celui de l’Angleterre ne l’assurait, car dans le Nord, on croyait encore en la possibilité d’une expédition du genre de celle de Leclerc »12. Dans l’entendement de Mollien, tous les chefs noirs de la révolution haïtienne de 1804 sont des tyrans, des despotes, des fous qui dirigent une foule de « paresseux, voleurs, menteurs, …vices naturels des barbares ». Le mépris raciste s’affiche sans limites. « Les présupposés anti-Noirs, ici encore, dit son préfacier Francis Arzalier, affleurent et le racisme n’est pas loin que nous verrons s’expliciter en justifications génétiques dans Mœurs d’Haïti »13.
Dans le cas du royaume du Nord, le répertoire d’activités mises en oeuvre pour jeter un discrédit progressif sur son dirigeant Christophe avait pour objectif de paralyser son économie. Les anciens colons vont y aller avec toutes sortes d’insinuations mais aussi avec un tissu grossier de mensonges. Par exemple, l’ancien colon Le Borgne de Boignes déclare que « le Roi (Christophe) avait travaillé secrètement contre l’empereur Dessalines »14, mais cet argument est immédiatement réfuté par le baron de Vastey. Il approfondit l’analyse de l’assassinat de Dessalines dans le texte Essai sur les causes de la révolution et des guerres civiles d’Hayti publié en 1819, en montrant du doigt les conspirateurs, responsables et complices. Il identifie Pétion comme l’âme de la conspiration assisté par Gérin à l’Anse-à-Veau, Blanchet aux Gonaïves, Papalier aux Cayes et David Troy à travers le pays15.16 De toute façon, la société politique haïtienne a connu une mutation avec l’élimination physique de l’empereur. Paraphrasant Giorgio Agamben, on dira que le meurtre de Dessalines « ne constitue pas un homicide » car comme l’ajoute le philosophe italien, la politique est du domaine du bio-pouvoir mortifère dans lequel il y a « implication croissante de la vie naturelle de l’homme dans les mécanismes et les calculs de pouvoir »17. Dans cet entendement, Dessalines est devenu un homo sacer qu’on peut tuer sans commettre de crimes. Les masques tombent et la politique du pouvoir parachève le passage de la biopolitique à la thanatopolitique.
Le rapport de Christophe au pouvoir et à l’assassinat de Dessalines prend un autre éclairage avec les recherches plus récentes d’Alain Turnier et de Gaëtan Mentor18. La lettre de Boisrond Tonnerre, Vernet, Inginac, Dupuy, des généraux fidèles à Dessalines, adressée au général Christophe en date du 19 octobre 1806 offre un autre décryptage. Dès l’abord, ils déclarent : « Nous avons appris avec désappointement que vous avez accepté à participer à l’entreprise criminelle des généraux Pétion, Gérin et Yayou en acceptant la présidence provisoire»19. L’acceptation par Christophe du pouvoir suprême immédiatement deux jours après l’assassinat de l’empereur semble indiquer que l’embuscade était préparée de longue date. En effet, il apparaît que Christophe ait eu bien avant une stratégie prospective de prise du pouvoir, si l’on en juge par la correspondance échangée entre lui et Gérin datant du 20 juillet 1806.
D’autres correspondances avec des généraux de l’Ouest et du Sud indiquent que l’assassinat du dirigeant d’un système déjà pourri se concoctait depuis des mois. Tout porte à croire que Christophe est au courant de la conspiration qui s’ourdit contre l’Empereur. Par exemple, la lettre que lui envoie Gérin de l’Anse-à-Veau le 12 octobre 1806, celle de Segretier et Wagnac des Cayes le 14 octobre, enfin celle qu’il reçoit de Pétion de Port-au-Prince le 16 octobre 1806 constituent des preuves que Christophe n’était pas neutre dans l’opération du Pont-Rouge. Il a prudemment gardé le silence au cours de sa planification et il s’en excusera plus tard le 19 octobre 1806 auprès de Mme Dessalines en disant : « Si j’ai accepté de prendre les rênes du gouvernement dans une circonstance aussi grave, c’est uniquement dans le but de faire le bonheur de mes concitoyens. Le danger, Madame, était imminent pour nous tous autant que pour vous ; il fallait voler au secours de la patrie que vous chérissez autant que nous »20.
Le baron de Vastey vole au secours de la crédibilité de Christophe en attribuant la faute grave de l’assassinat de l’empereur aux généraux de l’Ouest et du Sud dont Pétion, Gérin, etc. Cautionne-t-il Christophe en jésuite ? Il prend la défense de son héros expliquant comment les généraux conspirateurs fabriquent une fausse lettre au nom d’Henry Christophe, appelant à la révolte le 10 octobre 1806 contre l’empereur Dessalines21. L’ordre marron met des masques sur les visages de tous les protagonistes. Pile, Dessalines est assassiné par Christophe. Face, ce sera le cas pour Christophe d’être trucidé par Dessalines. Cela faisait à peine un an depuis que l’Empereur avait nommé Christophe, Général en chef de l’Armée, par l’ordonnance du 26 juillet 1805. Dans tous les cas de figure, l’un des deux dirigeants historiques disparaissait. La lutte pour le pouvoir est sans pitié. Christophe élimine François Cappoix, général de division le 19 octobre 180622. Les manipulations continuent et, comme des poupées russes, chacune en cache une autre. On le voit avec la Constitution de 1806, au service de l’ordre marron que Pétion met en place et à partir duquel il élimine ses rivaux à tour de bras.
Dans la situation de nouveauté créée par la guerre civile, le baron de Vastey est formel et, sans prétention déplacée, dans la sérénité, il propose un nouveau savoir-vivre appuyé sur un discours de vérité. Mulâtre refusant le masque mulâtriste, résistant anti-impérialiste de la première heure, le baron de Vastey laisse un enseignement riche qui attend de trouver des oreilles pour se faire entendre afin que les Haïtiens sortent de la caverne. C’est cet homme que l’école historique de la légende mulâtriste des Beaubrun Ardouin, Joseph Saint-Rémy et François Dalencour, avec différentes variantes, s’est attachée à marginaliser et détruire à partir de 1849.
Les anciens colons se lancent dans une politique de malfaisance qui devient hystérique pour tenter d’influencer directement ou indirectement les dirigeants haïtiens. Ces anciens colons français déclenchent une guerre psychologique et politique digne des offensives les mieux bétonnées des services secrets contemporains. Ils véhiculent de fausses informations contre l’Angleterre en Haïti et de fausses informations contre Haïti en Angleterre. Le but affiché est d’empoisonner les esprits des deux côtés afin que l’Angleterre cesse ses activités commerciales en Haïti. Pour optimiser les effets ravageurs de leurs calomnies, les anciens colons vont même jusqu’à dire que ce sont les Anglais qui ont financé l’expédition Leclerc en 1802, tout en essayant d’avoir le concours des Anglais pour organiser une nouvelle expédition militaire contre Haïti. Dans leur optique, il faut faire le maximum de dégâts en enflammant les esprits des deux côtés.
Les machinations des anciens colons pour corrompre l’âme haïtienne deviendront irréparables après l’acceptation de l’Ordonnance du roi Charles X de 1825. Ce qui par contre est encore peu analysé, c’est le silence sur le rôle de la médisance dans le triomphe de la stratégie de mise en condition scellant le pacte de haine mutuelle entre les Haïtiens. Les anciens clivages de couleur encore vivaces sont mis en exergue. Les anciens colons misent sur la psychologie de l’ancien colonisé devenu chef. Petitesse d’esprit, frustration, jalousie et perversité sont attisées pour semer la zizanie, détruire la confiance et annihiler le capital social. Le dénigrement devient systématique. L’intoxication triomphe en disant « il n’y a jamais de fumée sans feu ». La société entière rentre dans la névrose. Un environnement de haine et de perte de sens est créé et bénéficie de la complicité des protagonistes dans la perpétuation de cet état de mal. La société entière met en exergue le mot de Jonathan Swift : « Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui »23. Les faits seront déformés. Le faux est licite, triomphe, se rationalise et la conjuration contre la qualité s’institue.
Tous les moyens utilisés par les services secrets pour promouvoir leurs intérêts sont utilisés par les anciens colons. «Ils n’ont rien négligé pour diriger leurs coups contre notre intérieur explique le baron de Vastey ; ils croient avoir étudié nos mœurs, nos goûts, nos habitudes et nos penchans, ils ont pris des renseignements sur notre état d’économie politique et rurale, sur le gouvernement, nos forces et nos ressources de tous genres ; enfin ils ont cherché à pénétrer partout, à connaître le fort et le faible de notre situation, pour combiner le système de perfidie et de corruption qu’ils comptent employer contre nous24» Le parti colonial sensibilise l’opinion publique contre tous ceux qui sont perçus contre les intérêts français en Haïti tout en s’assurant d’identifier ceux susceptibles d’apporter leur collaboration à leur projet de reconquête d’Haïti.
Un réseau d’activités de surveillance sera constitué. Les outils nécessaires seront offerts par les négociants consignataires. Ainsi, les anciens colons français, tout en refusant de reconnaître l’indépendance, vont contourner la souveraineté de l’État en le réduisant à un contrôle purement symbolique. Leur objectif sera d’avoir les rênes du pouvoir en réalité. Pour cela, le baron de Vastey explique comment ils veulent « s’introduire parmi nous par le commerce, nous corrompre, paralyser nos efforts, nous désunir et nous égarer de la vraie route que nous devons suivre »25. Leur stratégie est multiple. D’abord, il s’agit de diviser les Haïtiens par tous les moyens et en premier lieu avec la question de couleur. Le baron de Vastey ne reste pas à la surface dans sa critique du racisme blanc qui nourrit le préjugé de couleur. Il réfute ce racisme dans son essence. Il détruit le mythe véhiculé par les Blancs racistes qu’il n’y a jamais eu de civilisation en Afrique. Loin de tout afrocentrisme, il montre plus d’un siècle avant Cheikh Anta Diop26 et Martin Bernal27, les lumières apportées par l’Afrique à la Grèce et l’apport de cette dernière à la civilisation romaine. Son argumentation s’en prend à la colonialité du savoir sur laquelle l’échafaudage du pouvoir dominant s’appuie pour produire des subalternes.
Vastey réfute la thèse raciste véhiculée par les anciens colons proclamant la supériorité de la civilisation européenne sur la civilisation africaine. Il s’attaque au dispositif de la colonialité du savoir dans son élément stratégique essentiel : l’imaginaire. Il reconstitue l’expérience du monde noir à travers les âges et propose une représentation d’Haïti dans le droit fil d’une historicité intégrant les grandes réalisations des ancêtres. La certitude de son anticolonialisme se mesure dans sa campagne pour la décolonisation de l’imaginaire haïtien et dans la manière de penser qui transpire dans ses œuvres. Référant à la conclusion des travaux du Palais de Sans-Souci et de l’église royale de cette ville en l’année 1813, Vastey écrit : « Ces deux structures, érigées par les descendants des Africains, montrent que nous n’avons pas perdu le goût architectural et le génie de nos ancêtres qui ont couvert l’Ethiopie, l’Egypte, Carthage et la vieille Espagne avec des monuments superbes »28. Avec pareil inventaire se profilant dans le discours du baron de Vastey, ce dernier fait le pas décisif appelant les Haïtiens à prendre confiance en eux-mêmes, en communiquant le bien-fondé de leur lutte de libération contre l’impérialisme culturel qui sert de bras droit à l’hégémonie économique de l’Occident.
Le roi Christophe avait bien compris le piège raciste dès les premiers jours. Non seulement il disait aux Noirs, Mulâtres et Blancs qui l’entouraient que lui était de couleur verte29, mais il accordait sa confiance à ses conseillers mulâtres qui le lui rendaient. C’est d’ailleurs Juste Hugonin, l’un d’entre eux, qui se rendit à Port-au-Prince pour négocier avec Pétion et qui lui dit par la suite de ne pas accepter les résultats des négociations et pourparlers de la Constitution de 1806, car il n’aurait même pas le pouvoir d’un caporal tandis que le Sénat aurait les pouvoirs d’un général.
Les anciens colons sautèrent sur l’occasion pour encourager la guerre civile qui s’ensuivit, armant les deux parties pour qu’elles se tuent le plus possible30. En 1809, le général Barquier, commandant des forces françaises à Santo-Domingo enverra Jean-Jacques de la Martellière espionner à Curaçao sur la situation en Haïti. Il lui fit un rapport dans lequel on lit «L’affaiblissement du parti de Pétion m’a paru nuisible aux intérêts de la France et il serait à désirer, je pense, qu’on pût donner à ce parti une force suffisante pour qu’il continuât à lutter avec celui de Christophe. On prolongerait ainsi cette guerre intestine dont tous les résultats sont pour nous »31. Christophe ne s’accrocha pas à la conquête à tout prix. Il s’imposa des limites. À plusieurs reprises, il tendit le rameau d’olivier à Pétion. Quand, en 1814, la France des Bourbons s’engagea dans une stratégie de reconquête pacifique d’Haïti avec l’envoi de la mission Dauxion Lavaysse, alors le roi Christophe diligente son secrétaire Julien Prévost d’envoyer une correspondance au général Pétion en date du 10 février 1815. Il écrit : « Les projets des implacables ennemis d’Hayti découverts ne peuvent plus laisser aux Haytiens aucune hésitation de se réunir et d’opposer une masse de forces capable de repousser le plus promptement possible les attaques possibles dont nos oppresseurs nous menacent »32. L’offre est faite au général Pétion de rallier le royaume du Nord en lui demandant d’oublier le passé, en gardant tous les grades, propriétés et autres privilèges que ses collaborateurs et lui ont acquis dans la république de l’Ouest. Cette offre sera renouvelée après la mort de Pétion, au général Boyer le 9 juin 1818.
A SUIVRE
1 Henri Christophe, Manifeste du Roi, chez P. Roux, Imprimeur du Roi, Cap-Henry, 1814, p. 18.
2 Baron Valentin Pompée de Vastey, An Essay on the causes of Revolution and Civil Wars of Hayti, Greenwood Press, New York, 1969, originellement publié en 1823, p. 234.
3 David Nicholls, From Dessalines to Duvalier – Race, Colour and National Independence in Haiti, Cambridge University Press, Cambridge, London, 1979, p. 50. Voir aussi Leslie Manigat, Évantail d’Histoire Vivante, tome I, P-a-P, Haïti, 2001, pp. 230-243.
4 Baron Valentin Pompée de Vastey, Réflexions Politiques sur quelques Ouvrages et Journaux Français concernant Hayti, Imprimerie Royale, Sans-Souci, Royaume d’Hayti, 1817, p. 129.
5 Essai sur nos colonies, et sur le rétablissement de Saint-Domingue : ou considérations sur leur législation, administration, commerce et agriculture, Paris, 1805 Brulley (commissaire de Saint-Domingue), Propositions pour rentrer en possession de la partie française de Saint-Domingue, pour payer ses anciennes dettes, et pour restaurer cette colonie sans qu'il en coût rien au gouvernement, Paris, Laurens jeune, 1814 ; Des véritables causes qui ont amené la ruine de la colonie de Saint-Domingue, [et] des moyens certains d'en reprendre possession et d'y vivre paisiblement à l'abri de nouveaux troubles politiques, Paris, 1815 ; F. Lettre à M. J.-C.-L. Sismonde de Sismondi, sur les nègres, la civilisation de l'Afrique, Christophe et le comte de Limonade; / par M. Mazères, Paris, 1815 ; J. B. Desmaulants, Sur Saint-Domingue, et des moyens de le rétablir, J. G. Dentu, Paris, 1814.
6 Jean-François Brière, Haïti et la France 1804-1848, op. cit.
7 Ibid, p. 35.
8 Chevalier de Prézeau, Réfutations, chez P. Roux, Imprimeur du Roi, Cap-Henry, 1815, p. 32.
9 Ibid.
10 Baron Valentin Pompée de Vastey, Réflexions Politiques sur quelques Ouvrages et Journaux Français concernant Hayti, op. cit., p. viii.
11 Victor Schoelcher, op. cit., p. 237.
12 Gaspard Théodore Mollien, Haïti ou Saint Domingue, Tome II, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 215.
13 Ibid., p. xxv (Gaspard Théodore Mollien, Haïti ou Saint Domingue, Tome I, L’Harmattan, Paris, 2006, p. xxv). Francis Azalier fait référence à l’ouvrage de Gaspard Théodore Mollien, Histoires et Mœurs d’Haïti – De Christophe Colomb à à
14Baron Valentin Pompée de Vastey, Réflexions Politiques sur quelques Ouvrages et Journaux Français concernant Hayti, op. cit., p. 64.
15Nous utilisons la traduction anglaise de ce livre. Baron Valentin Pompée de Vastey, An Essay on the causes of Revolution and Civil Wars of Hayti, Greenwood Press, New York, 1969, originellement publié en 1823, p. 49.
16Giorgio Agamben, Homo Sacer – Le Pouvoir et la Vie Nue, Seuil, Paris, 1995, p. 112.
17Ibid., p. 12918Ibid., p. 129.
19Ibid., (Alain Turnier, Quand la nation demande des comptes, op. cit.) p. 51.
20Ibid., (Alain Turnier, Quand la nation demande des comptes, op. cit.) p. 51.
21Baron Valentin Pompée de Vastey, An Essay on the causes of Revolution and Civil Wars of Hayti, op. cit., p. 51.
22Alain Turnier, Quand la nation demande des comptes, op. cit. p. 56.
23Jonathan Swift, The works of Jonathan Swift, Tome 5, Derby and Jackson, 1861, p. 609.
24Baron Valentin Pompée de Vastey, Réflexions Politiques sur quelques Ouvrages et Journaux Français concernant Hayti, op. cit., p. xi.
25Ibid., p. ix.
26Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, Présence Africaine, Paris, 1967.
27Martin Bernal, Black Athena: The Afro-Asiatic Roots of Classical Civilization, volume I, The Fabrication of Ancient Greece (1785-1985) and Black Athena: The Afro-Asiatic Roots of Classical Civilization, volume II, The Archaeological and Documentary Evidence, Rutgers University Press, New Brunswick, N.J., 1991.
28Baron Valentin Pompée de Vastey, An Essay on the causes of Revolution and Civil Wars of Hayti, op. cit., p. 137.
29Baron Valentin Pompée de Vastey, Réflexions Politiques sur quelques Ouvrages et Journaux Français concernant Hayti, op. cit., p. 21.
30Baron Valentin Pompée de Vastey, An Essay on the causes of Revolution and Civil Wars of Hayti, op. cit, p. 69.
31Jean-François Brière, Haïti et la France 1804-1848, op. cit., p. 56.
32Lettre de Julien Prévost, Secrétaire d’État, ministre des Affaires Etrangères à S. E. Monsieur le Général de Division Pétion, Palais Royal de Sans-Souci, 10 février 1815, p. 1.
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