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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Autour d’une pétition de politique linguistique sur le Net

Publié par siel sur 30 Août 2010, 09:22am

Catégories : #H.SAINT-FORT chronique


                                                       Par Hugues St. Fort

                                                         (Première partie)

Depuis maintenant plus de quatre semaines, circule sur le Net une pétition de politique linguistique réclamant que le créole soit désormais la langue d’instruction utilisée dans toutes les écoles d’Haïti. Rédigée en créole par le linguiste haïtien bien connu, Dr. Yves Déjean, elle a été traduite en anglais par Michel Degraff, professeur associé de linguistique à MIT et en français par votre serviteur. C’est Jean-Pierre Barthélemy, un jeune haïtien, brillant spécialiste en informatique qui est le webmestre du site et qui de concert avec Degraff et Saint-Fort a mis sur pied tous les détails. A cette date, cette pétition a été signée par près de 350 personnes dont des enseignants, des chercheurs, des écrivains, des professionnels de toutes sortes et de divers pays et surtout par la fine fleur de la linguistique mondiale. Si vous êtes intéressés à prendre connaissance de cette pétition et à la signer, je vous recommande d’aller à l’adresse suivante : http://ayiticheri.com/rebati


 

La semaine dernière, j’ai reçu un appel téléphonique d’un grand ami et collègue haïtien avec qui je discute souvent. C’est un spécialiste de sciences sociales qui enseigne dans une grande université de la côte est et qui est toujours à la pointe des recherches dans sa discipline. Nous avons passé plus de trois heures au téléphone à discuter de la pétition mise en ligne par mon collègue Yves Déjean. Ce que vous allez lire est un bref rapport de notre longue discussion, parfois animée mais jamais hostile, jamais méchante.


 

Dès le départ, J-L (ce n’est pas son vrai nom) a tenu à mettre les choses au point en me précisant qu’il est absolument d’accord avec Yves Déjean sur sa thèse fondamentale exposée sur le Net : La langue d’instruction dans toutes les écoles d’Haïti doit être le créole. Les élèves haïtiens nés et élevés en Haïti doivent apprendre (les mathématiques, la biologie, les sciences naturelles, la physique, la chimie, l’histoire, la géographie, l’économie, etc.) dans leur langue maternelle et il est aberrant qu’il ait pu en être autrement pendant si longtemps. Mais, J-L a émis de sérieuses réserves sur le projet de Déjean, du moins tel qu’il est apparu dans la pétition. Selon J-L, la pétition de Déjean ne fait aucune mention des autres langues ou de l’autre langue internationale qui devrait être mise à la portée des élèves haïtiens. Ce pourrait être soit l’anglais, soit l’espagnol. J-L a cité au moins 3 pays de l’Europe du Nord (Danemark, Norvège, Finlande) qu’il a visités et où les élèves parlent une première langue de très faible diffusion mondiale. A cause de cela, ces élèves sont obligés d’apprendre une grande langue internationale, le français, l’anglais, l’allemand, ou l’espagnol pour pouvoir communiquer avec le reste du monde. Pour J-L, nulle part n’est mentionné dans la pétition de Déjean qu’une grande langue internationale devrait être mise à la portée des élèves haïtiens.  On a l’impression, m’a dit J-L en se basant uniquement sur la pétition mise en ligne que Déjean veut éliminer le français et garder uniquement le créole. Or, dans cette époque de mondialisation, dit J-L, nous avons besoin de connaître le plus de langues étrangères possibles.


 

Pour J-L, une telle proposition est irréfléchie et frise l’incompétence. Pour l’instant en Haïti, dit-il, il n’existe pas ou il en existe très peu de matériels éducatifs rédigés en créole. Il n’existe pas de dictionnaires de langue en créole (dictionnaires unilingues) bien qu’on trouve pas mal de dictionnaires bilingues anglais-créole ou français-créole destinés à un autre public, celui composé d’étrangers anglophones ou francophones qui apprennent le créole. Il n’existe pas non plus de manuels de grammaire auxquels on peut se référer pour montrer comment la langue fonctionne. J-L m’a proposé l’exemple suivant : Supposons que, au cours d’une communication avec un locuteur haïtien, ou même avec un élève haïtien dans une salle de classe,  une discussion s’engage à propos de l’emploi de telle forme créole et que vous fassiez remarquer à votre interlocuteur que la forme en question ne peut pas se dire en créole. Votre interlocuteur peut tout aussi bien refuser la correction que vous proposez et vous mettre au défi de justifier votre critique en lui indiquant un livre de référence qui explique clairement pourquoi telle forme est inacceptable. Il existe donc, selon J-L, une nécessité absolue de mettre sur pied des textes de référence sérieux, solides, (grammaires, dictionnaires unilingues) des textes de lecture ou des textes scientifiques rédigés en créole avant de proposer ce que Déjean propose.


 

Selon J-L, le problème éducatif en Haïti est un problème systémique et la question de la langue n’est qu’une question secondaire. Nous n’avons pas d’état stable, fort, qui puisse imposer des réformes adéquates, sérieuses, et mettre en place des inspecteurs scolaires compétents pour mettre ces réformes en application. Il y a trop d’écoles privées qui sont d’une incompétence notoire et sur lesquelles l’état haïtien n’a pas de prise.

 

De plus, poursuit J-L, comment va-t-on enseigner une langue qui n’est pas standardisée ? De nombreux Haïtiens écrivent le créole haïtien comme ils veulent et ne font absolument aucun effort pour apprendre l’orthographe officielle IPN qui existe au moins depuis trois décennies. Il n’existe pas de version standardisée du créole haïtien et cela constitue un obstacle majeur au développement et au rayonnement du créole. J-L a soulevé d’autres points sur le parallélisme entre les grandes langues occidentales (français, anglais, espagnol, italien…) et le latin ainsi que les leçons que nous pourrions en tirer. La question d’une Académie créole a été soulevée. Au final, c’était une très intéressante discussion. J’ai pensé que mes lecteurs pourraient tirer profit de cette discussion et examiner calmement les différents points soulevés. Donc, dans la deuxième partie de cet article que vous lirez la semaine prochaine, je présenterai l’essentiel de mes réponses à mon ami J-L. telles qu’elles ont été avancées au téléphone. Il y aura une réplique à chaque point qui a été énoncé par mon collègue J-L. Je ferai ensuite une synthèse et une réflexion générale sur cette discussion et ce qu’elle peut apporter à la connaissance de la problématique du créole et de l’éducation en Haïti. Donc, ne ratez pas cette deuxième partie qui paraîtra la semaine prochaine.

 

Contacter Hugues St. Fort à : Hugo274@aol.com    

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