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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Dimanche aysyen/créole,Ce que tout le monde (et spécialement les locuteurs haïtiens) devrait savoir au sujet des langues créoles. (Huitième partie).

Publié par Elsie HAAS sur 20 Décembre 2009, 10:57am

Catégories : #H.SAINT-FORT chronique


                                    Le créole haïtien et les grandes questions de la sociolinguistique

                                                                         Par Hugues St.Fort

Doit-on étudier une langue en tant que phénomène social ou doit-on le faire en tant que système abstrait inné de règles, unique aux êtres humains, universel et particulier à la fois ? Ce débat fondamental ne cesse de diviser la plupart des érudits qui étudient les langues scientifiquement. Pour faire bref, on peut dire que dans le premier cas, on fait de la sociolinguistique alors que dans le second cas, on fait de la linguistique. Je signale tout de suite cependant que tous les linguistes ne seront pas d’accord avec cette classification. Dans le cadre de cette entreprise de vulgarisation de la linguistique et de la créolistique que je développe depuis déjà huit semaines dans les colonnes de Haitian Times, je ne m’attarderai pas trop sur ce débat.

Je commencerai par définir la sociolinguistique comme l’étude de la langue dans son contexte social. Par exemple, un aspect de la sociolinguistique du créole haïtien, c’est réfléchir sur les grandes questions posées par les interactions des deux principales langues en usage dans le contexte social haïtien : le français et le créole. Un sociolinguiste pourra expliquer systématiquement pourquoi certains locuteurs haïtiens se moquent de ceux qui prononcent « Jezi » au lieu de « Jezu » ; « fouti » dans la phrase M pa fouti… au lieu de « foutu ». Ou bien pourquoi certains disent « Bondye bon » alors que d’autres disent « Bondyeu bon ».

Le concept fondamental à partir duquel travaillent la plupart des sociolinguistes contemporains est le concept de variation. Pour les linguistes variationistes, la langue est variable et ne cesse de changer. En conséquence, la langue n’est pas homogène. Elle ne l’est ni chez le locuteur individuel ni chez les locuteurs de la même communauté parlante. Les variationistes cherchent à établir une corrélation entre une variable linguistique et des variables sociales présélectionnées comme l’âge, le sexe, la classe sociale, la race ou le groupe ethnique de façon à pouvoir mettre en valeur le côté systématique de la variation dans les langues humaines. Le changement linguistique à l’intérieur d’une langue est inévitable. La question est de pouvoir déterminer la vitesse à laquelle ce changement se produit. Deux célèbres sociolinguistes britanniques, James et Lesley Milroy ont établi que « linguistic change is slow to the extent that the relevant populations are well established and bound by strong ties whereas it is rapid to the extent that weak ties exist in populations ». (le changement linguistique est lent dans la mesure où les populations en question sont bien établies et sont liées par des liens solides alors qu’il est rapide dans la mesure où il existe parmi ces populations des liens faibles) ma traduction.

Nous examinerons le kreyòl à travers cinq notions clé de la sociolinguistique : la notion de « communauté parlante » (speech community), la notion de variable linguistique, la diglossie, le changement linguistique, et le concept de standardisation.
On parle de communauté parlante pour désigner un groupe de locuteurs vivant dans une région ou formant un groupe social et partageant un même système linguistique. Cependant, à notre époque de transnationalisme, les communautés parlantes ne se confinent plus sur un seul territoire. Par exemple, à New York, des locuteurs haïtiens peuvent faire partie à la fois de la communauté parlante américaine de  Brooklyn quand ils vivent à Brooklyn,  et de la communauté haïtienne de Port-au-Prince quand ils vont à Port-au-Prince et de la communauté capoise, s’ils sont originaires du Cap-Haïtien quand ils vont au  Cap. A chaque fois, leur système linguistique va être transformé.
Les investigations sociolinguistiques tournent autour de deux sortes de variables : une variable sociale et une variable linguistique. La variable sociale représente le facteur qui détermine une variation dans la langue. L’âge, l’origine géographique, la profession, le sexe  peuvent être des facteurs sociaux. La variable linguistique constitue le trait qu’on veut investiguer. Ce trait peut être un son, par exemple /r/ ou /h/ en kreyòl, ou encore le style d’un locuteur (formel, informel), ou encore une expression (chyen janbe, kale kò).     
La diglossie est peut-être le concept sociolinguistique le plus connu. C’est un linguiste américain, Charles Ferguson, qui a introduit ce concept aux États-unis (diglossia en anglais). D’autres chercheurs, américains surtout, ont repris ce concept avec certains aménagements. Selon Ferguson, une situation diglossique est caractérisée par la présence, dans une communauté parlante, de deux ou plus de deux variétés de la même langue, partagées entre une variété (H, haute) prestigieuse, ne possédant pas de locuteurs natifs, employée uniquement dans des situations formelles et une variété (B, basse), non-standard, informelle, comportant des locuteurs natifs mais ne possédant pas de système d’écriture. Ferguson avait choisi, parmi trois autres sociétés, la société haïtienne comme exemple de situation sociolinguistique où le français fonctionnerait comme la variété haute et le kreyòl comme la variété basse. C’est le linguiste haïtien Yves Déjean qui le premier a réfuté cette thèse de Ferguson en publiant dans la revue « Word » (celle-là même où Ferguson avait publié son étude pour la première fois en 1959) une étude démontrant que la situation sociolinguistique haïtienne ne correspondait pas du tout à une situation diglossique.     
Le changement est le moteur de l’évolution linguistique. Toute langue doit changer et change effectivement. Mais, comment la communication n’arrive-t-elle pas à se dérégler entre les locuteurs puisque la langue change toujours ? La variation nous fournit la réponse à cette question. Entre la fin des années 1960 et la fin des années 2000, le kreyòl a connu des changements qui sont passés inaperçus dans le grand public. La variation inhérente à la langue a permis ce changement.
Malgré son fonctionnement en tant que langue de référence dans une société, une « langue standard est en réalité le résultat artificiel d’un long processus interventionniste de codification ou normalisation » (Marie-Louise Moreau, 1997). Toutes les sociétés qui sont passées par des processus de standardisation ont du faire des choix et marginaliser ou même rejeter d’autres dialectes tout aussi réels que celui qui est devenu le dialecte standard de la société en question. Dans le cas du kreyòl qui n’a pas encore adopté un dialecte standard parmi les 3 ou 4 qui fonctionnent dans la société haïtienne, quel est celui qui sera retenu comme le dialecte standard ? La variété parlée à Port-au-Prince ou celle en usage dans le Nord ou alors celle parlée dans le Sud du pays ? Question cruciale à laquelle l’état haïtien doit trouver tôt ou tard une réponse.

Contactez Hugues St.Fort à
: Hugo274@aol.com

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