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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Dimanche ayisyen/créole,Ce que tout le monde (et spécialement les locuteurs haïtiens) devrait savoir au sujet des langues créoles et du créole haïtien. (Septième partie)

Publié par Elsie HAAS sur 13 Décembre 2009, 10:27am

Catégories : #H.SAINT-FORT chronique


                                                     Regards sur le lexique du créole haïtien

                                                                   Par Hugues St. Fort

Les linguistes définissent le lexique comme l’ensemble des unités ouvertes et significatives d’une langue. Il s’oppose en ce sens à la grammaire, c’est-à-dire la syntaxe comprise comme un ensemble de systèmes à classes fermées et en nombre limité. Dans toute langue naturelle, et le créole haïtien n’y fait pas exception bien sûr, le lexique, en tant que domaine ouvert, peut accueillir des mots à l’infini ; la grammaire ne possède pas cette particularité. Les noms, les verbes, les adjectifs, les adverbes, font partie de la classe ouverte des mots ; les pronoms, les déterminants, les conjonctions…font partie de la classe fermée des mots. On s’explique ainsi que le kreyòl en usage dans l’émigration haïtienne aux États-unis ait pu accueillir tant de mots (surtout des noms) provenant de l’anglais sans que fondamentalement sa syntaxe en soit particulièrement affectée. Quand un Haïtien vivant à New York dit à une amie « M ap kòl ou aswè a. » (je t’appellerai ce soir), il emprunte un mot appartenant à une classe ouverte de la langue anglaise [call] et l’intègre aisément et syntaxiquement dans la phrase créole.

Les linguistes qui travaillent sur les langues occidentales (français, anglais…) ont toujours été mal à l’aise pour définir la notion de « mot ». En fait, la plupart d’entre eux ont choisi la notion de morphème au lieu de travailler strictement avec la notion de mot. Ils définissent le morphème comme l’unité signifiante minimale du lexique et distinguent soigneusement entre le morphème lexical et le morphème grammatical. Il existe des morphèmes libres et des morphèmes liés. Comme en français, sa langue lexificatrice, le kreyòl possède des morphèmes libres et des morphèmes liés. Par exemple, le nom kreyòl « blayi » (pile de pierres arrangées de façon à faire sécher du linge fraîchement lavé) est un morphème libre, mais dans le nom « vòlè » (un voleur) composé du radical « vòl » et du suffixe « è », le « è » est un morphème lié. Ce suffixe « è » peut entrer dans la formation d’un grand nombre d’unités lexicales comme : « tafyatè » (qui boit beaucoup de tafia), « flannè » (qui perd son temps à flâner), « kizinyè » (qui fait de la cuisine), « dyòlè » (qui parle beaucoup), mais il est incapable de former un énoncé signifiant à lui tout seul. Par contraste, « blayi » peut remplir cette fonction. 

Pratiquement tous les linguistes spécialisés en créolistique s’accordent à reconnaître une forte présence du français dans la constitution du lexique kreyòl. D’ailleurs, chez certains linguistes, c’était l’un des moyens d’identifier les langues dites créoles : on disait que les langues créoles étaient des langues à syntaxe « africaine » (sans préciser le territoire africain d’où venait cette langue créole) et à vocabulaire européen. Suzanne Sylvain, une linguiste haïtienne, a été l’une des toutes premières linguistes à localiser l’origine géographique d’une langue substrat en soutenant une thèse en Sorbonne en 1936 dans laquelle elle défendit l’idée que le créole haïtien était « une langue éwé à vocabulaire français ». Récemment, cette idée a refait surface d’une manière beaucoup plus sophistiquée grâce aux travaux sérieusement documentés de la linguiste canadienne Claire Lefebvre (en particulier, son texte le plus célèbre « Creole genesis and the acquisition of grammar. The case of Haitian creole ») 1998, Cambridge University Press. Selon Lefebvre, le créole haïtien est une langue fongbe relexifiée (le fongbe est une langue parlée en Afrique de l’Ouest : Togo, Bénin…). 

Le volume des mots français ou dérivés du français en kreyòl est immense. Cependant, il n’est pas prouvé qu’un locuteur français ou francophone puisse comprendre facilement un locuteur haïtien créolophone sauf peut-être quelques mots ou expressions fondamentaux facilement identifiables dans les deux langues. Pour avoir une idée de la fréquence des mots français ou d’origine française dans le lexique du créole haïtien, j’ai entrepris une lecture cursive à la lettre « j » du dictionnaire Haitian Creole-English Bilingual Dictionary (Valdman et alii, 2007) qui contient 30.000 entrées faisant ainsi de ce texte le dictionnaire bilingue le plus complet qui existe en kreyòl. J’ai ainsi relevé 461 entrées au total. De ces 461 entrées, il n’y a que 5 : jebede, jèjè, jekon, jèvrin, et jòf  qui n’ont aucun rapport de près ou de loin avec le français. Toutes les autres sont ou bien directement français, ou bien dérivées du français. Certains ont gardé le même signifiant et le même signifié français. C’est le cas de : jeni, jalou, joujou, jitan, janbon, jaze, joni, jwe, jeneralman…D’autres, malgré quelques petites différences phonologiques ou sémantiques, sont facilement identifiables comme des mots français. C’est le cas de : joure, jadinye, jan, jedaza, jèdo, jenn,... La plupart du temps, ces morphèmes entrent dans des champs sémantiques inconnus du français et de la culture française.

Il est courant chez les linguistes de faire une différence entre une phrase asémantique et une phrase agrammaticale. Si on prend une phrase telle que celle-ci :
                                      Janbon vèt ti gason an renmen jedaza

Il est évident qu’elle est grammaticale, c’est-à-dire qu’elle est construite selon les règles de la syntaxe kreyòl mais elle est asémantique, c’est-à-dire qu’elle ne signifie pas. Par contre, une phrase telle que :
                                              Chemiz vèt la ti gason  la jedaza 
est une phrase agrammaticale parce qu’elle ne respecte pas la syntaxe de la langue créole.

 L’étude du lexique d’une langue peut déboucher sur la lexicographie qui se définit comme la technique de fabrication des dictionnaires. Le lexicographe sélecte les unités lexicales, les classe alphabétiquement, étymologiquement, et analogiquement, retient une méthode de définition, procède à un dénombrement des sens et à leur regroupement et donne une illustration des sens retenus.  Les dictionnaires sont inséparables du développement de la communication écrite. Ils peuvent être monolingues, bilingues ou plurilingues. Il existe plusieurs dictionnaires bilingues dans les communautés parlantes haïtiennes mais très peu ou pas du tout de dictionnaires monolingues appelés aussi dictionnaires de langue. Le dictionnaire de langue est le plus important des dictionnaires. Il requiert une définition pointue et sophistiquée de l’objet linguistique et une technique de confection de dictionnaires hautement perfectionnée.

Contactez Hugues St.Fort à : Hugo274@aol.com           

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