Par Junia Barreau *, Montréal, le 16 février 2014 --- Suite au questionnement légitime de Mme Colette Lespinasse sur la négation des droits humains dans les récentes négociations haïtiano-dominicaines ayant abouti à la Déclaration conjointe de Jimany, l’économiste Nesmy Manigat, membre de la commission bi-partite de négociation et conseiller du premier ministre haïtien, nous livre sa position réelle sur l’affaire dominicaine dans un texte intitulé « Le dilemme dominicain[1] » paru dans Le Nouvelliste du 12 février 2014. Nous devons l'en remercier. En lisant son analyse, on pourrait presqu’oublier que Nesmy Manigat est un acteur important dans les négociations bilatérales haïtiano-dominicaines et ceci depuis plusieurs années. L’économiste Nesmy Manigat possède à son actif une longue carrière à titre de consultant auprès d'organisations internationales qui fournissent des appuis techniques dans le cadre de projets de développement à différents pays, notamment en Haïti, en République dominicaine et en Afrique.
La plupart de ces projets sont financés par des bailleurs internationaux en particulier l'Union Européenne et l'Organisation Aide Action International. Un observatoire d'universités haitiano-dominicaines au montage duquel il a participé vient tout juste de remporter un appel d'offre de l'Union Européenne. Professeur d'université des deux côtés de l'île, membre du Conseil de développement économique et social (Haïti), Nesmy Manigat a joué un rôle clé dans le « don » de l'université de Limonade par la République dominicaine à Haïti même s'il aime garder un profil bas. Tout ceci pour dire qu’il connaît très bien le contexte haïtiano-dominicain. Il est également un grand défenseur d'une « vraie éducation de qualité pour tous », citoyen engagé et fier fils de Ouanaminthe. Crédible et apprécié, Nesmy Manigat est le bon gars à la bonne place. Ne voyez rien de péjoratif, au Québec cette phrase a une connotation positive qui souligne la compétence de quelqu'un. Je le verrai presque calife à la place du calife… Bref, c’est quelqu’un qu’on aime lire et écouter, qui inspire confiance et apporte une certaine crédibilité à un gouvernement haïtien nettement incompétent pour gérer la crise haïtiano-dominicaine.
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L'article de Mme Barreau est impeccable- pas de voye monte- une analyse documentée et c'est précisément, ce qui fait qu'on se retrouve en colère devant un constat aussi dramatique et l'inertie des politiques non affiliés au régime Tèt Kale et celle des intellectuels et du corps des lettrés (professeurs, étudiants) face à cette tragédie. Laquelle tragédie ne touche pas seulement les Dominicains d'ascendance haïtienne mais l'ensemble de la société haïtienne prise au piège de relations économiques avec la RD totalement défavorables pour le développement de leur propre pays et le bien-être de la population.
Lisez plutôt cet extrait qui fait froid dans le dos:
"Selon le professeur Corten qui revient tout juste d’un séjour sur l’île Kiskeya, la Déclaration de Jimani constitue tout simplement la capitulation du gouvernement haïtien devant les intérêts puissants des élites économiques intimement liées des deux côtés de l’île. Une vieille habitude de l’État haïtien qui méprise par-dessus-tout sa propre population négroïde.
Le professeur Corten estime que nous ne devons pas compter sur le gouvernement haïtien. Les oligarchies des deux côtés de l’île ont décidé qu’il était temps de fermer ce dossier nuisible pour les affaires. D’ailleurs « l’un des accords entre Quisqueya CEO Summit regroupant les hommes et femmes d’affaires des deux côtés de l’île, est le bannissement des « interdictions unilatérales » de produits dominicains. Ce qui délesterait l’État de son pouvoir régalien de mise en quarantaine d’un produit pour des raisons sanitaires.[3] » Ce qui signifie que l’État haïtien n’aurait plus aucun droit d’interdire l’importation de poules et d’œufs dominicains ou de tout autre produit dominicain (sans l’aval des grands entrepreneurs haïtiens et dominicains) renchérit Jean-Claude Icart. Cet « accord commercial » entre entrepreneurs privés porte un coup fatal à l’État haïtien déjà agonisant. L’État haïtien n’est plus : l'oligarchie binationale s'est substituée à l’État, c'est-à-dire que ce sont les hommes d’affaires haïtiens et dominicains qui contrôlent l’île Kiskeya."
Et cet autre passage qui dit clairement ce que nous avons présenté sur ce blog comme une hypothèse. A savoir que la RD a besoin d'une Haïti sous-développée et pas démocratisée- d'où son appui aux coups de force depuis la chute du pouvoir rétrograde, autoritaire et primitif (dixit la CIA) de Duvalier J-Cl. D'où la propagande pro-dominicaine sur le net des "commerçants" haïtiens et autres inféodés ( qui ne voient pas plus loin que leur nez) qui poussent au dénigrement systématique des Haïtiens et à l'auto-flagellation.
Au début de la décennie , un pur produit de l'extrême droite dominicaine, impose sa vision raciste de la République d’Haïti. Avec Trujillo, l'extrême droite dominicaine s'est efforcée de distiller dans la société dominicaine une définition de l'identité dominicaine fondée sur un anti-haïtianisme primaire et violent développé autour de trois axes :
- a)la République Dominicaine est un pays[mulâtre, indio, tout sauf nègre --par opposition à Haïti un pays nègre];
- b)Haïti est un pays inapte à la démocratie;
- c)tout développement démocratique en Haïti est une menace à l’intérêt national dominicain. (Sagas Ernesto, 1994, cité par Jean-Claude Icart).
Vers les années 1990, on assiste à un renouveau de la vision ou du pacte trujilliste; plus précisément durant les années du coup d’état sanglant de 1991 perpétré par l’armée d’Haïti qui bénéficiait d’un fort appui de l’État dominicain tel que le mentionne le sociologue Jean-Claude Icart. Dans le prolongement de la vision trujilliste, tout développement économique d’Haïti est perçu comme une menace aux intérêts dominicains… Les forces conservatrices extrémistes en République dominicaine y croient fermement.
Et ce dernier. Le plus accablant. A se demander si ces gens au pouvoir (exécutif et parlementaires ) sont des idiots inconscients et/ou de cyniques profiteurs.
On estime qu’entre 70 et 80 % des fonds Petrocaribe servent à enrichir les compagnies dominicaines dans le secteur de la construction en Haïti, ce qui signifie que plus d’un milliard de dollars aurait déjà été versé dans les coffres des compagnies dominicaines par l'État haïtien. Les compagnies dominicaines, sans appel d’offre, raflent la plus grande partie des contrats de construction. La dette d’Haïti envers la République bolivarienne du Vénézuela s’élève à 1,276,929,359.32 USD [7] ; une dette que les Haïtiens devront rembourser au peuple vénézuélien. Ainsi, Haïti finance-t-elle l’économie dominicaine par les importations et le fait-elle maintenant avec les fonds empruntés de Petrocaribe.
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