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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


les enjeux autour de la chute de Duvalier Jcl : Un départ bien organisé

Publié par siel sur 19 Octobre 2010, 09:30am

Catégories : #PEUPLE sans mémoire...

VOIR texte précédent : Les enjeux autour de la chute de Duvalier Jcl.

 

Chapitre IV

UN DEPART BIEN ORGANISE
1985-1986

Sur la route sinueuse qui mène à Jacmel, Jean-Claude Duvalier converse avec son superministre Jean-Marie Chanoine. On appelle le président sur son téléphone mobile. La nouvelle est mauvaise. De graves événements se déroulent aux Gonaïves. Il y a des morts. Les deux hommes apprennent le massacre du 28 novembre 1985.
Dans cette ville où, le Ier janvier 1804, Dessalines proclama l'indépendance d'Haïti, un événement inattendu se déroule. L'armée ouvre le feu. Trois jeunes écoliers sans armes sont abattus en plein jour. Le R.P. Guévin, présent sur place, rapporte que les jeunes, à l'intérieur de la cour du collège de l'Immaculée-Conception, voulaient manifester leur opposition au régime. « Ce sont des militaires qui ont fait feu  », précise l'ecclésiastique.
Pourquoi cet excès de violence qui allait tout faire basculer ? Duvalier et Chanoine tombent des nues. La Land Rover rentre précipitamment au palais national, à Port-au-Prince.
Atmosphère de crise. Duvalier cherche à comprendre. Avec ses superministres, il convoque les militaires. L'armée est nerveuse. Au départ, le colonel Regala n'est pas chaud pour se rendre aux Gonaïves. L'armée n'est-elle plus aux ordres ? Duvalier insiste. Finalement, Regala accepte de mener une enquête discrète.

 

Parallèlement, il y aura une seconde enquête. « J'ai envoyé Mme Max Adolphe pour avoir des informations de première main. Il n'a jamais été question de ne pas élucider cette affaire' », explique Jean-Claude Duvalier.

 

Pendant ce temps, aux Gonaïves, les troubles continuent. Le président ne devait-il pas s'y rendre pour calmer le jeu ? « J'avais l'intention de le faire. Je n'en ai pas eu le temps. Oui, j'ai fait une erreur. J'aurais dû me rendre aux Gonaïves. Mais, à ce moment-là, je devais m'appliquer à calmer les esprits, pour éviter d'autres excès. » En fait, le président ne cesse de chercher à comprendre ce qui se passe. Il est persuadé que les trois jeunes ont été tués « dans le but de nuire au gouvernement ». « C'était dirigé contre moi », raconte t-il. On ne peut exclure l'hypothèse d'une stratégie des militaires, incontrôlables depuis le départ de Roger Lafontant et conscients d'être désormais tout près du pouvoir..


Les officiers des forces armées quittent le bureau présidentiel. Reste la fine équipe de superministres autour de Jean-Claude Duvalier. Selon Frantz Merceron, Théodore Achille, ministre de la Justice, explose: « Président, révoquez-les immédiatement. C'est de la haute trahison. C'est intolérable'. » Chanoine ne dit rien. Merceron non plus. Le président ne bronche pas. Achille insiste. Il a raison sur le fond, mais ce n'est pas si simple. Chanoine, Merceron et Duvalier sont conscients des données du problème. S'ils décident de les révoquer, qui va les remplacer ? N'est-il pas déjà trop tard ?


La situation est grave. Le président et ses ministres peuvent logiquement se demander si l'armée complote à leur insu. Pour le moins, elle semble s'émanciper. Le départ de Roger Lafontant y est pour quelque chose. En l'absence du chef macoute, il n'y a plus de contrepoids au pouvoir des militaires.


L'absence d'enquête véritable, mais aussi le silence officiel du président sur les événements alourdissent l'atmosphère. Dès le 28 novembre, Jean-Marie Chanoine publie un communiqué dans lequel il exprime sa sympathie aux familles des victimes. Ce n'est pas suffisant pour calmer le jeu. Le climat se dégrade. Les manifestations de rue se succèdent. Plusieurs grèves commencent à paralyser la vie économique du pays.
Les Américains vont s'intéresser de près à la situation. En fait, ils cherchent à influer sur le cours des événements. Leur intérêt, c'est d'éviter une insurrection qui pourrait engendrer une forte instabilité dans le pays.

 

Le 19 décembre, Emmanuel Constant, le représentant de Frantz Merceron à l'ambassade haïtienne à Washington, appelle son ministre. « Il se passe quelque chose. Tous les projets de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international sont gelés. » Merceron n'en croit pas ses oreilles : « Quoi! Mais ce sont des engagements déjà pris. Qu'est-ce qui se passe? » Il décide de partir d'urgence pour Washington.
À cette époque, Emmanuel Constant, dit Toto, est un jeune diplômé d'Université, qui termine sa thèse aux États-Unis. C'est aussi un « agent de liaison » entre le Fonds monétaire, la Banque mondiale et le gouvernement haïtien.


La pression monte. Les Américains « lâchent » Merceron et ses amis. À la Banque mondiale, Reinhard Steiner lui annonce qu'il a « reçu des ordres ». L'argent n'arrive plus en Haïti. C'est dans ce contexte qu'approche Noël. Une vraie crise qui peut se révéler fatale au ministre des Finances. C'est l'homme de toutes les négociations avec les instances monétaires internationales.


Le ministre des Finances n'est plus en odeur de sainteté au palais. Un complot se prépare pour le renverser. Frantz Merceron s'explique: « Les anciens duvaliéristes se sont réunis chez un certain Devarieux. Ils ont proposé au président l'arrestation immédiate des ministres d'État, de nommer de grands anciens duvaliéristes, et de nous présenter comme les responsables de tout ce qui s'était passé dans le pays. Jean Claude Duvalier se ferait sa virginité politique sur notre dos  » Un scénario peu probable. Les anciens duvaliéristes ne sont pas particulièrement populaires. Mais Merceron prend la menace au sérieux. Il sait aussi que les militaires pèsent également de tout leur poids contre lui. Ses collègues, les ministres d'État Chanoine, Achille et Estimé, lui conseillent de démissionner. Il comprend cependant que s'il démissionne seul, il risque de servir de fusible. On lui fera porter le chapeau à propos de tous les problèmes qui se posent au pays. Il tente de convaincre ses collègues de partir avec lui. Ils n'ont pas très envie de quitter leurs ministères. Il leur demande de réfléchir pendant la trêve de Noël. Merceron comprend que les Américains agissent en sous-main pour faire tomber le régime. C'est le début de la fin.


Pourquoi les Américains veulent-ils la chute du régime? La dégradation du climat leur a fait prendre conscience de la fragilité du pouvoir. Les taxes consulaires n'entrent plus au pays. Ils perçoivent, d'autre part, une dérive du système avec l'arrivée de Mme Bennett au palais. Le président s'est-il laissé déborder par les agissements de son épouse? « Je regrette que mon ex-épouse, surtout dans un pays en voie de développement, n'ait pas su répondre à toutes les attentes du peuple. Cela vaut également pour d'autres membres de ma famille. On me cachait parfois certaines vérités et je ne pouvais pas être après tout le monde constamment. »

Le début de la fin

Le 30 décembre, à midi, Frantz Merceron prend sa décision. Il présente sa démission à Jean-Claude Duvalier. Le président l'accepte. Comme Merceron le pensait, il entraîne dans sa chute ses amis Chanoine, Achille et Estimé. Alix Cineas est le seul des ministres d'État à rester au gouvernement. Cet ancien protégé de Luckner Cambronne, allié des militaires, est aussi l'homme sur lequel misent déjà les Américains pour l'après-Duvalier. Son frère n'est autre que l'ambassadeur d'Haïti à Washington.

 

Un rapport confidentiel de la CIA nous éclaire un peu plus encore. On le présente comme le « meilleur successeur possible' » de Duvalier. En ces derniers jours de décembre, tout se passe comme si le clan des anciens duvaliéristes reprenait le pouvoir pour lui seul. Un scénario qui semble piloté depuis les États-Unis...

 

Malgré son éviction du gouvernement, Frantz Merceron conserve de l'influence auprès du président. Les deux hommes s'entretiennent longuement pour composer le nouveau gouvernement. Frantz Merceron se souvient: « J'avais réussi a faire nommer mon oncle, Pierre Merceron, ministre de l'Intérieur, en me disant, si je dois quitter précipitamment le pays, autant que mon tonton soit là, que je n'ai pas de problèmes à l'aéroport'. » À la demande de Jean-Robert Estimé, Jean-Claude Duvalier nomme les quatre ministres démissionnaires ambassadeurs. Dans un élan de bonté, le président leur propose même de choisir leurs ambassades.

 

Les États-Unis ne s'arrêtent pas là. Leur pression se fait encore plus directe. Le secrétaire d'État jamaïcain, Neville Gallimore, se rend à Port-au-Prince. L'homme est envoyé par Washington. Il vient au palais pour faire le point avec le président. En fait, il s'efforce de lui faire comprendre que tout peut arriver. La vie du président et de ses proches est en danger. Il pousse Duvalier à partir. Ou à rester sous conditions ...


Le 8 janvier, dans une ancienne maison coloniale de Pétionville, l'ambassadeur des États-Unis, Clayton Mac Manaway, rencontre à sa demande Frantz Merceron. « Il m'a dit des choses capitales. C'était au moment où les Américains ont décidé d'être actifs dans le processus. Jusque-là, ils l'avaient été de manière indirecte en coupant l'aide et, à mon avis, en prenant des contacts intensifs avec l'armée dès le mois de décembre  » L'ambassadeur lui fait passer un message à l'intention du président Duvalier. Frantz Merceron en rapporte la teneur: « Il y a un mécontentement dans votre pays. Il est le fruit de vos nationaux, et de personne d'autre. Nous estimons que vous devez régler cette crise par les voies habituelles de tout gouvernement dont la population est mécontente". » Message majeur: « Ça voulait dire, messieurs, on vous laisse tomber... », poursuit Merceron.


L'ambassadeur ajoute ensuite: « À partir du 25 janvier, nous allons annoncer officiellement que nous suspendons l'aide à la république d'Haïti, si, entre-temps, vous n'avez pas posé des actes majeurs vers une démocratisation d'Haïti. Il nous faut une décision majeure, qui aille dans le sens d'une ouverture . » L'ultimatum est fixé au 20 janvier. Le message parvient également au président par la voie diplomatique habituelle.


En ce début janvier, les événements se suivent à un rythme soutenu. La fatigue gagne Jean-Claude Duvalier. Le président n'a même pas le réconfort de pouvoir s'entretenir avec son ami Claude-Auguste Douyon. Comme d'habitude, il est parti faire sa tournée des ambassades. Du moins le croit-on... En fait, il ne reviendra pas au palais. Le président le sait. De Washington ou Miami, Claude-Auguste Douyon reste en contact permanent avec son ami d'enfance. Parlent-ils, déjà, ensemble d'un éventuel départ ?


Une chose est quasi certaine, les intérêts financiers ne pèsent pas sur sa décision. Comme son père, Jean-Claude Duvalier n'est pas un affairiste. « Certains se sont empressés de se servir avant et après mon départ. Us m'ont fait porter le chapeau», explique-t-il aujourd'hui.


Le geste attendu par les Américains a lieu comme prévu le 20 janvier. Jean-Claude Duvalier procède à la nomination d'un certain nombre de militaires « proches » des États-Unis. Parmi eux, le colonel Prosper Avril, l'homme spectaculairement remercié un an plus tôt par Roger Lafontant. Convaincu des accointances du colonel avec la CIA, l'ex-ministre de l'Intérieur n'y était pas allé de main morte. Il avait humilié Prosper Avril en public. Lafontant avait braqué son revolver sur le colonel en plein conseil d'administration de la Teleco, l'entreprise de téléphone haïtienne, menaçant de le tuer. La nomination d'Avril est-elle suffisante pour convaincre les Américains ? Début février, sur la demande du Premier ministre jamaïcain Édouard Seaga, Neville Gallimore revient à Port-au-Prince. Un agent de la CIA arrive également dans la capitale haïtienne. Manifestement, les Américains veulent aller plus loin.


Frantz Merceron, qui est parti prendre ses fonctions d'ambassadeur à Paris - il est nommé auprès de l'Unesco -, rentre au pays le 3 février. Aussitôt, il rencontre le nonce apostolique. L'ambassadeur du pape lui dresse un état des lieux saisissant. La situation est grave. Le soulèvement populaire prend une ampleur phénoménale. Une tension extrême règne dans les grandes villes. Les tontons macoutes commencent à « pacifîer » le pays.


Cette situation insurrectionnelle inquiète l'Église qui souhaite une transition en douceur et le retour au calme. Dans l'esprit du nonce, tout semble pouvoir rentrer dans l'ordre si Duvalier annonce des élections d'ici douze mois et si la violence s'arrête. Il suggère à son ami Frantz Merceron d'en faire part au président.


Le chef de l'État est exténué. Voilà plusieurs nuits qu'il ne dort pas. Sous le feu de multiples pressions, JeanClaude Duvalier prend conscience qu'il doit agir rapidement. Il y a ceux qui le poussent au départ et ceux qui l'invitent à rester. La majorité d'entre eux se situe dans le second camp. Parmi eux, certains pensent qu'il doit reprendre le pays en main par la force. D'autres conseillent au président d'annoncer des réformes. C'est le cas de Frantz Merceron : « Monsieur le président, je pense que l'histoire retiendra de vous que vous avez été un bon président. Je pense que l'histoire le retiendra lorsque les passions seront calmées. Et s'il y a une chose qu'elle retiendra, c'est que vous n'avez pas de sang sur les mains. Je ne crois pas qu'on puisse vous accuser de cela. Alors, président, si vous laissez tuer cinq mille personnes, ou dix mille pour pacifier le pays, pour garder le pouvoir, vous allez contre l'histoire. Vous allez contre votre peuple, vous allez contre votre image . »


Merceron l'invite-t-il à prendre le chemin de l'exil ? Surtout pas. « Il faut d'abord qu'il y ait un pouvoir législatif qui s'organise, ensuite vous renoncerez à la présidence à vie, pour déclencher des élections, dans trois ou dans six mois. Mais d'abord, avec toute votre autorité de chef d'État, vous déclenchez, sous contrôle international, des élections libres et honnêtes . »


De quel côté penche l'épouse du président? Mme Bennett n'a pas souhaité répondre à nos questions". La plupart disent qu'elle avait amassé assez d'argent et qu'elle voulait quitter le palais. Quoi qu'il en soit, à ce moment de l'histoire, elle n'a plus guère d'influence sur son mari. « J'avais pris, seul, la décision de partir une semaine plus tôt », rapporte Jean-Claude Duvalier .


Le 6 février, Jean-Claude Duvalier surprend tout le monde. Il convoque les ambassadeurs français et américain pour leur annoncer qu'il part. C'est le nouveau ministre des Affaires étrangères, Georges Salomon, qui appelle les diplomates.

Ambassade de France, Port-au-Prince, 6 février 1986

Dans le superbe parc de la résidence, le manoir des Lauriers, tout le personnel de l'ambassade est convié au déjeuner donné traditionnellement par l'ambassadeur en début d'année. L'apéritif traîne un peu. Arrive l'heure de passer à table. La suite, François-Claude Michel, l'ambassadeur de France, la raconte. « Incroyable. Au moment précis où j'arrivais à hauteur de mon siège, le téléphone a sonné. Je décroche moi-même: je suis convoqué au palais. Vous pouvez imaginer la discrétion: au moment où commence le déjeuner organisé pour toute l'ambassade, l'ambassadeur s'en va. Je pars donc, sous un faux prétexte. J'arrive au palais où tout se voit de la rue. Ma voiture s'arrête au bas des marches. Je n'avais évidemment pas regardé derrière et, au moment où je m'arrête, J'entends crisser les pneus d'une voiture qui freine derrière moi. C'était la voiture de l'ambassadeur des États-Unis. On ne peut rêver plus grande discrétion : l'ambassadeur de France et l'ambassadeur des États-Unis arrivant aux yeux de tout le monde, en pleine crise ` ... »


Les deux hommes entrent au palais. L'ambassadeur de France est reçu le premier. Il raconte cet entretien : « Jean Claude Duvalier révèle d'emblée ses intentions " J'ai décidé d'aller en France. " Alors je lui ai répondu: Monsieur le président, mon gouvernement est disposé à ce que vous transitiez par le territoire français pour une durée limitée, disons d'une quinzaine de jours. " Pas l'ombre d'une réaction, pas l'ombre d'un écho, pas un mot. Je réitère donc : " Monsieur le président, mon gouvernement est disposé... " et je reprends ma phrase... Pas l'ombre d'un écho, pas l'ombre d'une réponse, pas un mot. Je me suis répété une fois encore et, à l'issue de ce troisième énoncé, je suis parti. » Point final.

 

Prêt à toute éventualité le gouvernement français avait donné à son ambassadeur des instructions lui permettant d'accéder à la demande du président Duvalier. La suite ne concerne plus la France. Les États-Unis prennent le relais. Ils organisent le départ de la famille Duvalier. L'entretien entre le président et l'ambassadeur américain permet de régler les détails pratiques. Le président appelle aussi son avocat en France, Me Sauveur Vaisse.
Pourquoi Jean-Claude Duvalier a-t-il pris cette décision ?


Il n'est manifestement pas obligé de partir. Le scénario envisagé par le nonce et rapporté par Frantz Merceron est acceptable pour les Américains. « Je suis parti pour éviter un bain de sang, parce que cela semblait être la volonté du peuple », explique Jean-Claude Duvalier . La décision n'est en fait pas tellement surprenante s'agissant d'un homme qui n'a jamais « voulu être président ». N'est-il pas logique aussi qu'un homme épuisé, incapable de trouver le sommeil en raison des pressions qui l'accablaient, ait envie de changer radicalement le cours de sa vie? Plus qu'une chute, c'est un départ volontaire.


Jean-Claude Duvalier part dans la nuit du 6 au 7 février 1986. Il vient de remettre le pouvoir au général Namphy, porté à la tête d'un Conseil national provisoire. Dans un enregistrement vidéo diffusé après son départ, Jean-Claude Duvalier explique sa démission au peuple: « Désirant rentrer dans l'histoire la tête haute, la conscience tranquille, j'ai décidé de passer le destin de la nation, le pouvoir, aux forces armées dHaïti en souhaitant que cette décision permette une issue pacifique et rapide à la crise actuelle. » Le général Namphy parle à son tour: « À la suite de la démission et du départ pour l'étranger de l'ex-président Jean-Claude Duvalier, les forces armées d'Haïti, pleinement conscientes de leur mission de défendre l'intégrité du territoire national, responsables du maintien de l'ordre et de la sécurité publique, ainsi que de la paix, ont dû, pour la sauvegarde et la préservation du patrimoine national, si sérieusement menacé, se saisir des renes du pouvoir... »


Dans la nuit, l'ambassadeur américain téléphone à son homologue français. Il l'informe que l'avion emmenant le président Duvalier et sa famille est bien parti. « Dans un pays comme Haïti, croyez-moi, pour tenir quatorze ans, il ne faut pas être idiot. Jean-Claude Duvalier a été victime de son mariage, beaucoup plus que de sa politique ` » commente l'ambassadeur de France, François-Claude Michel.


Talloire. Un C141 de l'année américaine atterrit sur l'aéroport de Grenoble. À son bord, Jean-Claude Duvalier, sa famille et ses proches. La police de l'air et des frontières inspecte les passagers. Extrêmement courtois, le préfet de l'Isère les interroge brièvement. L'avocat, Me Sauveur Vaisse, et Frantz Merceron, en tant qu'ambassadeur présent en France, qui vient d'arriver le matin même via New York, sont aussi sur place. Ils découvrent Jean-Claude Duvalier, la mine défaite, au bord de l'épuisement. Les deux hommes l'accompagnent à l'hôtel de l'Abbaye de Talloire. Une étape avant de rejoindre une luxueuse villa de la Côte d'Azur.


Port-au-Prince. La fête bat son plein. Dans l'ivresse de l'amalgame historique, le peuple des cités populaires déboulonne la statue de Christophe Colomb. On la jette à la mer. « Puisqu'il est si grand navigateur, il peut donc retourner chez lui à la nage... », se moquent les « déchouqueurs ». Le déchoucage, terme célèbre dans le vocabulaire haïtien, est une expression créole, la langue du pays, qui vient du vieux français « dessoucher », et qui signifie « extirper une souche » d'arbre. La chasse aux sorcières s'organise. Les macoutes n'en mènent pas large. Certains n'ont pas le temps de se cacher. Ils sont lapidés ou brûlés vifs par des exaltés. Une ambiance de vendetta envahit le pays. L'armée, mais aussi l'Église parviennent en deux ou trois jours à calmer les esprits.


Ainsi, Jean-Claude Duvalier a choisi de demeurer en France. Pourquoi la France? « Tout d'abord en raison des liens historiques qui unissent les deux pays. Mais aussi parce que j'aime énormément la France, pour sa culture et sa qualité de vie, entre autres. ` » On peut admettre ces raisons, d'autant que Baby Doc s'exprime parfaitement en français. On saisit moins, en revanche, pourquoi l'État français lui accorde un asile durable. À l'époque, Laurent Fabius, Premier ministre de François Mitterrand, parle « d'une dizaine de jours » seulement.

 

On sait également qu'un accord initial entre Français et Américains précisait que les premiers devaient accueillir le président une quinzaine de jours tout au plus, le temps pour les seconds de trouver un autre point de chute à la famille Duvalier. Pourquoi cela ne s'est-il pas passe ainsi ? « A mon arrivée, il y aurait eu une intervention du Vatican . » Au plus haut niveau et vraisemblablement pour « des raisons humanitaires ». Étrange? Pas forcément.L'Église de Jean-Paul II n'est-elle pas en grande partie responsable des déboires de Jean-Claude Duvalier ? Plus surprenant en revanche apparaît le feu vert de l'Élysée. À l'image des complexes relations franco-haïtiennes des dernières années...
 
A suivre











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