Samedi 27 novembre, je suis allé faire un tour au Salon du livre, dans ses nouveaux locaux du Palais des congrès. J’y croise un de mes anciens profs, Frantz Voltaire, qui m’apprend qu’un livre d’entretiens a été publié à son sujet. À ma demande, il m’indique le kiosque où je peux me le procurer.
C’est lors de la session d’hiver 1975, à l’UQÀM, que j’ai eu Frantz comme professeur. Il donnait le cours «Analyse politique». À 25 ans, j’étais un vieil étudiant (retour à l’école) et il avait à peine deux ans de plus que moi.
Même quarante-cinq ans plus tard, je me souviens encore de ses cours. Dans le contexte uqamien — et global — des années 70, l’enseignement de Frantz Voltaire se distinguait: il cherchait moins à nous convaincre qu’à nous aider à réfléchir. J’ai vérifié dans mes archives: j’avais obtenu un A !
Malgré sa jeunesse, je sentais que cet homme était plus qu’un théoricien de la science politique, qu’il avait déjà du vécu. J’aurais aimé mieux le connaître. Je le retrouvai près de dix ans plus tard, quand il cofonda le CIDIHCA. alors que j’étais jeune professionnel au ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration. Ensuite, nos chemins se sont éloignés, jusqu’à ce que nous devenions amis FB il y a trois ou quatre ans. Le CIDIHCA a 38 ans cette année.
La lecture de ce livre d’entretiens m’a soufflé. Après avoir quitté Haiti en 1967, avoir visité Montréal pour la première fois et traversé la moitié de l’Afrique, il avait passé près de cinq ans au Chili, de 1968 jusqu’au coup d’État militaire d’Augusto Pinochet. Un peu plus d’un an avant de m’enseigner, il était prisonnier à l’Estadio nacional à Santiago. Du vécu, disais-je…
Frantz partit ensuite pour Mexico et revint à Port-au-Prince, profitant d’un «adoucissement» du régime (présidence américaine Carter). Expulsé d’Haiti en 1979, il revient au Québec avant de retourner à Haiti après l’effondrement du régime Duvalier. Par la suite, il sera un acteur significatif en Haiti pendant et entre les mandats Aristide, tout en continuant d’assumer une présence forte au Québec, notamment via le CIDIHCA, mais aussi plusieurs initiatives politiques et culturelles..
Au cours de ces entretiens, qui s’étendent sur une cinquantaine d’années, on voit défiler un grand nombre de personnes, notamment son cousin Georges Anglade, ainsi que Mireille Neptune (parents de Dominique), Émile Ollivier et sa conjointe Marie-Josée (parents de… Dominique), Jean Dominique (asssassiné en 2000), Michèle Montas et Jan J Dominique, Paul Dejean et Karl Lévêque (BCCHM), Adeline Magloire, Max Chancy, Marjorie Villefranche (Maison d’Haiti), Viviane Ducheine, Stanley Péan, Alix Laurent, Dany Laferrière, Rhodnie Désir…
Dans ses souvenirs du collège Saint-Martial à Port-au-Prince, au début de la dictature Duvalier, Frantz se souvient notamment que le premier président de sa classe était Jean-Claude Icart. Tiens, tiens…
Ce même 27 novembre, j’avais reçu une invitation pour le lancement d’un recueil de nouvelles de Jean-Claude Icart. Au Québec depuis 1969, je l’avais connu, ainsi que sa conjointe Renée Condé-Icart, vers 1984-85 alors que j’étais responsable de la liaison avec la communauté haitienne au MCCI. Jean-Claude succédera à Paul Dejean — lorsque ce dernier retournera à Haiti en 1986 — à titre de directeur du BCCHM.
Jean-Claude sera également militant du RCM et candidat du parti dans le district Saint-Édouard en 1994. Je l’ai revu en personne en février 2020, lorsque la Ville a organisé un événement en hommage à Nelson Mandela, pour rappeler son passage à Montréal en 1990.
Samedi 4 décembre dernier, je me suis donc retrouvé dans les locaux du BCCHM (devenu BCHM), toujours situés sur la rue Marquette, où je n’étais pas allé depuis… très longtemps.
Contrairement à Frantz, historien, politologue, éditeur et animateur culturel dont le livre d’entretiens est «full» politique, le recueil de Jean-Claude, sociologue, chercheur universitaire et travailleur communautaire, représente, comme le dit le quatrième de couverture, une «incursion dans la littérature».
De Papeete à Iqaluit, des pays du Sahel jusqu’à Pensacola en passant par les Caraibes et le marché Jean-Talon, ces nouvelles nous font beaucoup voyager et nous racontent avec tendresse et un brin d’humour des histoires qui font sourire (un peu) et réfléchir (beaucoup).
Frantz Voltaire et Jean-Claude Icart, des parcours différents, une même passion pour le pays natal, une même affection pour le Québec, une même soif de justice et de solidarité. Respect et amitié.
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