Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Gouvernance et développement économique (3 de 5) Par Leslie Péan

Publié par Leslie Péan sur 6 Juillet 2014, 13:28pm

Catégories : #L.PEAN chronique

Plaque d'immatriculation de voiture en 1968 avec effigie de Duvalier François, papa dok pour les intimes.

Plaque d'immatriculation de voiture en 1968 avec effigie de Duvalier François, papa dok pour les intimes.

Par Leslie Péan, 18 juin 2014

La gouvernance par la peur a été utilisée au Moyen-Age au temps de la toute puissance de l’église catholique pour contrôler les populations. La pastorale de la peur s’est développée pour convaincre les populations de se soumettre à l’autorité cléricale. En Haïti, la peur a aussi été utilisée avec les loups-garous et la sorcellerie comme moyens pour gouverner la conduite des populations. Depuis le gouvernement de François Duvalier, les loups-garous qui étaient agités la nuit pour faire peur aux enfants sont aidés par les tontons macoutes qui terrorisent les adultes en plein jour. Les tontons macoutes génèrent une peur chez les adultes pour les neutraliser. Une peur destructrice, paralysante qui empêche tout salut par l’action. Et même quand la presse indépendante a tenté de relever le défi, elle était découragée par le discours de la mort, comme on l’a vu avec Gasner Raymond en 1976 ou avec Jean Dominique en l’an 2000.

Une ouvrière résume l’insécurité des citoyens haïtiens en disant « Haiti est finie ! Quand tu sors, si tu rentres tu dis merci Jésus. Tu dors dans ton lit, si tu te réveilles demain matin, tu dis merci Jésus. Car ….. les autres, ils disparaissent dans les rues, dans les voitures, ou encore ils meurent. (Ayiti, li fini wi ! Ou sòti, si ou antre, ou di mèsi Jezi. Ou dòmi ou leve nan kabann ou, ou di mèsi Jezi. Pase ….. lot sa yo, yo al disparèt nan la rue, nan machin, oubyen yo memm mouri[i].)

[i] Mark Alan Schuller, Killing with Kindness? Impacts of International Development Aid on Participation and Autonomy Within Women's NGOs in Post-coup Haiti, ProQuest, 2007, p. 76,

1-Guiteau Toussaint, banquier haïtien assassiné.

1-Guiteau Toussaint, banquier haïtien assassiné.

La gouvernance du crime et des assassinats

Aujourd’hui, l’escalade du discours de mort a lieu avec les escadrons paramilitaires cagoulés qui s’introduisent dans les maisons privées en plein midi pour kidnapper des citoyens et les exécuter. Le cas de l’assassinat du banquier Guiteau Toussaint kidnappé et assassiné chez lui dans le quartier résidentiel de Vivy Michel le 12 juin 2011 témoigne de ce genre de pratiques de tueurs qui circulent en toute impunité. Comme l’explique Jean Delumeau, « on est tombé dans la tactique ; on a recherché les moyens les plus propres à impressionner ; on a utilisé les "trucs" capables de renforcer l’autorité des sermonneurs et de rendre crédibles ce mélange de culpabilisation, de menaces, et de consolations qui constitua pendant des siècles le tissu le plus habituel de la prédication[i]. »

Cet assassinat du banquier Guiteau Toussaint un mois après la prise de pouvoir du président Martelly s’est accompagné d’autres meurtres non moins significatifs, dont celui du chef comptable au Ministère de l’Intérieur,Manès Monchéry, à Thomassin 38, le 27 septembre 2012. Encore une fois des escadrons paramilitaires ont froidement assassiné Manès, son épouse Carline et ses deux enfants Olivier (18 ans) et Fiknika (12 ans). Puis, les assassins ont mis le feu aux cadavres. Aucune enquête n’est menée et l’impunité est totale pour tout le haut personnel du ministère de l’Intérieur. Des assassinats en série de ce genre ou des disparition subites d’individus comme c’est le cas pour Evinx Daniel ne peuvent laisser indifférents la population haïtienne et la communauté internationale qui soutient à bouts de bras un gouvernement se présentant ouvertement comme un repère de bandits.

[i] Jean Delumeau, Le péché et la peur - la Culpabilisation en Occident XIIIe – XVIIIe, Paris, Fayard, 1983, p. 369.

Premier ministre Lamothe, Martelly, Casimir ex minstre des Affaires étrangères, une représentation de 3 parmi les clans au sein des Tèt Kale

Premier ministre Lamothe, Martelly, Casimir ex minstre des Affaires étrangères, une représentation de 3 parmi les clans au sein des Tèt Kale

Les guerres de clans au sein même du pouvoir pour contrôler les prébendes font rage. Et comme ce fut le cas au Bénin au 18e siècle où les clans se battaient autour du roi Guézo pour contrôler la traite des esclaves, les luttes sans merci pour contrôler le commerce des kidnappés et des stupéfiants sont continuelles.

On comprend alors la déclaration de Mgr Chibly Langlois, président de la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH), qui disait à l’occasion de la Noël 2012 :

« La pauvreté grandissante, la cherté de la vie, l’insécurité alimentaire, sociale, politique, psychologique et physique, la dégradation du vivre ensemble et de l’environnement, la déliquescence des valeurs, la peur de l’avenir, le chômage et toutes sortes d’injustice, tout cela résulte de la mauvaise gouvernance à laquelle il faut mettre un frein[i]

Le dossier est lourd. L’archevêque de la capitale Mgr. Guire Poulard donnera écho aux dires de Mgr Chibly Langlois le 1er janvier 2013 dans son homélie. Malgré ces sonnettes d’alarme, le gouvernement haïtien fonce, assuré du soutien de Washington, du Quai d’Orsay et du Vatican. Loin de freiner son comportement autoritaire, le président Martelly est catégorique et refuse que sa famille soit investiguée par le juge Jean Serge Joseph. Ce dernier est sommé de faire marche arrière dans la procédure qu’il a introduite. La passe d’armes qu’il a eue avec le président Michel Martelly lors d’une réunion au cabinet de Maitre Garry Lissade l’a conduit à la mort. Le stress causé par les pressions des bandits légaux aurait provoqué directement ou indirectement l’accident vasculaire cérébral qui l’a terrassé le 11 juillet 2013.

Dans tous les cas, les conclusions du rapport d’enquête du Sénat haïtien en date du 9 août 2013, retentissent pour : « a) Constater l’immixtion du chef de l’Etat, du premier Ministre et du Ministre de la justice dans l’exercice souverain du pouvoir judiciaire aux fins d’obtenir que des décisions de justice soient prises en leur faveur ; b) Déclarer le caractère parjure de ces autorités du pouvoir exécutif qui ont tous nié leur participation à la réunion du 11 juillet 2013 alors que l’enquête confirme leur participation effective à ladite rencontre ; c) Constater la trahison du chef de l’Etat qui avait juré de faire respecter la Constitution et les lois de la République d) Mettre en accusation le chef de l’Etat pour crime de haute trahison[ii]. »

Cette situation est loin d’être le seul cas d’immixtion du pouvoir exécutif au sein du pouvoir judiciaire. La gouvernance dans son essence renvoie au droit et à la justice. Or le premier acte commis quelques jours après sa prise de pouvoir par le président Martelly a été de prendre l’arrêté du 3 juin 2011 annulant la Loi constitutionnelle du 9 mai 2011 du président René Préval publiée dans le journal officiel Le Moniteur numéro 58 du 13 mai 2011, la veille de la prestation de serment du président Martelly. Ce texte comme il est dit dans Le Moniteur numéro 96 du 19 juin 2012 « ne reflète pas scrupuleusement le texte voté et adopté par l’Assemblée nationale le 9 mai 2011 ». On va de Charybde en Scylla et de mascarade en mascarade.

La Constitution publiée le 19 juin 2012 élimine l’article 297 de la Constitution de 1987 qui déclare que « toutes les Lois, tous les Décrets-Lois, tous les Décrets restreignant arbitrairement les droits et libertés fondamentaux des citoyens (…) sont et demeurent abrogés ». La forfaiture est multiple. D’abord, comment accepter qu’une Loi votée soit falsifiée par le pouvoir exécutif comme le président Préval l’a fait ? Ensuite, comment accepter qu’un arrêté annule une Loi ? Enfin comment comprendre que les coupables de ces forfaitures ne soient pas poursuivis pour ces crimes qu’ils ont commis ? On est en face de la gouvernance du diable avec des pratiques aussi démoniaques ?

[i] Le Matin, Haïti, 4 décembre 2012.

[ii] Rapport de la Commission spéciale d’enquête sur la mort troublante du Juge Jean Serge Joseph, 9 août 2013, p. 27.

Carnaval 1986 : représntation des macoutes (henchmen)

Carnaval 1986 : représntation des macoutes (henchmen)

À qui profite le crime ? Ne s’agissait-il pas de créer un vide constitutionnel pour la mise en œuvre d’une autre plus grande fraude scientifiquement préparée et organisée ? La confusion et le cafouillage ont été mis à profit de certains. Loin d’être une malédiction, il fallait se donner le temps pour soutirer de l’argent de la diaspora et permettre au gouvernement de se donner une assise nationale. Non sans permettre aux éternels opportunistes qui s’agitent dans le même fleuve de sauter dans leurs pirogues. Ce que les autorités gouvernementales ont encouragé pour ne pas s’isoler en se disant « Adieu veau, vache, cochon, couvée ». En effet, quelques semaines après sa prise du pouvoir, le gouvernement Martelly a utilisé le vide constitutionnel et publié le 1er juin 2011 un arrêté taxant les appels téléphoniques entrants et les transferts financiers de la diaspora. L’affaire est dans le sac sans qu’une Loi soit votée au parlement.

Malgré quelques protestations, le gouvernement a continué de collecter les taxes illégales sur les appels téléphoniques et les transferts et de plus, sans rendre de comptes sur leur utilisation. La technique des carnavals est promue et le peuple haïtien est « gros Jean comme devant ». Le gouvernement pratique le pillage systématique des ressources d’Haïti et de la diaspora par la politique répressive du « gwo ponyèt ». La population est traitée comme des zombis et des abrutis qu’on peut exploiter comme on veut car elle ne se révolte pas pour défendre ses droits. La communauté internationale assurant la gouvernance globale qui a imposé Martelly en croyant remodeler le paysage a été aussi complice. Elle s’est donc retrouvée sur la ligne de départ avec les mêmes vieilles techniques usées du pouvoir présidentiel absolu et de la politique du ventre. La curée continue avec de nouveaux visages et la population est mise sur la route pour le cimetière.

Il importe de remarquer que d’autres avaient compris que la mauvaise gouvernance n‘est pas une fin en soi mais plutôt un point de départ. Nous écrivions à ce sujet :

« Un mois après la prestation de serment de Martelly, le Nouvelliste des 23 et 24 juin 2011 avait subodoré la magouille en présentant la caricature ci-dessous en première page sous la rubrique « Martelly cherche "Le Petit Préval corrigé" ». Par-delà le matraquage publicitaire de Martelly pour se garder une popularité surfaite, le caricaturiste Teddy nous oblige à écarquiller les yeux devant le contenu prévalien des combines du nouveau pouvoir. En faisant semblant d’afficher un goût pour la lecture, Martelly avoue ses penchants. Il va à Livres en Folie pour acheter « Comment gérer le parlement » et « Le Tchala de la gouvernance », deux ouvrages qu’aurait écrit Préval dans son arrière-boutique[i]. »

En effet, les arrêtés présidentiels révoquant les lois sont la marque de fabrique de la nouvelle gouvernance. C’est le cas avec l’arrêté présidentiel du 16 avril 2014 fixant le salaire minimum à 225 gourdes alors que la loi a fixé le salaire minimum à 300 gourdes. En effet la Loi fixant le salaire minimum à payer dans les établissements industriels et commerciaux publiée dans le journal Le Moniteur No. 109 en date du mardi 6 octobre 2009 dispose :

Article 2.2.- A partir du 1er octobre 2012, pour les établissements industriels tournés exclusivement vers la réexportation et employant essentiellement leur personnel à la pièce ou à la tâche, le prix payé pour l'unité de production (notamment la pièce, la douzaine, la grosse, le mètre) doit être fixé de manière à permettre au travailleur de réaliser pour sa journée de (8) huit heures de travail au moins Trois Cents (300) Gourdes; le salaire minimum de référence dans ces établissements étant fixé à Deux Cents (200) Gourdes.

[i] Leslie Péan, « Le déficit de gouvernance en Haïti », Alterpresse, 16 et 18 janvier 2014.

Le modèle des Duvalier : une cité pour les travailleurs

Le modèle des Duvalier : une cité pour les travailleurs

Papa Doc adressait le message suivant aux entrepreneurs de sous-traitance :
« contre seulement un dollar américain, elle (la femme haïtienne) travaillera de bon cœur pendant huit heures par jour pour vous . »

idéologie à raccorder avec celle d'un Martelly, président se se transformant en proxénète pour l'occasion, déclarant que dans l'Haïti "ouverte au business" et au tourisme, les étrangers pourront apprécier les charmes des plages et de "nos belles femmes".

Le modèle installé par le tyran François Duvalier est suivi avec fidélité. En effet, pour attirer les industries de sous-traitance, parlant de la femme haïtienne, Papa Doc adressait le message suivant aux entrepreneurs de sous-traitance :

« contre seulement un dollar américain, elle travaillera de bon cœur pendant huit heures par jour pour vous[i]. »

En réalité, le modèle de gouvernance du duvaliérisme criminel a transformé le concept de gouvernance, nuance. Ce n’est pas uniquement la culture matérielle qui a été bouleversée mais aussi le domaine mental et symbolique. D’où l’effritement actuel et la généralisation de l’insignifiance dans notre quotidienneté pour poursuivre des chemins d’épouvante. Pourtant dès novembre 1986, dans Le Monde Diplomatique, nous avions essayé de prévenir le retour de l’anomie dans un univers qui refuse d’interpeller le passé récent fait de démesures et d’ensorcellements. Convaincu de l’obligation de faire les alliances nécessaires avec d’autres pour relever le défi, nous disions alors :

« Les révélations de M. Marcel Léger[ii], ancien ministre du Conseil National de Gouvernement (CNG), ont permis de mesurer l’ampleur de la tâche. Tout l’appareil économique était gangrené par une corruption sans bornes. M. Léger a découvert que l’une des principales sources d’enrichissement des dirigeants duvaliéristes résidait dans la vente du corps d’Haïtiens, morts ou vifs. Morts, on expédiait leurs cadavres, contre espèces sonnantes, à des universités américaines pour les classes d’anatomie des étudiants de médecine. Vivants, on les vendait comme « esclaves » d’un nouveau type en République dominicaine pour couper la canne à sucre. Le sang de tous ces malheureux était en outre acheté à un prix de misère par la Hemo Caribbean Inc., une filiale appartenant à M. Lucker Cambronne, ex-ministre des travaux publics et de l’intérieur et ex-dirigeant de la police politique. Puis le plasma était vendu au prix fort à trois laboratoires américains : Armour Pharmaceutical, Laboratories Cutter et Dow Chemical. D’autre part, un véritable trafic d’organes, digne des pires fils d’horreurs, avait été mis sur pied. Le Pittsburg Times[iii] a raconté comment la vente d’organes, particulièrement de reins, a permis à certains duvaliéristes d’amasser de véritables fortunes. Un rein haïtien acheté à 40 dollars à Port-au-Prince était revendu 50 000 dollars aux Etats-Unis[iv]. »

Cela n’a pas empêché le retour de la gouvernance autoritaire des bandits légaux qui s’identifient au duvaliérisme en revendiquant ouvertement sa pérennité. Dans la tradition du grand banditisme, un groupe d’individus se déclarant des partis politiques ont eu l’outrecuidance de décider de se donner des superpouvoirs en s’arrogeant le droit de se placer au-dessus de la Constitution. Laquelle ? Celle que le pouvoir a falsifiée, mise en vigueur et à laquelle le peuple a consenti selon le gouvernement, mais que des agitateurs veulent faire croire qu’il ne doit pas accepter. Poussant encore le toupet, le gouvernement haïtien se met sous les feux des projecteurs et, avec l’appui de la communauté internationale hypocrite, décide de prendre de vraies fausses mesures de redressement en se lançant dans une dérive encore plus grande. Il s’agirait d’imposer l’organisation d’élections avec une machine électorale bidon en 2014. (à suivre)

[i] Pierre Yves Guay, Les firmes transnationales et l’État nation : l’émancipation par la dépendance, Agence d’Arc Inc, Montréal, 1987,

[ii] New York Times, 18 mars 1986.

[iii] Pittsburg Times, 3à mars 1986.

[iv] Leslie Péan, « Mécontentement populaire à Haïti », Le Monde Diplomatique, novembre 1986, p. 11.

Le Pittsburg Times[iii] a raconté comment la vente d’organes, particulièrement de reins, a permis à certains duvaliéristes d’amasser de véritables fortunes. Un rein haïtien acheté à 40 dollars à Port-au-Prince était revendu 50 000 dollars aux Etats-Unis[iv]. »

Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents