Qualifié d’historique, ce procès est attendu avec impatience par les Burkinabés. Certains, comme Paul Ouédraogo, un jeune commerçant qui était de l’insurrection en 2014, veulent y voir un moment de vérité qui « permettra de savoir qui a donné l’ordre de tirer à balles réelles » sur les manifestants et de « soulager les victimes et leurs familles ». Mais ils regrettent l’absence du principal responsable. S’il figure sur la liste des accusés, Blaise Compaoré, qui faisait également office à l’époque de ministre de la défense (c’est à ce titre qu’il est cité à comparaître), n’assistera pas à son procès. Confortablement installé à Abidjan (Côte d’Ivoire), Compaoré n’a plus rien à craindre de la justice de son pays.
Ce privilège, il le doit d’abord à la France. Le 31 octobre 2014, quand il se décide enfin à rendre le pouvoir et à quitter le pays, après plusieurs heures de tergiversations, persuadé d’avoir été « trahi » par l’état-major et certains de ses ministres, Compaoré fait appel à l’armée française. Celle-ci dispose depuis plusieurs années d’une base près de Ouagadougou, dans laquelle se trouvent quelques dizaines de membres des forces spéciales prêts à intervenir à tout moment dans le Sahel. Compaoré est déjà en contact avec des responsables de l’ambassade de France lorsqu’il quitte le palais de Kosyam, aux alentours de midi. Sous bonne escorte (le convoi compte 28 véhicules), il prend alors la direction du Ghana, plein sud. Mais à l’approche de Pô, une ville qu’il croyait acquise en sa faveur, il apprend que des manifestants l’y attendent de pied ferme. Le convoi se déporte et s’arrête au milieu des épineux. C’est alors que la France entre en jeu. Un hélicoptère des forces spéciales est envoyé sur les lieux. L’appareil exfiltre Compaoré et trois de ses proches, héliportés vers l’aérodrome de Fada N’Gourma, à une centaine de kilomètres à l’est, où les attend un avion français venu de Côte d’Ivoire. Le groupe embarque à son bord et décolle en direction de Yamoussoukro.
Quelques jours plus tard, au cours d’une réunion en petit comité, l’ambassadeur de France, Gilles Thibault (aujourd’hui en poste au Cameroun), affirme avoir pris « la bonne décision » en exfiltrant Compaoré. « Je ne voulais pas que l’on revive ce qui s’est passé en 1987 », dit-il en référence à la prise de pouvoir de Compaoré après l’assassinat du leader de la révolution, Thomas Sankara. « On a donné un signal sur le continent : on aidera tous ceux qui quitteront le pouvoir », ajoute-t-il. Mais à Ouagadougou, le signal perçu a la résonance de l’impunité. « Pourquoi la France a-t-elle aidé Blaise à fuir ? Pourquoi nous avoir ôté la possibilité de l’arrêter et de le juger pour ses crimes ? », dénonce alors un acteur de la société civile en pointe dans le combat contre Compaoré. Aujourd’hui encore, la frustration demeure. « Peut-être que sans cette intervention, Compaoré serait en prison aujourd’hui et devrait répondre aux questions des juges », souffle un proche de l’actuel président, Roch Marc Christian Kaboré.
Au lieu de cela, l’ancien chef de l’État passe des jours tranquilles en Côte d’Ivoire, en compagnie de son épouse et de ses proches. Logé à Cocody, le quartier huppé d’Abidjan, dans une villa gracieusement prêtée par l’inamovible ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko, il reçoit régulièrement la visite des principaux acteurs de la scène politique ivoirienne, à commencer par son protégé, Guillaume Soro, ancien rebelle (que Compaoré a façonné et soutenu au début des années 2000) devenu président de l’Assemblée nationale. Il lui arrive aussi de se rendre dans la station balnéaire d’Assinie, où son ami, le président Alassane Ouattara, l’accueille volontiers dans sa propre résidence.
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