Le 18 novembre 2014, alors que la résistance au Président Michel Martelly se faisait inquiétante, son beau-frère, complice et gifleur émérite de ministres, rejoignait une manifestation anti-gouvernementale pour exiger la démission du Premier ministre Laurent Lamothe. Le schisme entre Martelly et son ancien patron et ami était presque consommé. Les problèmes entre les deux hommes étaient de plus en plus insurmontables. La première dame, Sophia Saint-Rémy Martelly, était réputée fatiguée de voir Lamothe durer aussi longtemps et pressée de le remplacer par quelqu’un qui serait redevable au couple et non l’inverse. Que son frère appelle publiquement à la démission du premier ministre était tout sauf fortuit. Moins d’un mois plus tard, au 14 décembre 2021, Laurent Lamothe démissionnait de son poste avec, comme c’est la coutume, le sentiment du devoir accompli.
Si c’est cela qui peut vraiment débloquer la crise politique, j’ai décidé de remettre au président (Michel) Martelly ma démission à la tête du gouvernement, ainsi que la démission de tous les ministres … Je quitte le poste de Premier ministre avec le sentiment du devoir accompli. Nous avons engagé ce pays dans une dynamique de mutations profondes et de changements réels au bénéfice de la population … nous espérons de tout cœur que le travail remarquable de mon gouvernement ne sera pas gâché et que d’autres grandes réalisations sont à venir pour notre pays par le prochain Premier ministre.
LAURENT LAMOTHE, CITÉ PAR LE POINT. 14 DÉCEMBRE 2014
Le Président Martelly accepta cette démission de son premier ministre en « reconnais[sant] cette position qu’il prend pour aider à trouver une issue à la crise » et en le « félicit[ant] pour son courage et sa détermination à aider Haïti ». On l’excusera du peu. Son beau-frère s’était montré infiniment moins convenu, accusant Lamothe, entre autres atrocités, d’« instrumentalise[r] la justice » et de neutraliser des « compétiteurs », des « opérateurs », des « militants ». En guise de réponse, le Premier ministre se contenta d’un tweet visé:
Nous prônons la liberté et l’indépendance du pouvoir judiciaire. C’est indispensable pour la démocratie. La lutte contre la criminalité continue.
TWEET DU PREMIER MINISTRE REPRIS PAR LE NOUVELLISTE. 19 NOVEMBRE 2014.
Le beau-frère du président plaidait un peu sa propre cause. Il devait être auditionné comme témoin dans l’instruction du dossier de Woodly Ethéart – nom de guerre, Sonson Lafamilia – de Baz Galil, le gang du malheureux Clifford. Fait kidnappeur à l’insu de son plein gré, Clifford Brandt aurait offert une liste des chefs de Baz Galil dont il ne serait « que » le numéro 5. Monsieur Saint-Rémy en aurait été le numéro 2 avec un Handal – pas le Samir suspecté magnicide mais Stanley, arrêté puis relâché dans le cadre de instruction sur l’enlèvement de sa mère en 2005 – à la première place. Pierre Espérance du Réseau National de Défense des Droits de l’Homme, jamais avare de révélations, n’y alla pas avec le dos de la cuiller.
Kiko St-Rémy symbolise le secteur mafieux en Haïti … L’arrestation la semaine dernière du commissaire Télémaque constitue la dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il craint que l’ex-haut gradé de la police puisse livrer des informations susceptibles de le faire tomber dans les filets de la justice.
PIERRE ESPÉRANCE, CITÉ PAR LE NOUVELLISTE. 20 NOVEMBRE 2014
Mais les enjeux étaient plus importants encore. À la fin de l’année 2014, il s’agissait de s’assurer que la personne qui – courtoisie de l’une des dispositions les plus dangereusement stupides de la Constitution de 1987 – devrait tenir au chaud la chaise bourrée en attendant le second mandat de Martelly ne soit pas Lamothe. Il fallait donc forcer celui-ci à la démission et s’assurer qu’il ne reçoive jamais la décharge nécessaire pour se porter candidat à la présidence.
Au final, c’est un egare présumé, choisi pour sa ressemblance avec le paysan haïtien, un fauxpreneur à qui l’on créera une image de Seigneur de la Banane – qui sera le dauphin du roi bouffon. Un dauphin qui, selon les rumeurs, avait décidé de donner son soutien à Lamothe pour lui succéder, au grand dam de celui qui l’avait fait Président, allant jusqu’à lui accorder la précieuse décharge, le 5 juillet 2021 – soit moins de deux jours avant sa mort brutale. Visiblement, Jovenel Moïse avait oublié que – comme le souligne Sophia Martelly, cité par le New York Times – il n’était qu’une « propriété ». Pire, voilà que, de nouveau, l’on s’apprêtait, de nouveau, à juger Sonson Lafamilia – qui avait bénéficié d’un jugement particulièrement favorable post-Lamothe avant de le voir cassé par la Cour de Cassation suite à un appel du Ministère public. À cela, il faudrait ajouter cette fameuse liste de puissants politiciens et d’entrepreneurs impliqués dans le trafic de drogue en Haïti.
Jovenel Moïse n’a pas survécu pas à autant de « trahisons ». En apprenant son assassinat, Lamothe, dit-on, pleura.
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