Jusqu’à tout récemment, il était entendu qu’un intellectuel luttait contre les injustices. Voltaire défendit Calas en risquant gros, car à l’époque l’intellectuel prenait beaucoup plus de risques qu’aujourd’hui. Diderot fut emprisonné à Vincennes pour ses écrits; Rousseau dut fuir Paris; Hugo s’exila de France et l’appartement de Sartre fut plastiqué à Saint-Germain-des-Prés dans les années 60.
Et puis tout changea brusquement avec la chute du communisme. Un intellectuel américain, qui se croyait malin, décréta tout de go la fin de l’Histoire, comme si l’Histoire pouvait avoir une fin, en convoquant le vieux Hegel, lequel n’en demandait pas tant. Hélas, l’Histoire reprit de plus bel son cours sanglant avec le 11 Septembre, la guerre d’Irak, le fanatisme religieux… Les faux intellectuels qui, au beau temps du communisme, saupoudraient tous leurs textes du mot peuple, dans le but de jouir des avantages de l’Union soviétique, virèrent sans honte à droite sans crier gare.
J’ai écrit une nouvelle à ce sujet, La Chute du Mur, dans Kafka m’a dit, où je campe un type d’intello haïtien, naguère stalinien et qui du jour au lendemain renie son appartenance au Parti communiste pour devenir un petit-bourgeois dans la pire acception du terme. Non pas que ce soit un mal de n’être plus stalinien, bien au contraire, mais ces stals auraient pu changer sans pour autant devenir réacs.
Je me rappelle m’être fait traiter de tous les noms à Paris dans les années 60, par un soi-disant léniniste qui s’empressa peu de temps après, toute honte bue, d’aller bosser pour Duvalier. De Lénine au fils de l’autre, sans transition, une vraie prouesse. Je me souviens aussi, mais la liste est trop longue, d’un maoïste devenu consul de François Duvalier et à qui je demandai comment il pouvait négocier un tel virage sans se casser la gueule. Il se contenta de sourire d’un air crispé.
Dans un pays tel qu’Haïti, gangrené par des préjugés depuis 1804, il me paraît inconcevable que l’on puisse être insensible à la misère humaine et qu’on se bouche les yeux devant le racisme et l’exclusion dont souffrent ceux que Victor Hugo appelait les misérables.
Et c’est pour cela que des hommes comme Jacques Roumain et Jacques Stephen Alexis, hommes de gauche, doivent servir de modèles. Ils donnent l’exemple d’écrivains privilégiés qui n’oublièrent à aucun moment qu’il y a un peuple laissé seul à lui-même. Idéalement, tous les intellectuels auraient dû être sensibles comme eux à la misère du peuple, mais c’est le contraire qui a lieu. Les écrivains de nos jours semblent trop friands de prix et d’avantages à Paris, à la différence de leurs deux grands aînés, Roumain et Alexis, celui-ci étant allé jusqu’à donner sa vie pour les plus démunis, tout comme le Che. Mais les nouveaux intellos, comme on disait les nouveaux philosophes (tout aussi réacs), se positionnent carrément à droite, dans un espace où le mot peuple n’a plus sa place. Dieu ! que les temps ont changé !
J’ai même entendu l’un d’entre eux et pas des moindres se vanter de ne jamais aider personne. Diantre ! Seuls comptent donc pour cette caste les avantages que donne Paris, les prix littéraires, les invitations aux émissions de radio et télévision, mais jamais ils n’auront une pensée pour leur peuple, jamais un mot sur le rejet de la majorité souffrante dans une espèce de no man’s land, comme s’il était normal que des humains vivent dans la boue, que leurs enfants meurent de faim et qu’ils souffrent à cause de la couleur de leur peau. Comme on est loin de Roumain et d’Alexis !
En l’an de grâce 2023, nos intellos semblent avoir gommé l’idée même de peuple. Les dirigeants du pays pensent comme eux et se foutent royalement de la souffrance de l’immense majorité des Haïtiens. Lorsque Thomas Piketty, économiste français, déclara que la France devait rembourser à Haïti la dette de l’Indépendance, un écrivain haïtien déclara sans broncher que la France ne devait rien à Haïti.
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LES INTELLECTUELS HAÏTIENS ET LE PEUPLE - Par Gary Klang - Le Monde du Sud// Elsie news
Jusqu'à tout récemment, il était entendu qu'un intellectuel luttait contre les injustices. Voltaire défendit Calas en risquant gros, car à l'époque l'intellectuel prenait beaucoup plus de ris...
https://www.elsie.news/2023/06/les-intellectuels-haitiens-et-le-peuple-par-gary-klang.html
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