« Document de cadrage sur la question constitutionnelle », nouvelle tentative frauduleuse du PHTK néo-duvaliériste de démantibuler la Constitution haïtienne de 1987
Par Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Montréal, le 19 décembre 2024
En Haïti, le rituel apparemment erratique et déstructuré des tentatives de « réforme » constitutionnelle est devenu un sport à géométrie variable, une sorte de gaguère de haute fréquence où les paris sont lucratifs si l’on est du bon côté de l’Histoire… Ce festif rituel est financièrement rentable pour les politiciens de tout acabit comme pour les preux chevaliers, « experts » constitutionnalistes autoproclamés qui se bousculent d’une saison constitutionnelle à l’autre. Sous le ciel hâbleur d’Haïti, ce rituel est chronique, il a son clergé, ses réseaux, son catéchisme, ses projets pilotes et, surtout ses mentors empressés : quelques rares bailleurs de fonds de l’International dispensateurs discrets de « conseils avisés » et de généreuses enveloppes financières qui habituellement s’évaporent sans laisser de traces… Tous, ils entonnent en chœur le refrain élimé de la « réforme » constitutionnelle couplé à celui d’« élections »/seleksyon qui doivent être « libres et transparentes » car elles constituent, semble-t-il, la seule voie de la résolution des maux centenaires de la République d’Haïti…
Et voici que récemment les « conseils » avisés de quelques remarquables « experts » internationaux se sont mis à pleuvoir dru d’un ciel pourtant déjà orageux. Oyez plutôt :
« (…) le sort du CPT [le Conseil présidentiel de transition] et l’architecture de gouvernance de transition dépendront de sa capacité à atteindre au moins une courte liste d’objectifs. Au-delà de la condition sine qua non de la sécurité au niveau des rues, cela comprend : une réforme constitutionnelle et un référendum ; des élections nationales ; et des politiques qui dynamisent l’économie et répondent à la crise humanitaire » (voir l’article de Georges Fauriol, « Quatre questions qui pourraient déterminer l’avenir d’Haïti », United States Institute of Peace, 21 novembre 2024).
Et voici que récemment l’ONU elle-même a récidivé et entonné à son tour le mantra fabuleux d’un petit catéchisme bien rodé, celui des recettes « démocratiques » qui sous d’autres cieux ont mobilisé tant de bataillons de myopes et d’unijambistes : ils attendent encore, mutiques, LE miracle de la démocratie salvatrice sans savoir que l’ONU ne loge plus à la Rue des Miracles… Qu’à cela ne tienne, la plus récente succursale de l’ONU en Haïti, le BINUH, a conservé pieusement dans ses dossiers poussiéreux LA recette par laquelle Haïti verra enfin en 2024, 2025, 2026, 2030 ou 2050, le bout du tunnel. La « brillante théorisation » de LA recette du BINUH doit être lue avec la meilleure attention car elle pourrait être à l’origine de l’attribution du Prix Nobel de l’analyse politique à l’ONU : nous la citons longuement car elle est fort éclairante et elle permettra de mieux comprendre et de mettre en perspective le nouvel épisode de la saga constitutionnelle récemment inaugurée en Haïti par le « Groupe de travail sur la Constitution » mis en place par le « Comité de pilotage de la Conférence nationale » en vertu du décret du 17 juillet 2024 et avec la surprenante ( ? ) bénédiction du CPT, le Conseil présidentiel de transition…
La remarquable prose du BINUH s’énonce comme suit :
« C’est dans ce contexte, aggravé par l’impact de la pandémie de la COVID-19, qu’a repris, avec une intensité renouvelée ces dernières semaines, la polémique autour de la durée du mandat des élus. Cette controverse trouve son origine, entre autres, dans lesambiguïtés d’une constitution qui, produit de son époque, peine à refléter la réalité et les besoins d’un pays qui a évolué au cours des trois dernières décennies. Elle reflète également l’absence d’un conseil constitutionnel, seul apte à arbitrer de tels débats ; une illustration parmi d’autres des nombreux dysfonctionnements institutionnels qui paralysent l’action de l’État et le fragilisent davantage, avec de lourdes conséquences sur tous les aspects de la gouvernance du pays.
(…)
« Si le BINUH n’a aucunement vocation à se substituer aux institutions nationales dans l’interprétation de la Constitution, il considère toutefois que, dans un régime démocratique, les élections représentent la seule voie d’alternance au pouvoir et que les mandats qui en découlent doivent être respectés par tous les acteurs de la société. L’organisation périodique d’élections libres, crédibles et transparentes, conformément aux échéances fixées par une constitution, garantissent le pluralisme politique et les libertés fondamentales consacrés dans les instruments internationaux ratifiées par Haïti. Leur tenue constitue un pilier essentiel de la démocratie et est indispensable à la désignation de dirigeants légitimes et représentatifs.
(…)
« Malgré ses effets néfastes sur l’ensemble de la vie nationale, la crise actuelle offre au pays une opportunité unique d’initier un cercle vertueux en rebâtissant des fondations solides et durables et en s’attaquant à l’un des nœuds gordiens qui entravent la marche en avant du pays. Une réforme constitutionnelle profonde permettrait de remédier aux défaillances du système de gouvernance actuel et de créer des conditions plus propices à la stabilité institutionnelle, à la bonne gouvernance, et au respect de l’État de droit ; trois caractéristiques plus que jamais indispensables à l’essor du pays. Alors que des interprétations différentes du dispositif constitutionnel alimentent le débat, la nécessité d’une réforme de la charte constitutionnelle fait l’objet d’un large consensus au sein de la société haïtienne. Il appartient donc aux différents acteurs de surmonter leurs différends afin de parvenir à un terrain d’entente permettant de la réaliser. Haïti a besoin que toutes ses forces vives soient fédérées pour le bien du pays et de sa population, et que les prochaines élections soient caractérisées par une participation active et responsable de tous. Les Nations Unies en Haïti renouvellent leur engagement pour la promotion de concertations consensuelles tendant à l’accomplissement d’un cadre constitutionnel rénové, partagé et fédérateur. Nous nous tenons prêts à appuyer les institutions nationales et les différents acteurs dans l’organisation d’élections crédibles, transparentes et inclusives, contribuant à un retour à la normalité institutionnelle dans un climat apaisé » (source : « La réforme constitutionnelle - Une opportunité pour relancer le pays », site du BINUH, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti, 15 juin 2020).
C’est donc dans un tel environnement et sous le ciel anxieux d’Haïti que deux instances nationales se sont mises à la manœuvre pour écrire le nouveau chapitre de la corrida constitutionnelle haïtienne. Ces instances nationales sont la « Conférence nationale » et le « Groupe de travail sur la Constitution », qui acheminent depuis quelques jours à divers organismes de la société civile haïtienne un « Document de cadrage sur la question constitutionnelle ». La lettre de couverture accompagnant ce document mentionne explicitement l’objectif politique de la « Conférence nationale » et du « Groupe de travail sur la Constitution » : « Mis en place par le Comité de pilotage de la Conférence nationale, en vertu du décret du 17 juillet 2024, le Groupe de travail sur la Constitution (GTC) a pour mission de proposer unerévision constitutionnelle qui tiendra compte de l’avis des forces vives du pays notamment les éducateurs et professeurs d’Université ». À la page 6 du « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », il est précisé ce qui suit : « À la fin de la transition, l’ambition de cet effort est de remettre un grand livre comprenant une nouvelle Constitution, un ensemble de lois pour l’accompagner et une vision d’avenir pour Haïti ».
Vaste programme, on l’aura compris : en un temps record, la fière Haïti sera dotée d’« un grand livre comprenant une nouvelle Constitution [et] un ensemble de lois pour l’accompagner ». Par contre, rien n’indique, dans la lettre de couverture accompagnant le « Document de cadrage sur la question constitutionnelle », que les descendants des Pères de la Patrie recevront --en même temps que la majorité des locuteurs unilingues créolophones du pays--, de si exceptionnels documents rédigés dans leur langue maternelle et usuelle, le créole… Car les documents en provenance du Groupe de travail sur la Constitution sont rédigés uniquement en français et le service de traduction du Groupe de travail sur la Constitution semble avoir été placé en coma artificiel dans ses locaux situés Rue des Pas perdus, à l’angle du Boulevard des illusions… Qu’à cela ne tienne, le Groupe de travail sur la Constitution ne s’embarrasse pas des prescrits de la Constitution de 1987 qui pourtant est toujours en vigueur : il viole sans états d’âme les articles 5 et 40 de notre Charte fondamentale alors même qu’il prétend instituer un État de droit qui sera administré sous le régime d’« un ensemble de lois »…
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Le PHTK néo-duvaliériste démantibule la Constitution haïtienne de 1987.
Examen de la nouvelle tentative frauduleuse du PHTK néo-duvaliériste de démantibuler la Constitution haïtienne de 1987.
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