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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Pauvre Élite (un texte daté du 19 novembre 1902)

Publié par Elsie HAAS sur 16 Juillet 2009, 09:36am

Catégories : #L.PEAN chronique

Ce document m'a été transmis par Leslie Péan.

Pauvre Élite
 
Page retrouvée
 
L’article qui suit a été publié dans le journal Le Soir du 19 novembre 1902. L’auteur de cette analyse a utilisé le pseudonyme, Falstaff.
 
« Plus un Haïtien est instruit, plus, suivant l’opinion courante, il est impropre à l’exercice du pouvoir.(1)  Gouverner tout un peuple est chose si facile que chacun y peut prétendre…excepté ceux qui, poussés par nous ne savons quels préjugés ridicules, ont cru que c’était là une science exigeant de longues études, une observation minutieuse des phénomènes sociaux et plus simplement la connaissance des règles de gouvernement et d’administration adoptées dans tous les pays. N’est-il pas bien entendu, une fois pour toutes, que Haïti est un pays EXCEPTIONNEL?  (2)
 
« Résignons-nous donc à admettre que rien ne doit se faire ici comme il se ferait ailleurs ; que par conséquent, puisque chez les autres nations l’intelligence est recherchée, il est logique qu’elle soit ravalée en Haïti et qu’elle y devienne même l’une sorte de cible aux propos méprisants des ignorants, que l’exceptionnalité  (3) du pays place par droit d’ignorance, au haut de l’échelle.. Bien heureux encore, quand pour les hommes instruits, leur instruction ne les désigne aux balles des défenses de « l’ordre ».
 
« On ne va pas pourtant jusqu’à prétendre que chacun est capable de confectionner un pantalon d’une coupe parfaite et des chaussures irréprochables : on admet bien que l’art du tailleur et  celui du cordonnier s’apprennent. Mais l’art de diriger une nation ? Allons donc ! nous en sommes tous capables…, à l’exception de ceux qui ont lu dans les livres. « Que faut-il pour être chef d’Etat haïtien ? Comme on posait une fois cette question à Mesmin Lavaud, qui était un sceptique doublé d’un ironiste, il répondu :- Savoir monter à cheval. « Voila toute la science. Il n’en faut pas d’autre. Et puis, comme disait un vieillard de ma connaissance : ce ne sont pas les hommes instruits qui ont fait l’indépendance ! […]
 
« Vous essayez une objection : - Il faudrait pourtant autre chose que de savoir « monter à cheval » pour administrer un peuple. Les finances, l’enseignement, les travaux publics, la confection des lois et leur application, les affaires étrangères, cela exige…quelques connaissances qui n’ont aucun rapport avec les « aux champs ». - C’est peut-être vrai ce que vous dites là. Mais ne savez-vous pas que Haïti est un pays exceptionnel ! » Où la farce tourne au tragique (ou bien l’inverse), c’est que nous avons aussi notre élite, mais elle « tend elle-même à rendre son action presque nulle par ses divisions et par ses rivalités. Elle reste silencieuse ou pleurniche (en secret) quand les despotes ignorants posent leur main lourde et brutale sur le pays et violentent la conscience nationale. Mais que l’un de ses membres essaye de réaliser quelque bien, la voilà qui se divise en trois, quatre camps, et qui tombe comme une meute de chiens enragés sur le malheureux. « Les hommes instruits de ce pays se jalousent : le succès de l’un est considéré par les autres comme un insuccès personnel. « Pourquoi lui et non moi ? » Et alors on fait tout pour l’empêcher d’arriver.
 
On préfère l’égalité humiliante…sous l’autorité d’un ignorant, à l’élévation de l’un des siens. « Cela se voit quotidiennement. Un ministère arrive aux affaires : il est composé d’hommes capables et pleins des meilleures intentions. Aussitôt des journaux surgissent de partout. Un vent d’honnêteté souffle sur tout le peuple. Chacun veut contrôler. Et le pauvre ministère tombe bientôt sous les attaques virulentes d’une presse qui ne plaisante pas. (4)  « Alors arrivent au pouvoir des gens qui n’ont d’autre souci que de se remplir les poches et qui, à la moindre critique, répondent par l’emprisonnement et par des mesures plus brutales encore. Tout le monde se tait. On recommence à se lamenter silencieusement - en attendant la venue de quelques ministres honnêtes, auxquels on fera sentir le poids d’une indépendance d’autant plus farouche, qu’elle a été plus longtemps comprimée.
 
Nous avons de loin en loin de ces crises de « pharisaïsme aigu ». «Nous n’avons encore parlé que de cette partie de l’élite qui – malgré ses erreurs et ses rivalités – est attachée au bien. Mais qu’ils sont nombreux, ceux qui se mettent avec les despotes, les incapables, parce qu’ils savent que près d’eux on peut mieux faire ses « affaires » ! Ceux-là ont perdu tout sentiment de dignité, ils oublient tous les principes d’honneur auxquels ils devraient rester attachés comme « l’ongle au doigt », suivant la forte expression biblique, et leur intelligence ne leur sert qu’à masquer habilement leur jeu et se bien faire voir de ceux qu’ils flattent. « Voilà l’élite haïtienne ! »
Et voilà l’une des explications de la déroute répétée chez nous, de l’intelligence. »

  1- Allusion à La Tribune populaire du 27 juin, qui reprenant les divers reproches faits à Anténor Firmin par ses ennemis politiques, notait celui-ci : «M. Firmin est à ce point instruit, qu’il ne doit pas être président d’Haiti, notre pays étant trop peu avancé pour être gouverné par un tel homme ! »
  2- Mis en évidence dans le texte. L’argument est courant. On dit aujourd’hui : « un pays à part ». Citant un mot de Frédéric Marcelin, notre romancier quelque peu sceptique mais aux convictions libérales certaines, un périodique rétorque : « Il n’y a d’exceptionnel dans le pays, que la façon dont on le gouverne ». (Le Devoir du 1er septembre 1902).
  3- Mis en évidence dans le texte.
  4- Nouvelle allusion à Firmin, qui fut renversé du pouvoir (il était quasiment premier ministre) par suite d’une cabale, sous Sam, en 1897.

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