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Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Haïti Toussaint Louverture, le Napoléon noir

Publié par Elsie HAAS sur 18 Février 2007, 02:36am


Toussaint Louverture prit la tête de la révolte des esclaves et gouverna Saint-Domingue en despote éclairé avant d’être traîtreusement déporté au Fort de Joux.

par Thibaut Kaeser

En 1789, l’île de Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti), surnommée « la perle des Antilles », symbolise la prospérité du premier empire colonial français. Première productrice mondiale de sucre et de café, son éclatante richesse repose cependant sur des bases foncièrement inégalitaires : l’esclavage est le pilier de cet édifice où la couleur de peau conditionne le niveau social. Saint-Domingue est en effet le cadre d’une exploitation structurée depuis l’installation définitive de la France dans la partie occidentale de l’île. Les grands Blancs, nobles ou bourgeois liés au commerce maritime, trônent sur des plantations prospères. D’autres colons, les petits Blancs, sont fonctionnaires royaux, employés modestes ou ouvriers. Puis viennent les mulâtres ou gens de couleur, qui ont obtenu leur liberté et, dynamiques, manifestent des revendications. Finalement, la masse des esclaves noirs dénuée de tout droit est soumise à ses maîtres ; de son sein émerge néanmoins une minorité affranchie qui accède vaille que vaille à un certain niveau social.
C’est à ce dernier groupe social qu’appartient Toussaint Bréda. Né esclave le jour de la fête de tous les saints dans la plantation Bréda au Haut-du-Cap, aux environs de 1743, il est selon la tradition le descendant d’un roi africain du Dahomey (actuel Bénin). Son maître, Baillon de Libertat, en fait son cocher personnel et son homme de confiance, et lui donne sa liberté à l’âge de 33 ans.

Possesseur d’une ferme d’une vingtaine d’hectares et d’une main-d’oeuvre asservie, Toussaint mène alors la vie d’un petit colon attaché à son lopin de terre. Catholique dévot, sachant un peu lire et écrire, il possède des connaissances en matière de plantes médicinales et, à force de travail, accumule un pécule confortable. Il est un homme respecté du système colonial, qu’il connaît de fond en comble. Paisible, voire secret, il n’a l’air de rien au vu de son physique disgracieux mais n’en a pas moins ses idées et observe le cours des événements.

Les bouleversements de 1789 mettent la colonie en émoi. Les grands Blancs, qui estiment que le régime de l’Exclusif bride leurs droits et surtout leurs affaires, sont tentés par la sécession avec une métropole instable. Ils créent l’assemblée locale de Saint-Marc (mars 1790) aux prérogatives supérieures au Gouverneur général (représentant du Roi), qui la disperse à la fin de l’été. L’atmosphère se pourrit à mesure qu’elle se complique. La colonie se divise sur son régime, son avenir et le sort des esclaves (abolition exclue ou progressive ?).

Dans ce contexte, les gens de couleur réclament l’égalité. Vincent Ogé, un de leurs porte-parole, mène un soulèvement prématuré. Après maintes hésitations, Paris donne l’égalité aux gens de couleur nés de parents libres. Ce n’est pas assez. L’agitation se poursuit. Et les esclaves regardent ces luttes de loin, non sans arrière-pensées.

Dans la nuit du 22 août 1791, dans la clairière du Bois-Caïman, des esclaves conduits par Boukman, Jean-François et Biassou appellent à la révolte au cours d’une cérémonie vaudoue. Des plantations sont saccagées. Le mouvement se répand comme une traînée de poudre. Afin de calmer ce soulèvement - premier acte d’une révolution qui s’ignore -, la Convention de Paris décrète l’égalité de tous les libres en avril 1792. Arrivés à l’automne, les commissaires civils Sonthonax et Polverel s’allient aux mulâtres et aux loyalistes. Ils emportent des succès sans stopper la révolte, tandis que l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793 pousse le gouverneur royaliste à s’allier aux grands Blancs les plus rétrogrades. La colonie implose dans la confusion.

Les valeurs républicaines doivent s’imposer sous peine de mourir dans les Caraïbes. Acculé, Sonthonax se rallie les foules en abolissant complètement l’esclavage le 29 août 1793. Les affranchis se tournent désormais vers la France.

Prudent et âgé (il a presque 50 ans), Toussaint rallie les esclaves révoltés en novembre 1791. Il devient l’aide de camp de Biassou, puis rejoint les troupes espagnoles qui appuient les Noirs par pure stratégie. A la guerre, il acquiert le surnom de Louverture en raison des brèches qu’il ouvre dans le camp ennemi. Nommé colonel, il bénéficie d’une autonomie d’action en étant placé sous les ordres du seul marquis d’Hermonas, le gouverneur espagnol.
Mais une fois l’esclavage aboli, il se rallie à la France et refoule en quelques mois l’Espagne. Promu général de division en août 1796, puis commandant en chef de l’armée de Saint-Domingue en mai 1797, il continue la lutte contre l’Angleterre et libère définitivement l’île en août 1798. Son ascension fulgurante lui permet de dominer la scène politique intérieure. En effet, de 1794 à 1798, Toussaint Louverture incarne progressivement une forme de pouvoir noir autonome associé de facto à une France lointaine, retenue par les guerres européennes. Tordant la loi au besoin, amadouant les représentants royaux, il les surpasse puis les renvoie successivement en France : il termine gouverneur général de Saint-Domingue. Seuls les mulâtres, regroupés sous la conduite de Rigaud, contestent sa mainmise ; ils seront vaincus suite à une cruelle guerre civile d’une année. Puis, Toussaint envahit la partie espagnole de l’île et y laisse un représentant. En 1801, il est le seul maître à bord.

Au fil de ses victoires, il instaure un cadre juridique et politique conforme à ses voeux. Homme d’Ancien Régime, dont il admire la culture et l’apparat, Toussaint Louverture, qui est autant un Spartacus noir qu’un despote éclairé, exprime une vision sociale autoritaire. Il maintient les structures de l’Ancien Régime mais les vide de l’esclavage, pensant que ce système peut assurer la prospérité de l’île tout en donnant aux Noirs le pouvoir - qui reste son but. En outre, il s’assure du soutien, certes fluctuant au gré des événements, des diverses populations de la colonie afin de maîtriser la stabilité d’un édifice qu’il sait fragile. Entouré en majorité de conseillers blancs, flattant les anciens maîtres de l’île et peu disposé à l’égard des mulâtres, Toussaint Louverture mène une politique d’équilibre délicate. L’unité, la paix et la prospérité relative de Saint-Domingue tiennent grâce à sa poigne, véritable main de fer dans un gant de velours, au besoin ensanglantée. Si certains anciens esclaves supportent mal leur maintien sur les lieux de leur ancien travail, il les mate, y compris si son propre neveu Moïse les dirige. On l’accuse d’être un tyran, on le jalouse beaucoup, on complote. Sa chute ne viendra pourtant pas des dissensions internes à l’île.

Après avoir promulgué une constitution autonomiste lui donnant les pleins pouvoirs à vie (8 juillet 1801), Toussaint Louverture demande à Paris d’avaliser cette mesure, qui équivaut à une indépendance déguisée dans un cadre français. Bonaparte ne l’accepte pas. Une expédition militaire forte de 20 000 hommes commandée par son beau-frère, le général Leclerc, est envoyée avec pour mission de rétablir l’autorité française sur cette île qui lui échappe - et avec comme instruction secrète le rétablissement de l’esclavage. Saint-Domingue sait à quoi s’attendre. Toussaint Louverture lance alors une politique de terre brûlée, une guerre d’usure, véritable guérilla tropicale usant les troupes françaises, malades, qui ne tiennent que la côte. C’est une campagne sans pitié, pleine d’atrocités.

Mais Toussaint Louverture est un homme âgé. Ses généraux sont amadoués, font défection. Il se retrouve seul. Il accepte de se rendre à condition de pouvoir retourner sur ses terres. On le lui promet. Il le croit à peine, dit-on ; il est trop intelligent pour se leurrer. Le 7 juin 1802, traîtreusement arrêté, il déclare : « En me renversant, on n’a abattu que le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs. Il repoussera par les racines, car elles sont profondes et nombreuses.  » Emprisonné au Fort de Joux, dans le Jura français, Toussaint Louverture y meurt de maladie le 7 avril 1803. Durant sa captivité, ses missives envoyées à celui qui est devenu Napoléon restèrent lettre morte. Le Premier des Blancs ne répondit jamais au Premier des Noirs. A tort, car après Toussaint Louverture, Saint-Domingue ne fut plus jamais française.
******

Guerres de succession en Haïti Hormis les révoltes d’esclaves à Saint-Domingue (notamment Macandal en 1757-1758), grossies par le marronage (la fuite et le regroupement d’esclaves dans la nature), des voix s’élèvent en France pour protester contre « l’institution particulière », plus connue sous le nom d’esclavage. Le siècle des Lumières favorise cette critique et l’atmosphère pré-révolutionnaire voit la naissance de la Société des Amis des Noirs, animée par Brissot, Mirabeau, Condorcet, La Fayette et l’abbé Grégoire en 1788. Si son action pèse peu sur les événements qui agitent les Antilles françaises, elle sensibilise néanmoins l’opinion à l’infamie de l’esclavage et pave la voie à son abolition définitive grâce à Victor Schoelcher, en 1848. La chute de Toussaint Louverture entraîne en effet le rétablissement de l’esclavage. Ses généraux poursuivent alors une lutte acharnée et la reconquête française tourne à la guerre d’indépendance. En dépit de certains ralliements, les chefs noirs Christophe et Dessalines et le mulâtre Pétion résistent à Leclerc, qui, mort de la fièvre jaune, est remplacé par Rochambeau. La guerre éprouvante se termine par la défaite de la France lors de la bataille de Vertières (18 novembre 1803). Le 1er janvier 1804, Dessalines proclame l’indépendance. Vidée de ses Blancs dans la tourmente, saignée par la guerre et mille rebondissements, Saint-Domingue est renommée Haïti (son nom amérindien) : elle devient la première république noire de l’histoire. Rapidement en proie aux luttes de pouvoir entre Noirs et mulâtres, Dessalines, son premier président, est assassiné en 1806. Lui succède Christophe, devenu Henri Ier (il inspira une tragédie à l’écrivain martiniquais Aimé Césaire), alors que le Sud est aux mains de Pétion. Mais le roi Christophe se suicide tandis que Pétion accorde son appui à Bolivar - le Libertador vénézuélien qui mène au même moment la lutte contre l’Espagne - en échange de l’abolition de l’esclavage. Son successeur désigné, Boyer, réunifie l’île en envahissant la partie espagnole pour un temps. Mais tout au long du XIXe siècle, l’anarchie succède à la tyrannie dans une lutte continue entre élites noires et mulâtres, ces dernières usant souvent de la politique de « la doublure », qui consiste à mettre au pouvoir un homme fort noir au service de la bourgeoisie de couleur. Même l’occupation nord-américaine (1915-1934), qui semble un temps refaire l’unité contre elle, n’est finalement qu’une parenthèse. Puis, la dictature familiale des Duvalier (« Papa » et « Baby Doc », 1957-1986) invoque le pouvoir noir et le vaudou contre les gens de couleur. La revanche a le parfum de la terreur : elle entraîne le plus grand exode de bras et de cerveaux de l’histoire haïtienne. Le cycle de l’instabilité ne semble pas s’arrêter jusqu’à nos jours. Dès lors, Toussaint Louverture apparaît comme une vieille nostalgie et comme le plus grand homme du pays. Certes autoritaire et discuté, cette figure fascinante avait en tout cas une vision pour son pays que sa mort ne lui permit pas de réaliser.


RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/

Source : Le Courrier (www.lecourrier.ch), Genève, 13 juillet 2006.

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