Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Blog Mediaprt. Orwell : Le Quai de Wigan

Publié par siel sur 27 Mai 2013, 10:33am

Catégories : #CULTURE

.21 juillet 2009 Par dianne

 

En 1937, George Orwell inaugure le roman sans fiction. Il part en reportage dans le pays minier anglais, décor déprimant de terrils où les ravages de la grande industrie lui inspirent une œuvre, à l’époque inclassable, mais dont la pertinence lui fait traverser les décennies sans une ride.

Curieux d’ailleurs qu’elle n’ait pas meilleure « presse » (un comble !) Il est maintenant impossible de la trouver en format de poche alors que d’autres écrits d’Orwell ( 1984, La Ferme des Animaux) sont publiés par différents éditeurs.

.

Se posant en témoin, au plus près des acteurs, puisqu’il partage leur gîte et leur couvert dans une pension de famille sinistre, allant de maison en maison en prenant des notes, il restitue sans fard un quotidien fait du plus extrême dénuement dans cet environnement saccagé par ce qui est la seule source de travail : l’exploitation du charbon.

.

Le fameux quai, à Wigan, est juste un ponton branlant au-dessus d’un canal bourbeux. Va pour l’exotisme et la dérision affichés, mais aussi pour le « sentiment d’un pourrissement absurde et immobile » ressenti.

On serait tenté de sourire à certaines descriptions triviales si le mépris ayant présidé à l’édification de leurs causes n’était pas si abominable : une rangée de douze « maisons » (une pièce au dessus de l’autre) signifie en fait vingt-quatre habitations dos à dos, l’une donnant sur la rue, l’autre sur la cour. Ce qui oblige à faire le tour du pâté de maison pour atteindre les « commodités ». Un détail ? Et si l’on avait obligé les concepteurs de ces taudis à y vivre ? Ceci pour les plus chanceux, car les autres occupent des « parcs à roulottes » où chaque humain dispose pour tout espace vital de l’équivalent d’une « cabine de WC publics. » Ne parlons pas du loyer exigé pour ces tanières....

.

La première partie comporte des descriptions de « l’enfer » que n’aurait pas reniées Zola. La similitude de leur travail d’investigation est frappante. Elle se présente au final comme un hommage aux « cariatides crasseuses », ainsi qu’il surnomme les damnés qui descendent au fond, sur les épaules desquels repose le développement de tout ce qui n’est pas crasseux, justement. « C’est la contrepartie obligée de notre monde d’en haut ».

.

Pas plus fier que ça de n’être là qu’en témoin, il insiste sur les conditions inhumaines d’exploitation : certaines vieilles femmes peuvent encore raconter comment « un harnais autour de la taille et une chaîne passant entre les jambes » elles devaient « tirer des wagonnets chargés de charbon et ne s’arrêtaient même pas quand elles étaient enceintes ». Et de se dire que si le confort de tous, à l’époque plus « moderne » où il écrit, devait en passer encore par là, les mêmes femmes subiraient le même esclavage : « nous préférerions encore voir cela plutôt que d’être privés de charbon ».

.

A quel prix humain, le développement ? La question est toujours d’actualité. Pas tout à fait dans les mêmes termes, mais enfin, on meurt toujours au travail.

.

Et les chômeurs, et les travailleurs pauvres « qui pourraient tout aussi bien l’être aussi « étant donné que le salaire perçu ne saurait en aucun cas permettre de vivre décemment », et l’attribution étriquée des secours publics...

Voilà, on y est. 1937-2009, même constat.

.

La deuxième partie, une fois digéré le témoignage, nous ramène en terrain malheureusement connu. « Rien ne se perd, etc... » ? Voire ! Car les mots d’Orwell ont bel et bien été jetés au vent sans germer nulle part. Sinon comment expliquer que le socialisme soit toujours dans le même état de momification plus de 70 ans après ?

Des passages entiers de son analyse pourraient être lus dans nos quotidiens actuels.

« Avant de se déclarer en connaissance de cause pour ou contre le socialisme, il convient de déterminer si l’état de chose actuel est tolérable ou intolérable, et d’adopter une attitude sans ambiguïté face au problème infiniment complexe qu’est celui de l’appartenance de classe ».

.

Concernant la haine de classe :

« L’idée que les classes laborieuses ont été stupidement chouchoutées, perverties à jamais par les allocations de chômage, les pensions de vieillesse, la gratuité de l’enseignement, et encore largement répandue » : 1937 ou 2007 ?

« Si la haine de classe semble aujourd’hui en baisse, c’est qu’on la voit moins souvent exprimée noir sur blanc, en partie à cause du ton patelin qui prévaut aujourd’hui, en partie parce que les journaux, et même les livres, ont besoin de se ménager les faveurs du monde ouvrier » : 1937 ou 2009 ?

.

« Cela dit, que peut-on attendre du socialisme ? Il est à peine besoin de le répéter, nous nous trouvons en ce moment dans une situation grave, si grave que même les esprits les plus fermés peuvent difficilement feindre de s’en accommoder . Nous vivons dans un monde où personne n’est libre, où presque personne n’est vraiment à l’abri, où il est à peu près impossible de rester honnête si l’on veut simplement continuer à vivre.Une très grande partie de la classe ouvrière [...] ne peut espérer qu’un recul temporaire du chômage quand telle ou telle industrie se voit artificiellement insuffler une vigueur nouvelle grâce, par exemple, au réarmement. Les classes moyennes, pour la première fois dans leur histoire, commencent à sentir passer le vent du boulet. »

.

« Et pendant ce temps, tout être capable de se servir de son cerveau voit bien que le socialisme, en tant que système appliqué sans réticences à l’échelle mondiale, offre une issue à nos maux. Le socialisme nous garantirait au moins de quoi manger même s’il venait à nous priver de tout le reste. En un sens, le socialisme est si conforme au bon sens le plus élémentaire que je m’étonne parfois qu’il n’ait pas déjà triomphé. »

.

« Il devient terriblement urgent de découvrir POURQUOI le socialisme a perdu de son crédit. Il faut en comprendre les raisons c’est à dire se mettre dans la peau de celui qui le refuse. »

« J’instruis un procès destiné à ce type d’individu qui se sent en sympathie avec les buts fondamentaux du socialisme, qui est assez intelligent pour voir que le socialisme peut « marcher », mais qui, en pratique, prend la fuite dès que le mot de socialisme vient à être prononcé. Interrogez une personne de cette sorte et vous obtiendrez très souvent la réponse en forme de pirouette suivante : « Je n’ai rien contre le socialisme mais je suis contre les socialistes ».

.

Suit une analyse des différents modes de perception de ce que recouvre le mot « socialisme » selon la classe à laquelle on appartient. Les distorsions les plus gênantes, génératrices d’incompréhension, de frustration, se situant entre ouvriers et ex-ouvriers, « orateurs professionnels » dont les discours transcendés par la foi militante oublient souvent les réalités de terrain dont ils n’ont plus vraiment à subir les rigueurs.

.

Pour l’un «  sa vision d’un avenir socialiste est une vision de la société actuelle débarrassée de ses abus les plus criants, mais s’organisant autour des mêmes centres d’intérêt qu’aujourd’hui -la famille, le pub, le football et la politique locale. Quant à l’aspect philosophique du marxisme, je n’ai jamais recontré un ouvrier qui y porte la moindre parcelle d’intérêt ». Il ne suffit pas à l’autre « d’être idéologiquement compétent ».

.

Orwell trouve les racines de cette défiance dans les excès du communisme, de sa négation de la part spirituelle en chaque individu, obnubilé par le machinisme et le productivisme : « ils ne se sont jamais attachés à montrer de manière suffisamment nette que le socialisme a pour fins essentielles la justice et la liberté. L’œil rivé sur le fait économique, ils ont toujours agi comme si l’âme n’existait pas chez l’homme et, de manière explicite ou implicite, lu ont proposé comme objectif suprême l’instauration d’une Utopie matérialiste. »

.

Malgré tout « dans un pays dont les ressources s’amenuisent, les « anomalies sociales » se multiplient. Des pans entiers de la classe moyenne se prolétarisent ainsi peu à peu. Mais le point primordial est que les sujets touchés n’adoptent pas pour autant l’allure et les manières de la classe ouvrière. Pourtant « tous ces gens là ont les mêmes intérêts à défendre et les mêmes ennemis à combattre que la classe ouvrière. Tous sont exploités et rudoyés par le même système. Mais combien s’en rendent compte ? Qu’ils viennent à sentir passer le vent du boulet et tous feront bloc avec leurs oppresseurs, contre ceux qui devraient être leurs alliés. Il est très facile d’imaginer une classe moyenne financièrement poussée dans ses dernirers retranchements et n’en demeurant pas moins farouchement hostile à la classe ouvrière : et vous avez là un parti fasciste tout trouvé.

.

Ce n’est que trop clair, le mouvement socialiste doit obtenir, avant qu’il ne soit trop tard, l’assentiment d’une classe moyenne exploitée. Et avant tout il doit se concilier la masse des petits employé qui, s’ils apprenaient à s’organiser, représenteraient une telle force dans le pays. Il est tout aussi clair que dans ce domaine le socialisme a jusqu’à présent échoué. La dernière personne chez qui on peut s’attendre à trouver des opinions révolutionnaires, c’est bien un employé de bureau ou un voyageur de commerce. Pourquoi ? Dans une large mesure en raison de la logomachie prolétarienne dans laquelle se drape la propagande socialiste.

.

Pour symboliser la lutte des classes elle a bâti de toutes pièces un prolétaire mythique, ce grand gaillard musclé en salopette graisseuse foulé aux pieds par l’infâme capitaliste pansu arborant chapeau claque et col de fourrure. Il est tacitement admis qu’entre les deux il n’y a rien. Mais ce « rien » représente un bon quart de la population. Quand vous essayez de secouer leur torpeur en invoquant la lutte des classes, vous ne faites que leur ficher la frousse. Ils oublient leurs misérables salaires, appellent leur bon accent à la rescousse, et se portent aux côtés de la classe qui les exploite. »

.

Lucide, admettant l’avis des sceptiques ou indolents qui disent « Nous sommes mous - eh bien, pour l’amour du ciel, qu’on nous laisse à notre mollesse », il reconnaît aussi sa part de responsabilité dans l’affaire : « Je suis un semi-intellectuel décadent du monde moderne, et j’en mourrais si je n’avais pas mon thé du matin et mon « New statesman » du vendredi. Manifestement je n’ai pas envie de revenir à un mode de vie plus simple, plus dur, plus fruste et probablement fondé sur le travail de la terre.... Mais en un autre sens, plus fondamental, j’ai envie de tout cela et peut-être aussi en même temps d’une civilisation où le « progrès » ne se définirait pas par la création d’un monde douillet à l’usage des petits hommes grassouillets. »

.

Et de conclure

« La seule chose au nom de laquelle nous pouvons combattre ensemble, c’est l’idéal tracé en filigrane par le socialisme : justice et liberté. Mais ce filigrane est presque complètement effacé. Il a été enfoui sous des couches successives de chicaneries doctrinales, de querelles de parti et de « progressisme » mal assimilé, au point de ressembler à un diamant caché sous une montagne d’excréments. La tâche des socialistes est d’aller le chercher où il se trouve pour le mettre à jour. Justice et liberté ! Voilà les mots qui doivent résonner comme un clairon à travers le monde. »

.

Le quai de Wigan, George Orwell

Editions IVREA-Champ Libre (1995)

ISBN 2-85184-133-5

(Il n’existe plus de format poche, le 10*18 n° 3250 étant épuisé)


SOURCES : link


Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents