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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Etre Haïtien et ne pas croire en Dieu. Par Hughes Saint-Fort

Publié par siel sur 25 Août 2012, 11:19am

Catégories : #H.SAINT-FORT chronique

 

 

 

                                          

Comment peut-on être Haïtien et ne croire ni en Dieu ni en la religion, me reprochait récemment une collègue non haïtienne mais francophone jusqu’au bout des ongles et se débrouillant tant bien que mal en kreyòl, la langue interne  (L1) de tous les Haïtiens nés et élevés en Haïti ? Selon ma collègue, les Haïtiens devraient être le dernier groupe ethnique à nier l’existence de Dieu, car leur histoire même témoigne de l’existence de Dieu et, dit-elle, 1804 en est la preuve la plus évidente. C’est Dieu lui-même qui a permis aux Haïtiens de  se libérer de l’esclavage en battant la plus puissante armée de l’époque, l’armée napoléonienne. Tous seuls, dit-elle, les Haïtiens n’auraient jamais pu accomplir cet exploit. Je commençais à me dire que  j’étais en face d’une de ces exaltées, de ces hystériques américains/américaines  (hystériques qui ont poussé également en Haïti depuis les avancées profondes des fondamentalistes chrétiens et autres sectes protestantes au cœur des masses populaires haïtiennes ) prêts à vous enfoncer la « parole de Dieu » au fond du cerveau, que vous le vouliez ou non.  Sur le ton de l’ironie, je lui ai fait remarquer qu’un célèbre pasteur nord-américain a soutenu le contraire au lendemain du 12 janvier 2010, jurant ses grands Dieux que le tremblement de terre de ce jour-là était la conséquence d’un pacte satanique que nos ancêtres avaient passé avec le Diable. 

 

Mais, il y a plus, a continué ma collègue. Je n’ai passé, m’a-t-elle dit, que quelques années dans votre pays qui, quoique défiguré, reste tout de même un beau pays.  Mais, l’étrangère que je suis a constaté que la religion est partout et constitue avec votre langue maternelle, le kreyòl, l’essence même de votre culture. La foi, la croyance dans le sacré, la communion avec les forces de la nature demeurent les éléments qui assurent la régulation du comportement individuel. Comment pouvez-vous rejeter tout cela ?


En fait, ma collègue était en train de généraliser à l’extrême. S’il est vrai que le système de croyances de la majorité des ressortissants haïtiens semble déterminer la cohérence symbolique relative de certaines pratiques religieuses, sociales, politiques ou économiques à l’œuvre dans la société haïtienne,  il n’est pas dit que tout le monde doive se conformer au système de croyances dominant dans le  corps social. Chacun est libre d’accepter ou de rejeter l’existence de cette force transcendantale plus communément connue sous le nom de Dieu dont on dit qu’elle régit et a créé l’univers. En ce qui me concerne, j’ai librement choisi de la rejeter.  


En fait, étant donné l’impossibilité de prouver l’existence ou l’absence de cette force transcendantale, la plupart des athées modernes, du moins en Amérique, se sont résolus à s’attaquer à la partie visible de l’iceberg, la religion. En 2005, un « intellectuel public » américain du nom de Sam Harris publia un ouvrage célèbre intitulé « The End of Faith ». Le livre de Harris a été suivi par le « best-seller » du scientifique britannique Richard Dawkins « The God Delusion » (2006), le tout aussi célèbre livre d’un autre « intellectuel public » lui aussi britannique, mais récemment décédé, Christopher Hitchens : « God is not great. How Religion poisons everything. » (2007) et de l’ouvrage du philosophe américain, Daniel Dennett, « Breaking the Spell: Religion as a Natural Phenomenon » (2006).


Ces quatre auteurs forment le carré de tête de ce qu’on appelle en Amérique le mouvement des « New Atheists » (les Nouveaux Athées). Leur argument fondamental consiste à dire que la religion est fondamentalement mauvaise, qu’elle nous empêche de penser rationnellement, et nous conduit aux formes les plus révoltantes de l’extrémisme religieux. Le sous-titre de l’ouvrage de Christopher Hitchens « How Religion poisons everything » résume bien la position du nouveau mouvement athée.


Un nouveau sondage sorti le 14 août 2012  révèle que le sentiment religieux est sur le déclin aux Etats-Unis pendant que l’athéisme est en train de progresser. Ce sondage appelé « The Global Index of Religiosity and Atheism », a été conduit par WIN-Gallup International et constitué par des  interviews avec 50.000 personnes  provenant  de 57 pays et cinq continents. On avait demandé aux personnes sondées la question suivante:  « Irrespective of whether you attend a place of worship or not, would you say you are a religious person, not a religious person or a convinced atheist? » (Que vous fréquentez ou non un  lieu de culte, pouvez-vous nous dire  si vous vous considérez  une personne religieuse, une personne non religieuse, ou un athée convaincu ?) [ma traduction]. Le nombre d’Américains affirmant qu’ils sont ‘religieux’ est tombé de 73 %  en 2005 (c’était la dernière fois qu’un sondage avait été conduit sur ce sujet) à 60%. En même temps, toujours selon ce sondage,  le nombre d’Américains qui se disent athées  a augmenté  de 1%  à  5%. Pour tous ceux qui connaissent les Etats-Unis et l’obsession des Américains avec « Dieu » et la religion, ce sondage est particulièrement intéressant.  


Il reste à se demander si cette augmentation du nombre des athées est due à ceux qui se déclarent maintenant ouvertement athées ou s’il y a vraiment de nouveaux individus qui deviennent  effectivement  athées. Personnellement, je doute qu’il y ait plus d’Américains qui deviennent athées. En effet, l’Amérique ne peut pas avoir changé si brusquement par rapport à un phénomène  aussi fondamental dans la culture américaine. Mon explication du phénomène tient dans ce que je vois comme la volonté de beaucoup plus de gens qui acceptent de s’identifier comme athées. Le sondage ne nous dit pas cependant de quel milieu social ces nouveaux athées proviennent. Signalons cependant que dans certains pays, musulmans surtout, on peut être tué si on se déclare athée. En Arabie Saoudite, il est illégal, semble-t-il,  de se déclarer athée. Pourtant, le sondage révèle que l’Arabie Saoudite, la Pologne, et la Moldavie sont trois pays qui partagent le même pourcentage d’athéistes avec les Etats-Unis. 


Qu’en est-il en Haïti ? S’il est tout à fait légal de se déclarer athée en Haïti, on risque toutefois  de s’exposer à la réprobation  claire de plusieurs groupes sociaux ou de plusieurs personnes quand on se proclame athée. En effet, un grand nombre d’Haïtiens ne comprend pas qu’on puisse contester l’existence de Dieu car d’après eux, c’est la chose la plus naturelle qui soit. Au moins, ma collègue citée plus haut s’était appuyée sur la notion du sacré inhérent, d’après elle, à la nature de l’histoire d’Haïti, mais pour la grande majorité des Haïtiens, ce n’est pas un tel raisonnement qui prévaut.


Alors, qu’en est-il du déclin de la religion et de la montée de l’athéisme, ainsi que le révèle le sondage que je viens de citer ? Ce n’est pas aujourd’hui que cette thèse circule dans le monde occidental. Le philosophe français Marcel Gauchet  vers la fin du siècle dernier a introduit la thèse du « désenchantement du monde » qu’il a reprise de Max Weber mais  en l’orientant dans une toute nouvelle direction.   Pour Gauchet, le religieux  a fini de réguler le social, du moins en Occident. Il n’y a plus de fonctions sociales fondamentalement réservées au religieux.  Pendant longtemps des chercheurs en sciences sociales ont taché de « retracer le cheminement historique, non de l’athéisme, mais de la prédiction que l’histoire conduirait tout naturellement à la disparition des religions, même sans les efforts des athées militants. » D’après le chercheur Hans Joas,  José Casanova, un sociologue des religions américain, distingue dans la notion de sécularisation si importante dans la discussion sur les rapports entre la  religion et l’Etat, trois acceptions différentes en sciences sociales : premièrement, l’importance décroissante de la religion dans la société, deuxièmement, le retrait de l’espace public de la religion et troisièmement, la libération de certaines parties de la société (comme l’économie, la science, l’art ou la politique) du contrôle direct de la religion. Nous savons que sur ces trois points, la société haïtienne a encore des milliers de kilomètres à parcourir. Y arrivera-t-elle un jour ?

Hugues Saint-Fort


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