Découdre le désastre
suivi de
L’ile anaphore
Poésie par Robert Berrouet-Oriol
Editions Triptyque, Montréal, 2013
Robert Berrouet-Oriol a la poésie dans le sang. Il vit par et pour elle.
Le monde de la poésie lui rend bien cette passion pour un art qui de tout
temps a toujours été d’une exigence maximale. Il suffit pour s’en convaincre
de rappeler les multiples récompenses qui lui ont été attribuées par les
hautes institutions non seulement de son pays d’adoption, le Canada, mais
aussi par la France. En effet, en 2010, il a obtenu le très convoité Prix
de poésie du Livre insulaire à Ouessant, en France.
Dans Découdre le désastre, suivi de L’ile anaphore, sa plus récente
fiction poétique, Berrouet-Oriol nous captive d’abord par le côté majestueux et
le côté somptueux de sa langue. Par définition, le fictionnel est ce qui n’
existe pas, ce qui a été inventé. C’est pourquoi il se déroule le plus
souvent dans des textes narratifs forgés de toutes pièces par des auteurs qui
nous mènent au fil de leur intention. Mais, comment la poésie lyrique
peut-elle constituer de la fiction ? Quel type de rapport avons-nous avec la
fiction ? En fait, tout se passe au niveau de l’œuvre elle-même, de la langue
ou du langage du texte. C’est elle qui nous rattache avec la fiction. Peu
importe la nature du genre littéraire en question, roman, poésie, théâtre,
nouvelle… On comprend dans ce cas la vraie nature de notre commerce avec la
fiction.
La poésie de Berrouet-Oriol nous introduit dans l’univers de la
littérature fictionnelle d’abord par le biais du langage. La poésie est langage, le
langage est poésie. D’où l’importance de la maitrise des pratiques
linguistiques de la littérarité :
Oyez oyez ma langue en rut
à sourdre mortifères failles
cadavéreuses de pile en pile
draine carnaval de mots
contre la matrice bavarde des alphabets
à l’encan halluciné
aux tarlatanes de la scène-séisme
Et que dire de cette strophe dont la splendeur semble se perdre dans un
lointain inconnu pour réapparaitre toujours plus proche et plus vive :
flambée de glaise
mes jets de migrance
artillent muettes raies
majestueuse
lactescente oblation
pour ma leste ardeur à cantiquer feulement
ô salines suintées de haute prosodie
L’absence totale de ponctuation qui est devenue l’une des règles de la
poésie contemporaine se donne libre cours dans la poésie de Berrouet-Oriol et
semble ne gêner nullement l’expression linguistique tout au long du
recueil.
Si Découdre le désastre est entièrement rédigé en vers libre, L’ile
anaphore qui le suit est formé de longs poèmes en prose qui semblent nous plonger
au cœur de la poésie fictionnelle. En voici un passage :
un jour qui ne ressemble à aucun autre jour un dire-à-deux a proféré ses
grêles leurres sans crier gare et la neige amie mal-aimée a recouvert de
tendresse ce dé qui roule vers son destin il n’eut pas lieu rien rien hors l’
extinction de ta voix un détour de page logicielle mène mêmement à l’écho
de toi
Au terme de cette lecture, certains pourraient taxer la poésie de
Berrouet-Oriol d’impénétrable ou d’incompréhensible ou peut-être même d’obscurité.
Pour le premier reproche, il y a certainement matière à discuter. Un texte
peut être impénétrable sans pour autant être incompréhensible car c’est le
propre de la poésie contemporaine de ne pas se laisser « ouvrir »
facilement et de réclamer des « clés ». Quant au reproche d’obscurité, je doute qu’
il puisse tenir le coup. En effet, la poésie est par-dessus tout lumière.
Hugues Saint-Fort
New York, 21 juillet 2013
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