Mes rencontres avec André Pierre, peintre et ougan à la Croix des Bouquets

Publié par siel sur 14 Août 2016, 09:30am

André Pierre 1

Il est assis sous l'arbre dans la cour de son lakou, face au chevalet et peint un tableau de grande dimension.

Son pinceau sans précipitation, avec douceur trace les lignes blanches, mesure l'intensité du vert, du rouge et du bleu.

Et il me parle de la terre, du ciel, des étoiles. Des lwa, des saints, des prophètes de la Bible.

Et des humains, des bêtes et des plantes.

Il me dit - sans avoir jamais entendu parler d'ADN - que nous sommes tous parents, que nous sommes issus de la même matrice.

Il dit aussi que l'agriculture précède la culture: " Sans agriculture pas de culture".

Il est fils de paysans.

Il ne m'a jamais demandé un centime ni pour le filmer, ni pour les lwa.

André Pierre 2

Il ne dit jamais non quand je lui demande d'aller faire un tour dans son hounfort, juste à côté dans la même cour.

J'aime ce lieu.

La grande salle ouverte, façon galerie avec ses poteaux, où se déroulent les cérémonies, est propre, dénudée, sans ornements. Elle respire et se tient prête, attend le moment où elle se remplira d'adeptes. Moment que je n'ai jamais connu.

A côté, une petite salle, celle-ci, intime, dans laquelle se trouve un autel.

L'autel est une longue table rectangulaire qui occupe pratiquement tout l'espace.

Sont posés sur la nappe blanche une quantité d'objets : bouteilles d'alcool et flacons de parfums de luxe made in France, bouquets de fleurs en plastique, bibelots de toutes sortes.

Un nain de jardin se tient droit et fier entre la Notre-Dame de Paris et la Basilique Saint-Pierre.

Ce sont des cadeaux reçus de partout.

Quelle que soit leur valeur, me dit-il, ce sont des témoignages d'amour aux lwa. Ces cadeaux ne sont pas pour moi mais sont adressés à tous les esprits de l'univers.

André Pierre 3

J'ai rencontré André Pierre au moment où je suis allée en Haïti après le départ de Duvalier J-Cl dans le cadre du film "La Ronde des Vodu" que j'ai réalisé à cette époque.

De Duvalier, des maocutes, des mlitaires, André Pierre n'en parlait pas. La seule fois qu'il en a fait allusion, c'était avec cette phrase : "Les morts doivent enterrer les morts et les vivants doivent suivre leur chemin."

Pour moi, peut-être une mauvaise interprétation, cette phrase signifait que le système mortifère devait s'enterrer pour laisser la place aux vivants, à ceux qui allaient faire vivre le pays.

Mais, allez savoir ! Il arrive que l'on entende ce que l'on veut entendre.

André Pierre 4

La dernière fois qu'on s'est vu, je l'ai trouvé, non pas dans la cour mais dans sa chambre. Il se remettait d'une grave maladie.

Néamoins, il a tenu à respecter le rituel et s'est rendu dans la cour, sous l'arbre (je ne me souviens pas de quel arbre), devant son chevalet.

Lui qui n'avait jamais été bien gros était maintenant vraiment maigre. Son corps affaibli, oscillait comme celui d'un enfant qui apprend à marcher. Il m'a annonçé que l'alcool lui était interdit. Et que par conséquent nous ne pouvions pas saluer nos retrouvailles avec un grog.

Comme d'habitude, il a beaucoup parlé du cosmos, des saints chrétiens et des lwa vodou, de la quête du bien et de la lutte contre le mal. Mais, comme je le filmais, et que je m'inquiétais de sa santé en même temps, je n'ai pas porté l'attention que j'aurais due à ces propos.

Cette dernière rencontre a été délicieuse. Nous sommes encore une fois allés dans le hounfor , nous avons visité la chambre de l'autel. Cela a été un moment de pure poésie et d'échanges au-delà des mots. Nous étions tous les deux conscients que nous ne nous reverrions plus.

André Pierre 5

Je n'ai jamais regardé les images filmées ce jour- là.

Les cassettes sont à la maison sur une étagère. Et, il y a de fortes chances qu'elles retournent avec moi à la poussière : " Les vivants doivent suivre leur chemin."

La voix d'André Pierre, sa générosité, sa philosophie me manquent.

Mais j'ai à la maison, sur un mur, un petit tableau qu'il a peint pour moi.

Ce qui fait qu'il me suffit après l'avoir regardé, de fermer les yeux pour revoir le lakou, l'arbre, son chevalet, le hounfor , la lumière sur la nappe blanche de l'autel.

Et... le nain de jardin dont la présence nous faisait rire.

Parce que, ce que j'ai omis de vous dire, c'est qu'André Pierre avait de l'humour. Et qu'il n'hésitait pas à rire de lui-même.