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Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


La TRANSITION par Roland Paret (2)

Publié par Elsie HAAS sur 30 Juin 2009, 09:12am

Catégories : #R.PARET chronique

La Transition (2)
        Comme dit l’autre (Pic de la Mirandole cité par Henri de Lubac), l’homme est une sculpture qui est son propre sculpteur. Les pays sont comme les êtres humains et peuvent être leur propre sculpteur. C’est pour cela que l’histoire de ce pays que vous connaissez, toujours dans cet « encore-déjà » qui le caractérise est, presque toujours, une glaise à qui les donneurs d’ordre, et principalement son président, peuvent donner la forme qu’ils désirent. Ils peuvent du moins essayer. Ils peuvent collaborer avec la nécessité. Ils peuvent courtiser l’histoire qui se fait, et non présenter seulement leurs hommages à une histoire qui fut.

        La ruse du diable, dit-on, est de faire croire qu’il n’existe pas. L’astuce de l’honnêteté, dans ce pays que vous connaissez, est de faire croire qu’elle existe – du moins en politique, dans les hautes sphères de sa politique. On dit aussi, ou plutôt on disait à l’époque, que le communisme est la feinte ultime du capitalisme. Eh bien, dans ce pays que vous connaissez, la ruse ultime de la corruption est l’honnêteté. On met à la tête de ce pays que vous connaissez Qui-vous-savez, dont la réputation d’honnêteté est grande. Puisqu’il est l’honnêteté faite président, eh bien tout ce qui se passe sous sa présidence doit, nécessairement, être honnête. Mais l’honnêteté ne se définit pas de la même façon selon le poste qu’on occupe. Pour des gens comme vous et moi – et quand je dis vous, chers amis lecteurs, c’est une manière de parler, ou plutôt d’écrire, vous l’avez compris – pour des gens comme vous et moi, l’honnêteté, c’est de ne pas voler, de ne pas tuer, de payer ses impôts. Il n’en est pas de même pour un président, homme d’État – ou qui se veut l’être - responsable d’un pays. Un président peut être malhonnête de la malhonnêteté de son entourage. Il peut être criminel de la criminalité de ceux qu’il reçoit, de ceux qu’il emploie, qu’il utilise, dont il s’entoure. Il peut être incompétent de l’incompétence de ceux qu’il engage. Non, Qui-vous-savez, le président de ce pays que vous connaissez, s’entoure, dans la plupart des cas, de gens qui, « dans un pays normal, seraient mis en prison pour corruption ». L’honnêteté, c’est bien remplir le rôle pour lequel on est programmé. C’est peut-être l’occasion de se poser la fameuse question : « Par qui aimeriez-vous être opéré ? Par ce chirurgien honnête mais piètre praticien, ou par cet autre médecin, voleur et assassin mais merveilleux chirurgien ? » On choisit, bien évidemment, d’être opéré par le merveilleux chirurgien assassin et voleur : l’honnêteté, en ce qui le concerne, c’est de bien opérer son patient. Bien entendu, tant mieux s’il est aussi honnête dans les autres mouvances de l’activité humaine. Un ministre des Finances, par exemple, peut très bien voler ; mais qu’il dirige bien l’économie de l’État, qu’il contribue à hausser le niveau de vie de ses concitoyens ! C’est son rôle, et son vol devient presque anecdotique. On n’a que faire d’un président qu’on proclame « honnête » mais qui ne mène pas son pays à des sommets.
        L’intégrité ! Quelle plaisanterie ! Comme si l’intégrité se limitait à la frugalité, se résumait à une vie simple ! Surtout pour un président. Elle ne se limite pas à l’absence, apparente ou réelle, de richesse. L’intégrité, c’est aussi, c’est surtout, pour un dirigeant, l’art de bien s’entourer. Ce n’est pas un homme seul qui doit être intègre, c’est le régime. Les hommes de pouvoir doivent se poser des questions sur leur entourage.  Il ne s’agit pas seulement, après avoir visité la luxueuse villa en construction d’un de ses ministres, de lui dire, facétieux et pince-sans-rire : « Dans un pays normal, on t’aurait arrêté pour vol ! » Ensuite Qui-vous-savez sirote tranquillement le rhum de ce ministre. Il est vrai qu’en dégustant son verre, il détourne la tête et murmure pudiquement : « Cachez cette corruption que je ne saurais voir… » Il ne s’agit pas seulement de montrer ostensiblement sa simplicité, il ne suffit pas d’épingler sur sa poitrine, comme une décoration, l’évidence de sa frugalité. Ce serait trop facile. L’honnêteté d’un président consiste à s’entourer de gens honnêtes, à avoir des idées, à avoir la capacité de rendre ductile la réalité, à savoir se créer des occasions.
        L’intégrité ne consiste pas, pour l’homme de pouvoir, à vouloir « démystifier le Pouvoir ». Le pouvoir est vieux comme l’humanité, vieux comme le vouloir-vivre ensemble des hommes et des femmes, vieux comme la vie, vieux comme l’apparition du mouvement dans l’Univers, vieux comme le Big-bang.  Comme si le Pouvoir pouvait être démystifié ! Comme si on pouvait faire fi de la mystique du Pouvoir ! Le président de ce pays que vous connaissez feint d’ignorer que le Pouvoir, c’est aussi, c’est surtout l’apparence du Pouvoir, son protocole, son rituel et sa liturgie. Ce président feint d’ignorer son « deuxième corps », car le Souverain a deux corps, comme on le sait depuis les Césars, le corps naturel, mortel, et le corps divin (ou politique) qui ne meurt jamais, et quelque chose de ce corps divin se réfugie dans tout chef d’État, le peuple s’en aperçoit bien, qui sait d’instinct ce que les chercheurs savent de science sûre : que le corps naturel du Souverain, du chef de l’État, (du président en ce qui concerne ce pays que vous connaissez), est doublé, si l’on ose dire, d’un corps divin, reflet de la puissance divine, à un point tel que pendant longtemps on s’inquiéta des liens étroits qui existent entre les théories politiques et la pensée théologique : mais ceci est une autre histoire. Qui-vous-savez ne peut donc, en aucun cas, « démystifier le pouvoir » !
        Le président de ce pays que vous connaissez croit que le pouvoir est biodégradable, il croit que le pouvoir est soluble dans la démagogie ! Le président de ce pays que vous connaissez croit qu’il suffit à l’homme de pouvoir, pour dynamiter le pouvoir, de porter une tenue simple, de circuler en manche de chemise, de porter la cravate uniquement « quand le protocole l’exige impérativement, quand on reçoit un homme d’État étranger, par exemple », et de laisser les gens de son entourage exhiber leurs Mercedes, leurs VUS, leur bijoux signés Bulgari, Chaumet ou Jar, présenter leurs maîtresses ou leurs amants entretenus à coup de gros comptes en banques, comme certains très grands bourgeois qui font porter leurs chaînes en or et leurs diamants par leurs domestiques, leur font mettre une riche livrée décorée de parements étincelants alors qu’eux-mêmes reçoivent en robe de chambre. Non, ce n’est pas cela « démystifier le pouvoir » ! Ce n’est pas demain la veille que quelqu’un « démystifiera le Pouvoir » !
        Or, il est « difficile d’administrer les affaires de la Cité ; il n’était en effet pas possible de le faire sans amis, sans partisans fidèles : ces amis et ces partisans fidèles, il n’était ni commode d’en trouver à portée de main, ni possible d’en acquérir de nouveaux ». C’est Platon qui l’écrit : mais Qui-vous-savez n’est pas Platon. Il s’est entouré non d’amis, non de partisans, non d’électeurs qui l’ont porté là où il est, à la présidence de ce pays que vous connaissez – d’ailleurs il se plaît à répéter « qu’il ne doit rien à personne » - il s’est entouré de gens qui, hier encore, quelques semaines avant son élection, réclamaient son arrestation, il s’est entouré de gens qui appartiennent à la clique représentant ce contre quoi, ceux contre qui il avait soi-disant combattu toute sa vie. Il les emploie, ces gens, il les laisse à leurs ambassades comme représentants de ce pays que vous connaissez, il les nomme à des postes clefs, il bat le rappel du ban et de l’arrière-ban de ceux qui représentent ce qu’il considérait il n’y a pas si longtemps – ou du moins il faisait semblant – comme le Mal, de ceux qui avaient battu, torturé, violé, tué ses camarades, il les invite à son investiture, à sa table, il les confirme à leurs postes, il les nomme à d’autres postes et, si nécessaire, il en crée pour eux. Si on doit juger un gouvernement d’après sa moralité, son passé, son « actif et son passif », comme disent les comptables dans leur affreux jargon, il faut avouer que le gouvernement de Qui-vous-savez est un gouvernement de criminels. Quand on lui demande pourquoi il fait appel à ces scélérats, il répond, benoîtement : « Ils sont pragmatiques. » Oui, les criminels sont pragmatiques, on le sait : pragmatiques vis à vis de quoi ? En faveur de quoi, de qui ? Le président de ce  pays que vous connaissez, ne s’embarrasse point de ces nuances. « Ils sont pragmatiques » : cela suffit. On comprend alors la déconvenue des amis de Qui-vous-savez, qui s’étaient battus pour lui, qui l’avaient défendu avec leurs pauvres moyens, leurs misérables moyens – et qui sont d’ailleurs conscients que leur « apport » était tout à fait minime dans la victoire de leur poulain - de voir combien ironique est le regard de ceux qui l’avaient attaqué et qui maintenant se retrouvent aux postes de commande ! Quelle honte ! Quelle pitié ! Mais Qui-vous-savez ne pense qu’en termes de jobs, de « clients » qu’on peut acheter avec un « job ». Bien entendu, l’entourage de Qui-vous-savez n’est pas uniquement composé de criminels ou de voleurs, au contraire il y a au milieu de cette clique des gens de bien, et même très bien ; et ils sont bien plus nombreux qu’on ne le pense : ils n’ont pas, cependant, le moyen d’imprimer leur glyphe sur ce gouvernement dont la tendance générale est colorée surtout par les coquins ; je n’aimerais pas être à leur place.
        Or les amis comme les ennemis ont ceci de commun qu’ils ne sont pas achetables : les ennemis resteront des ennemis malgré les prébendes, ils ne cesseront jamais, en sous-main, de comploter, et les amis resteront les amis parce qu’il est difficile de désaimer, parce que les amis feront toujours partie, quoiqu’on fasse, de sa mythologie personnelle. Mais les amis et les ennemis ont ceci de commun qu’ils sont achetables : « tout le monde a son prix », comme ils disent, et « on ne trahit que ses amis ». C’est ce que pensent les cyniques. Et puis, on peut faire confiance aux amis comme aux ennemis. On connaît cette anecdote à propos de Bobby Fischer, le champion d’échecs : la série des matchs de préparation et d’élimination du championnat du monde battait son plein ; l’équipe soviétique, qui connaissait l’appétit de Fischer pour les pions, avait préparé, pour une partie de Petrossian contre l’Américain, un piège digne de la Compagnie des Jésuites tout entière, un sacrifice de pion, anodin en apparence, mais qui, s’il avait été accepté, aurait conduit Bobby Fischer à la catastrophe ; les seconds de Petrossian avaient calculé que le champion américain allait devoir dépenser au moins une heure de réflexion à trouver la réfutation de ce coup ; or Fischer prit à peine une minute pour décider de refuser le sacrifice ; après la partie, comme on l’analysait, Petrossian fit part à son adversaire de son admiration pour sa rapidité de réflexion : « Pas du tout », répondit Fischer, « pas du tout, j’ai simplement fait confiance à mon ennemi ! » Fischer savait que l’ennemi ne pouvait pas lui faire de cadeau, et Petrossian avait trop de sang-froid et de maîtrise de soi pour commettre une bévue. Alors, comment faire ? Comment se comporter vis à vis des amis et des ennemis puisqu’ils sont tous les deux capables de la même loyauté et des mêmes trahisons ? En faisant appel à l’éthique. En mettant toujours à la base de nos décisions cette « loi morale qui est au fond de nos cœurs ». C’est ce qu’a oublié le président de ce pays. Mais Qui-vous-savez n’est pas Bobby Fischer. Et il n’est pas Kant, il ne voit pas « le ciel étoilé au-dessus de nos têtes », il voit la gadoue des bas-fonds où s’agitent les gens « pragmatiques » de son entourage qu’on peut manipuler grâce aux « jobs », ou plutôt il ne la voit pas, pire : il fait semblant de ne pas la voir.
 (A suivre)

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