L’Haïti post-séisme s’apprête à élire un nouveau président pour un mandat d’une durée de cinq ans. Après le 20 mars prochain, le président de tous les Haïtiens sera une universitaire de carrière ou un chanteur populaire à succès. Et après? Que se passera-t-il?
Qu’en sera-t-il du plan de (RE) CONSTRUCTION ? Et, qu’est ce qui changera pour les Haïtiens à la fin de ces cinq prochaines années?
À l’instar de plusieurs compatriotes, je réponds tout simplement: RIEN DE SÉRIEUX
Une fois de plus, le poids de notre histoire et des traditions vont se faire sentir. Notre traditionnel savoir-être sera encore déterminant. Et, à partir des considérations qui s’en suivront, l’un des cas de figure le plus probable à envisager pour les années à venir serait le renforcement du statu quo dans la sociopolitique haïtienne.
1. considérant que chez nous comme presque partout, la corruption est un jeu qui se joue entre quatre mûrs, c'est-à-dire dans les coulisses;
2. considérant le profil des têtes de pont qui sont dans l’entourage de nos deux candidats ;
3. considérant qui finance qui;
4. considérant l’ambiance quasi chaotique qui règne dans la classe politique actuelle, et
5. considérant d’autres déterminants internes et externes, en particulier l’attitude de nos dirigeants face à l’internationale,
Nous pouvons d’ores et déjà prédire des résultats très maigres pour ces cinq prochaines années.
On peut donc pronostiquer pour 2016 un taux de satisfaction se situant entre 0 à 10 %. Ce sera toujours l’affaire d’une faible minorité. Il n’y aura rien de nouveau sous le soleil d’Haïti. Déjà, la lecture et l’observation des textes et des mouvements du cyberspace nous enseignent qu’il y a eu des deals et des compromis. La table est mise pour un autre régime corrompu. Rien d’étonnant, car « la caque sent toujours le hareng ». Nous sommes bel et bien partis pour cinq nouvelles années d’enrichissement illicite, de tumultes et de déchirements internes. Nous avons devant nous cinq nouvelles années qui seront marquées par des luttes de clans et d’intérêts. Cinq années de plus qui seront gaspillées dans les luttes intestines et les querelles de chapelle.
Pauvre Haïti!
Certains diraient que j’exagère ou que je ne nage en plein négativisme. D’autres pourraient aller jusqu’à m’étiqueter d’extrémiste. Je les comprendrais. Mais, en guise de réponse, je leur demanderais d’être patients et de suivre, et je leur inviterais à faire comme Maurice Sixto, c'est-à-dire, d’acheter leur carte de pelouse pour le spectacle.
En effet, compatriotes Haïtiens,
Que peut-on espérer d’un président ou d’une présidente qui ne pourra pas compter sur une majorité parlementaire et qui est appelé (e) à diriger une Haïti aussi ruinée, déchirée, divisée, brisée, minée, et occupée par qui nous savons? Une fois de plus, les nombreuses tentations et vieilles pratiques engendrées par la tradition du présidentialisme vont se heurter à la nouvelle réalité du pouvoir parlementaire instaurée par la constitution de 1987. Ce sera le renforcement du chaos politique et social.
En outre, si on essaie d’élargir le cadre de l’analyse, on comprendra mieux pourquoi le prochain gouvernement devra inévitablement échouer comme tous les précédents.
Le prochain gouvernement comme tous les précédents, échouera parce que les deux candidats et leur entourage ne sont pas conscients de la grandeur, de la profondeur et de la complexité du problème du pays aux 207 années mouvementées. Ils ne sont pas non plus bien conscients de la vraie nature du problème haïtien qui est : l’Homme Haïtien, lui-même. Ils ne sont pas conscients qu’ils sont partie prenante du problème.
Amis lecteurs,
Notre pays est mourant. Il court le risque de disparaitre comme certaines sociétés passées (exemple : les Incas, les Vikings du Groenland, etc.). Pourtant, en dépit de ce risque imprenable, les Haïtiens ne se rendent pas compte qu’il est impérative d’appliquer la formule : AUX GRANDS MAUX, LES GRANDS REMÈDES ! Nous ne nous rendons pas compte que pour notre survie, nous avons besoin d’une RÉVOLUTION TRANQUILLE. Et en tant que tel, dans cette Haïti post-séisme, les élections de 2011 se devraient de revêtir un caractère spécial pour tous les Haïtiens.
En effet, en se déroulant dans un contexte post-désastre aussi grave, ces élections offrent aux principales élites et organisations de la société civile un décor exceptionnel pour la sensibilisation et la promotion de l’urgence de cette RÉVOLUTION TRANQUILLE en Haïti. Ces élections se déroulent dans une période où le momentum est plus qu’idéal pour le monde réfléchi et sensé haïtien de poser la pierre inaugurale d’une nouvelle Haïti. Dans cette optique, ces hommes et femmes, en éclaireurs, se devraient d’orienter le ton et le contenu de la campagne électorale. L’influence, l’autorité et le leadership de nos élites devraient placer ces élections sous le signe et l’espoir d’un contrat social. Et pour un tel contrat, ils pourraient, par exemple, faire la promotion de la philosophie politique de John Rawls.
Les élections de 2011 devraient être aussi l’occasion d’annoncer et de discuter les grandes lignes de la (RE) CONSTRUCTION NATIONALE. Elles sont une occasion en or pour promouvoir le nouvel Homme Haïtien. Car, le problème haïtien se trouve avant tout dans l’Haïtien lui-même. Le nouvel Homme Haïtien devrait donc être au centre de la (RE) CONSTRUCTION NATIONALE. Cette question devrait être la colonne vertébrale de cette (RE) CONSTRUCTION. D’ailleurs, ce devrait être l’une des grandes questions à débattre dans une conférence nationale ou dialogue inter haïtien. Et, c’est une question qui devrait être étudiée avec minutie et calme mais aussi avec imagination, intelligence et esprit critique.
Bref, ces élections présidentielles et législatives haïtiennes de 2011 devraient se dérouler autour de l’engagement formel des principaux acteurs de convoquer une méga conférence ou un méga dialogue national pour la (RE) CONSTRUCTION NATIONALE. Car, en vérité, cette (RE) CONSTRUCTION NATIONALE ne se fera pas sans une prise de conscience nationale, sans une réflexion collective, sans un dialogue national formel et publique réunissant toutes les forces vives de la nation haïtienne.
Toute construction est d’abord idéaliste avant d’être réaliste. Un meuble avant d’être construit est à priori conçu mentalement. De même aussi, un mouvement réussi est un mouvement bien conçu, vice versa. Il nous faut une vaste gamme d’idées pour bâtir cette nouvelle Haïti. Et, dans cet ordre d’idée, on devrait apprendre de l’histoire de nos sœurs et frères Afro-Américains. En effet, que serait le mouvement des droits civiques des Noirs aux USA sans le cercle de réflexion du « Niagara Movement » de W.E.B. Dubois? Que serait la lutte des Noirs sans la création de « The National Association for the Advancement of Colored People » (NAACP)? Sans ces grands mouvements et espaces de réflexions collectives, il n’y aurait pas eu le résultat que l’on sait. Certes, Martin Luther King était un leader exceptionnel, mais bien avant lui, il y a eu la théorie de la double conscience de W.E.B. Dubois qui a favorisé la libération mentale du Noir Américain. Pourquoi ne pas étudier à fond leur belle expérience de libération ?
Parce que nous ne sommes pas conscients de la nécessité de dialoguer ou de réfléchir ensemble dans un cadre formel et publique, nous allons une nouvelle fois passer à côté du démarrage tant attendu. Et, l’équation sera : Manigat ou Martelly + le statu quo idéologique = cinq nouvelles années d’échec pour Haïti. Et, notre descente aux enfers continuera.
Elites de mon pays,
A ce stade difficile de la vie nationale, notre histoire devrait nous servir de pédagogue. Elle devrait nous pousser à la réflexion quand on se rappelle que pendant ses 207 ans d’existence, Haïti a toujours connu des grands hommes, de grands orateurs et penseurs, qui ont exposé leur art et leur science sur les plans national et international. Nous devrions nous rappeler que nous sommes un peuple riche en génies individuels, et que nous avons dans notre histoire une quantité impressionnante de brillants intellectuels, de supers cadres, de technocrates, spécialistes et experts. Si nous faisons un tour dans les archives des institutions nationales et internationales, nous constaterons que dans l’histoire lointaine ou proche de ce pays, il y a eu toujours de brillantes idées, de grands plans, de grands projets et de bons programmes. L’histoire de ce pays nous a enseigné qu’il y a eu beaucoup d’hommes et de femmes qui ont été dépositaires de grandes connaissances scientifiques et techniques.
Jean Price Mars dans son livre intitulé: « Une étape de l’évolution Haïtienne : Etude de socio-Psychologie », publié en 1929 nous offre un tableau auréolé de grandes individualités haïtiennes.
Il a cité en autres:
· « les hommes de 1843 ;
· La génération de Massillon Coicou,…
· La pléiade libérale et le redressement financier Boyer Bazelais, Edmond Paul, Thoby,…
· La génération de Firmin, Léger Cauvin, Justin Dévot, Solon Ménos, Nemours Auguste, Louis Joseph Janvier, Frédérique Marcelin, Jérémie,...
· La génération de Georges Sylvain, de Louis Borno,…
· Les moins de 60 ans : Hibbert, Vincent, H.P. Sannon, Dr. Dorsainvil,…Les plus jeunes : Léon Laleau, Courtois, Colonel Nemours, Dominique Hippolyte, etc
Price-Mars nous interpelle en ces termes : « Venez, vous qui avez écouté dans les sanctuaires la sentence des dieux et qui êtes les dépositaires des prophéties des Mages, venez vous tous, Etzer Vilaire, Charles Moravia, Damoclès Vieux, Constantin Mayard, Seymour Pradel, Probus Blot, Léon Laleau, Dominique Hippolyte, Jean Joseph Vilaire, Nerva Lataillade, Ida Faubert, Justinien Ricot, Georges Lescouflair, Étienne Bourand, Christian Werleigh, Luc Grimard, Ernest Douyon, Edgard Numa, Venez tous, les plus jeunes comme les plus vieux, et vous, Ombre légère et mélancolique d'Edmond Laforest ; et vous, Occide Jeanty, Justin Elie, Ludovic Lamothe, Franck, Lassègue, … » (p.62)
Chers compatriotes,
Dans les plus hautes marches de l’État haïtien comme dans les coulisses du pouvoir nous avons eu des noms de brillants Haïtiens. Il y a eu de grands ténors dans presque tous les domaines du savoir. Mais, ils n’ont jamais pu ou su réussir à provoquer le changement tant souhaité. La plupart de ces beaux esprits ont tour à tour brisé leurs armes sur le roc de la réalité socio politique haïtienne.
Dans le temps, nous avons vu tellement d’experts, spécialistes et hauts cadres nationaux briser leurs dents contre le rocher de la réalité haïtienne. C’étaient pourtant des experts qui avaient su ou auraient pu brillamment réussi dans les milieux internationaux. N’avaient-ils pas la volonté de pratiquer ou de développer cette « culture d’exécution » dont on parle tant? Beaucoup d’entre eux, oui. Mais, de par l’ignorance ou de la négligence du particularisme haïtien, ils se sont révélé inefficace et se sont faits même taxés d’incompétents.
Certains grands esprits (à l’intérieur et à l’extérieur du pays) de nos fora virtuels aiment analyser, définir et poser le problème haïtien à partir de leur vision et expérience nord américaines et européennes, oubliant ou minimisant le poids de la sociale construction haïtienne. Ils oublient que ce pays a une histoire unique. Ils ne réalisent pas qu’un plan de développement pour Haïti ne peut et ne doit pas être conçu et exécuté à l’aide d’approche et méthode exclusivement conventionnelle et universaliste.
Imaginons tous ces intellectuels nouvellement débarqués de l’Europe ou de l’Amérique « civilisatrice ». Imaginons-les fraichement arrivés des grands centres universitaires occidentaux avec leur grand esprit universaliste. Sachant qu’ils ont le monopole du savoir, ils ont ignoré comme Thalès de Milet le puits de la réalité haïtienne dans lequel ils vont inévitablement tomber. Et, dans beaucoup de cas, cette expertise frise plutôt le ridicule et nous rappelle cette servante assise au bord du puits se moquant de l’astrologue.
D’un autre côté, dans la diaspora, il a existé et il existe encore aujourd’hui de fiers et bels exemples d’Haïtiens qui ont réussi sur les plans personnel et professionnel. Mais, quelle œuvre collective considérable ont-ils laissé pour la postérité ? On ne les voit pas. Jusqu’ici, on attend toujours des modèles de réalisations collectives de longue vie. En attendant, animés de leur traditionnel esprit individualiste, ils vivent et réussissent pour eux-mêmes, pour leurs poches et leurs proches.
Dans un environnement aussi complexe que celui d’Haïti on peut posséder toutes les connaissances scientifiques, toute la « culture d’exécution » des grandes corporations, toutes les notions en finances et autres connaissances sans jamais réussir à les appliquer voire les implanter dans les institutions haïtiennes.
Nous devons donc prendre le temps pour demander : Pourquoi tous ces échecs ? Et, cela devrait nous faire comprendre que notre mal est de loin beaucoup plus grand et beaucoup plus complexe.
Pour finir, je le répète : en vérité, la (RE) CONSTRUCTION NATIONALE ne se fera pas sans une prise de conscience nationale, sans une réflexion collective, sans un dialogue national formel et publique réunissant toutes les forces vives de la nation. Rappelons-nous bien que la seule et unique fois où nous avions fait valoir ces valeurs, nous avions pu réaliser l’impossible. La seule et unique fois dans notre histoire où nous nous sommes mis ensemble, nous avons offert au monde entier 1804 : l’une des plus grandes et plus belles épopées de tous les temps. Et, il est temps pour de le comprendre. Notre pays est mourant. Par conséquent, AUX GRANDS MAUX, LES GRANDS REMÈDES !
Patriotiquement,
Roselor François
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