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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


La Vallée de l’Artibonite, quel développement? Par Éternel Victor. Rediff.

Publié par siel sur 30 Novembre 2013, 16:23pm

Catégories : #AYITI ACTUALITES


        D’entrée de jeu, il faut préciser que la Vallée de l’Artibonite est naturellement et, de tout temps, le foyer principal de développement agricole d’Haïti et son plus grand producteur de riz. À la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, M. Leslie Delatour, le ministre des finances sous le Conseil national de gouvernement (CNG) déclare que «Haïti ne peut produire le riz, le sucre, etc. à prix concurrentiel, il faut renoncer à ces cultures et produire autre chose»[i] Plus de 200 000 paysans (propriétaires, métayers et ouvriers) sont affectées directement par cette mesure. Aujourd’hui, la réalité de la Vallée se trouve renversée et projetée devant nous son avenir dans le rapport avec la plus grande puissance économique du monde, auquel nous nous plions sans réfléchir. Tout se présente à nous comme un changement inévitable sans nous demander qui en profite? Et c’est là que la fatalité nous attrape et devient notre avenir. Et dans cet avenir, nous assistons à la liquidation de la Vallée de l’Artibonite sans agir. Ce qui semble justifier notre conscience de la fatalité et de laisser faire. Rappelons-nous l’évolution et le rôle de la Vallée de l’Artibonite à différentes époques et voyons aujourd’hui comment elle a cessé d’être notre foyer de développement.

Les premiers colons établis dans la vallée de l’Artibonite

J’ai eu le plaisir de lire une page d’histoire de l’Île de Saint-Domingue, parue dans le livre Sur les rives du passé[ii]. L’auteur y décrit le colon Rossignol Lachicotte qui était l’un  des quatre cents (400) Français rescapés et expulsés de Saint-Christophe par les Anglais en 1690 à destination de Port-de-Paix. Ensuite, Rossignol Lachicotte s’établit dans la région de l’Artibonite et donna naissance à 3 enfants: Rossignol Lachicotte Descahaux, Philippe-Henri Lachicotte Grandmont et Rossignol Lachicotte Desdunes. Le dernier eut onze enfants dont descendent les trois grandes familles haïtiennes: les Vieux, les Desdunes et les Rossignols. La famille Desdunes dominait toute la région de l’Artibonite à l’époque de la colonisation française et possédaient des milliers d’esclaves, pour la plupart des Sénégalais grands et musclés. Les Desdunes firent leur fortune dans l’exploitation des terres et l’élevage de gros bétails. Ils étaient les colons les plus riches de Saint-Domingue et devinrent tous des millionnaires, grâce à la découverte de cette région fertile.

Cependant, les Desdunes allaient connaitre des sorts malheureux ininterrompus à l’issue d’une conspiration avec les Britanniques à la perte de Saint-Domingue. Toussaint Louverture découvrait leur plan et tous leurs biens y étaient séquestrés. Lorsqu’ils regagnèrent la clémence de Toussaint à la demande de Madame Descahaux, la levée du séquestre ne redonna pas aux plantations la même splendeur. Parce que les Desdunes, réputés pour la maltraitance des esclaves, ne pouvaient plus y exercer les mêmes exactions. Tout cela n’était que le début de leur calamité. Le coup fatal survint à l’issue de la colère de Dessalines qui voulut stopper l’envoi continu des troupes françaises à l’attaque de Saint-Domingue. Il ordonna l’arrestation des colons dans la région, y compris les Desdunes, ils furent tous passés par les armes, 5 ou 6 exceptés. Jusqu’à présent, les différents quartiers où dominaient les Desdunes portent encore leur nom dans la Vallée. Le seul en fait auquel on pense bien illustrer géographiquement leur demeure principale est la commune de Desdunes qui aurait semblé postuler l’habitation de la famille.

Les dominations d’une politique anarchique et les fouillis administratifs dans la Vallée de l’Artibonite

Après la domination de Desdunes, on voit se multiplier successivement dans la région des titres de propriétés et des dons créés de toutes pièces aux fins d’exploitation des paysans: les chefs de l’armée, les autorités civiles, les avocats, les notaires, tous en profitent. Rares sont des chefs d’État de Dessalines à Préval qui n’en distribuent pas à leurs proches. Ce qui a provoqué constamment les litiges et les conflits terriens forts violents dans la Vallée de l’Artibonite qui n’attend toujours qu’à être expropriée, occupée et organisée par les proches du pouvoir.

Les périodes les plus marquantes sont premièrement l’occupation américaine (1915-1930). Certains paysans s’étaient élevés au rang de colonel ou général par l’occupant et se voient attribués à cet effet une énorme quantité d’hectares de terre dans la Vallée, après avoir pourchassé les cacos (mouvement de résistance paysanne contre l’occupation américaine). L’économie proprement de subsistance allait se désorganiser et les conditions de vie des paysans se détérioraient. Par rapport à cette situation, la région de l’Artibonite était frappée par une vague d’assassinats, de vols, de viols, et de pillage menés par un groupe de réserves de bandits que les américains faisaient passer pour les cacos. Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour voir émerger partout dans l’Artibonite les mêmes phénomènes dus à la destruction de l’économie agricole et au détriment de la sécurité de la région.

 
Deuxièmement, l’irrigation de la Vallée et la création de l’ODVA (Organisation de Développement de la Vallée de l’Artibonite, 1949), après la deuxième guerre mondiale, correspondaient à une période de mutation vers la riziculture. À cette occasion, plusieurs scélérats dans le cercle du pouvoir et des hommes influents (Exemple Atié) qui avaient bénéficié des informations privilégiées sur ce nouveau développement s’étaient ramenés dans la Vallée et avaient usurpé systématiquement les terres des paysans; ils devenaient par conséquent des principaux profiteurs du changement. Les paysans qui sont éjectés malhonnêtement de leurs terres allaient travailler comme des métayers ou des ouvriers dans leurs propres plantations. Donc, au lieu de les aider à s’organiser sur leurs terres, l’ODVA facilitait, encourageait leur expropriation et soutenait l’enrichissement d’un petit groupe d’exploiteurs sans intérêt pour le développement agricole.

 

Enfin, le règne de Duvalier (1957-1986). «Le leader macoute de l’Artibonite Zacharie Delva, alias Parrain, avait révoqué tous les titres de propriété pour devenir lui-même le propriétaire incontestable de la quasi-totalité de la surface des terres cultivables de la Vallée: ce qui avait provoqué diverses manifestations des paysans de Desdunes, l’Estère, Poteneaux, Deseaux, etc. Les manifestants furent massacrés par dizaines par les miliciens de ces différentes régions rurales»[iii].

 

Le limogeage de Zacharie en 1971 sous Duvalier Fils avait propulsé un nouveau groupe de scélérats qui allaient se donner la loi 75, dite loi spéciale sur la Vallée de l’Artibonite visant l’expropriation des petits paysans au profit des autorités civiles et militaires. Au début des années 80, la quasi-totalité d’aide allouée au développement de l’agriculture était détournée, à travers l’ODVA, par les hommes forts de Jean-Claude Duvalier[iv]. Le désastre fut total dans la Vallée, à sa chute en 1986. Les paysans expropriés sous l’effet de la loi 75 ont revendiqué leurs terres, pillé tous les centres agricoles dans la région et brisé également tout dans les locaux de l’ODVA. Comme vous le constatez, la Vallée de l’Artibonite a toujours été laissée dans un fouillis administratif qui constitue obstacle à son développement.  

 

Dans le malheur de la Vallée de l’Artibonite, Leslie Delatour, partisan de l’école de Chicago et d’approche économique néolibérale, est arrivé au poste du ministre des Finances sous le Conseil National de Gouvernement (CNG), après la fuite de Duvalier. Il a encouragé l’importation du riz américain aux dépends de la riziculture de l’Artibonite, sous prétexte de libre concurrence. Ce nouveau gouvernement a distribué des franchises douanières à ses proches pour s’en occuper et s’en enrichir, parmi lesquels Joseph Namphy, le frère du président Henry Namphy.[v] C’est ainsi qu’on voit émerger de nouveaux scélérats millionnaires en Haïti avec la politique néolibérale de Leslie Délatour, touchant spécialement le riz de l’Artibonite et autres (Ex. : le sucre). Au demeurant, cette politique se poursuit jusqu’à maintenant en 2011. 

 

L’organisation de la résistance paysanne se trouve supplantée par la force des multinationales américaines au nom du néolibéralisme, en complicité avec les gouvernements successifs depuis le départ de Duvalier. La Vallée de l’Artibonite n’a jamais connu la stabilité à cause de l’anarchie et du fouillis administratifs de l’État haïtien. Tout allait parfaitement de pair avec l’influence et l’autorité de la personne. Aujourd’hui, la vie des paysans dans la région dépend de la générosité et de la bonne volonté de leurs proches vivant aux États-Unis, au Canada, en France, etc. Certes, on n’a qu’à penser la suite et qu’à des conditions de vie des centaines de milliers de paysans qui sont victimes du néolibéralisme despotique et irresponsable de Leslie Délatour. Cette anarchie a ouvert la porte aux désordres qui frappent aujourd’hui toute la gestion politique et économique de la nation, soumise aux différents ONG échappés au contrôle de l’État. Une forme toute nouvelle de dangers et risques s’aggrave: effondrement de la production nationale, bidonvilisation généralisée, déception de la jeunesse, corruption, violence, fuite des diplômés et de la main-d'œuvre qualifiée, dégradation du système éducatif, etc. Dans ce sens, personne ne saurait se soustraire qu’aux risques engendrés par la dégradation de la production agricole qui transforme tout Haïti en une masse de consommateurs, par la poussée du libre jeu des intérêts égoïstes au mépris des intérêts collectifs et nationaux.

 

Les grandes questions

À suivre le démantèlement de production agricole de la Vallée de l’Artibonite, faut-il dire que c’en est fini le développement de la riziculture ? À y croire, est-ce aussi fini pour les centaines de milliers de paysans de la région vivant de l’agriculture?  Comment l’État parviendra-t-il à garantir la sécurité de l’Artibonite bouleversée par la politique du non protectionnisme au profit d’un petit groupe de profiteurs ? L’effondrement est tel, il est porté à réduire les paysans à l’état de mendicité, en leur tirant toute forme de morale,  toute dimension humaine, tout idéal commun et tout esprit de solidarité qu’ils pouvaient avoir.

Là où l’on est maintenant, il faut vite penser pour trouver une issue à la crise et proposer des solutions concrètes pour corriger la situation et remettre l’agriculture sur ses pieds. À savoir, quel avenir réservé à la Vallée de l’Artibonite dans l’économie haïtienne ? Faudrait-il se faire à la vision économique despotique du néolibéralisme à laquelle la région est soumise ? Quel modèle économique de développement correspond maintenant à sa réalité ? Tout le débat est là. Les recherches d’alternatives nous interpellent tous, surtout les chercheurs de différentes écoles de développement. Comment aider la région à s’articuler soit à l’économie néolibérale ou à renforcer son développement dans le cadre d’une politique agricole viable?

Je suggère l’organisation d’un colloque avec les différents experts en matière de développement pour trouver des solutions justes et pour aider la Vallée de l’Artibonite à s’en sortir. Il est essentiel que nous fassions encore l’effort de nous situer dans sa réalité et dans sa richesse qui, de tout temps, l’avaient placée comme le foyer ventral du pays ou plus précisément le grenier d’Haïti.

[i] Haïti-Observateur, 5-12 juin 1987, p.26

[ii] Placide David, Éditions Leméac, 1972

[iii] Éternel Victor, Haïti en péril, livre II, Kauss Éditeurs, p.67, 1988

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