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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Ce que Haïti a fait à la MINUSTAH - Par Jan Verlin

Publié par Jan Verlin sur 27 Février 2017, 15:21pm

Catégories : #INTERNATIONAL, #AYITI ROSE RAKET, #AYITI EXTREME DROITE

Contingent brésilien de la Minustha (Misssion des casques bleus de l'ONU en Haït)
Contingent brésilien de la Minustha (Misssion des casques bleus de l'ONU en Haït)

Contingent brésilien de la Minustha (Misssion des casques bleus de l'ONU en Haït)

Congrès AFSP Aix 2015
ST 51 / Ce que les « terrains » font aux acteurs de la paix Jan Verlin Université Paris Ouest – Nanterre janworlein@gmail.com
Ce que Haïti a fait à la MINUSTAH
Jan Verlin


En 2011, après un entretien avec la directrice de l'agence de coopération internationale allemande pour le développement en Haïti, je décide spontanément de me promener dans les restes du parc autour de la Primature, une grande demeure juste à côté de l'agence à la fin d'une impasse sur les collines de Port-au-Prince. Le bâtiment impressionnant a été peu affecté par le séisme. Il est fermé et surveillé dans le but de retrouver ses fonctions quand l’heure sera venue, ce qui a évité l'installation d'un camp de sinistrés dans le parc. Le camp se trouve pour cette raison juste en face. Il est trois heures de l'après-midi, il fait très chaud. le bâtiment abîmé, le parque jonché de morceaux de façade de la Primature, l'assemblement de bâches blanches et bleues en face, tout semble désert. Je ne vois qu’une femme, assise sur le trottoir à hauteur des tentes du camp, qui lave des vêtements dans un sceau en plastique. Elle a suivi chacun de mes mouvements, quand je suis entré dans le parc. Quand j’en sors, je fais déjà partie du décor. Je n'attire plus son attention. Je m'approche d'elle pour tenter d’entamer une conversation sur le camp et la vie dans l'ombre de la Primature, quand je me rends compte qu'un de mes lacets s’est défait. Je me baisse pour relacer mes chaussures. J’entends un bruit de moteur qui se rapproche.
Quand je me relève, un char blanc de la Mission de paix pour la stabilisation d'Haïti, MINUSTAH monte l'impasse. Je ne suis pas surpris de son existence, car c'est un élément tellement quotidien à Port-au-Prince. J'ai d’ailleurs rencontré mon premier char ce matin devant ma porte à côté d'un troupeau de joggeurs de médecins du monde en sortant de mon appartement. Mais je suis intrigué par ce que fait ce char dans cette impasse qui ne mène qu’au camp et à la primature. Seul le camp peut être l’objectif du char. Le char s'arrête à côté de moi et de la femme assise. Je regarde la réaction de la femme, mais elle ne semble pas du tout touchée par l'arrivée du véhicule militaire et me signale par un mouvement de tête que c'est pour moi.
Un soldat avec une mitraillette dans la main, un casque bleu sur la tête et un drapeau brésilien sur l'épaule descend du véhicule, me regarde de haut en bas et me demande dans un anglais approximatif. « Vous... humanitaire ? ». En absence d'une explication simple, je réponds « ben... oui ». Il retourne vers le char et un deuxième soldat, apparemment un officier étant donné son maintien et son uniforme, descend de la voiture et s'approche de moi, met sa main dans son uniforme et d’un mouvement brusque sort une carte de Port-au-Prince. Avec des gestes, il me fait comprendre qu'il cherche la route de Delmas. Trouver ces grandes routes n'est pas compliqué à Port-au-Prince, car il n'y en a que trois qui montent entre les ruines de la vielle ville et la montagne et une qui suit la côte. Deux gestes de ma part expliquent le chemin. L'officier me remercie par un signe de tête, il monte, le char tourne et la MINUSTAH disparaît. Le femme concentrée sur son saut ne lève même pas la tête.1


La politiste américaine Lisa Weeden cite le pompiste laconique Socrate, joué par Nick Nolte dans le film Guerriers de paix : « Il n'y a jamais rien qui se passe », pour donner un exemple de la capacité des enquêtes ethnographique à construire des données là où l'action semble pourtant manquer. Même si le titre du film ne fait pas allusion à une mission de paix, on s'imagine bien Socrate commenter de la même manière ces soldats brésiliens perdus à Port-au-Prince.

Son commentaire s'applique également à la situation de la sécurité en Haïti, au moins telle que décrite par le commandeur de ces soldats onusiens, l'envoyé spécial des Nations-Unies en Haïti. Dans son rapport de mars 2015, il explique au secrétaire général des Nations Unies « la situation est restée globalement stable »2. L'année d’avant, en août 2014, le constat n'était pas très différent, quand il concluait « Dans l’ensemble, la situation est restée relativement stable »3. Les rapports de mars 2014 « les conditions de sécurité sont restées relativement stables »4, de août et mars 2013 ainsi que d’août et février 2012 « l’état de la sécurité est demeuré relativement stable, quoique fragile »5, d’ août 2011 « l’état de la sécurité est demeuré calme tout en restant fragile »6, de mars 2011 « La situation globale en matière de sécurité en Haïti est demeurée calme dans l’ensemble, mais en proie à des actes de violence et des troubles localisés »7, de septembre 2010 « Sur le plan de la sécurité, la situation demeure dans l’ensemble calme mais fragile. »8, de mars 2010 « La situation concernant la sécurité en Haïti est restée calme dans l’ensemble »9, de septembre 2009 « l’atmosphère dans le pays a été calme, bien que la sécurité reste extrêmement fragile »10, et de mars 2009 « la situation a été calme, avec un recul de certaines activités criminelles »11.


Le bilan de l'envoyé spécial semble faire écho à la scène décrite au début du texte. Tout reste relativement calme, mais la présence d'un char, le camp de sinistrés, la question du soldat, le geste de l'officier – semble pointer vers une fragilité, qui transforme une scène banale en scène paradoxale. La présence d'une mission de paix de 4604 soldats et 2002 policiers dans un pays qui a selon le même envoyé spécial « l’un des plus faibles [taux d'homicides] de la région » et qui compte 16 infractions en tout et pour tout pendant les rassemblements et manifestations de plus de 1000 personnes révèle en effet le paradoxe de la gestion sécuritaire de la crise.


Cette communication s'intéresse , de ce fait, aux légitimations variables des acteurs onusiens et plus spécifiquement aux acteurs de la MINUSTAH face à l'évolution de son terrain d'action. Il s'interroge plus particulièrement sur les changements en termes de discours publics (présentation en ligne, brochures, résolutions, documentation) et en termes de réformes organisationnelles (partenariats, distribution de ressources et de personnels, prise de décisions).

1 Carnet de terrain 11 août 2011

2    CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 4 mars 2015, p. 3.
3    CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 29 août 2014, p. 3.
4    CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 19 août 2013, p. 3.
5    CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 8 mars 2013, p. 3 ; CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 31 août 2012, p. 3 ; CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 28 février 2012, p. 3.
6    CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 25 août 2011, p. 2.
7    CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 24 mars 2011, p. 3.
8    CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 1 septembre 2010, p. 2.
9    CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 22 février 2010, p. 6.
10 CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 1 septembre 2009, p. 5.
11 CONSEIL DE SECURITE, Rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, 6 mars 2009, p. 5.

SUITE à : http://www.congres-afsp.fr/st/st51/st51verlin.pdf

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